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Food

Dans les coulisses du restaurant le moins diététique du monde

Au Heart Attack Grill, on encourage les gens à bouffer toujours plus gras. Les gens qui pèsent plus de 160 kilos mangent gratos et s’ils ne finissent pas leur assiette, on leur donne des petites fessées. J'ai déjà vu des clients faire des crises...

Bienvenue dans Cuisine Confessions, une rubrique qui infiltre le monde tumultueux de la restauration. Ici, on donne la parole à ceux qui ont des secrets à révéler ou qui veulent simplement nous dire la vérité, rien que la vérité sur ce qu'il se passe réellement dans les cuisines et les arrière-salles des restaurants.

Dans cet épisode, on a rencontré une serveuse du Heart Attack Grill (Le Grill de la Crise Cardiaque, en français) à Las Vegas. Il s'agit d'un restaurant à thème comme il y en a beaucoup aux États-Unis à la différence qu'ici, le personnel est exclusivement de sexe féminin et est sélectionné uniquement sur critères physiques. Le Heart Attack Grill a gagné ses lettres de malbouffe parce qu'il décomplexe la nourriture fast-food et qu'il encourage ses clients à manger toujours plus gras. Mieux, ceux qui pèsent plus de 160 kg en arrivant se voient offrir leurs repas par la maison. Le premier porte-parole de l'établissement, Ernie Hart, est mort d'un arrêt du coeur en 2013. « Big Mike », son successeur, s'est calmé sur le steak depuis qu'il a fini par connaître sa première crise cardiaque. Quant à la serveuse qui nous livre ici son témoignage, elle se porte bien. Du moins, vu de l'extérieur.

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Je me revois tomber sur l'annonce pour le job de serveuse au Heart Attack Grill et dire à mon mari : « Est-ce que ça te dérangerait si je devais flirter avec des mecs contre de l'argent ? ». Ce à quoi il a répondu quelque chose du genre : « De toute façon, t'es tout le temps en train de flirter, alors autant être payée à le faire. »

Le propriétaire du Heart Attack Grill est un drôle de personnage. Il fouine systématiquement la page Facebook de toutes les filles qui répondent à ses annonces. Si votre profil est en mode privé, il pense que c'est parce que vous vous voulez lui cacher quelque chose. Et si vous postez des photos de vous en train de boire ou de fumer, il y a très peu de chance pour qu'il retienne votre candidature : j'ai déjà conseillé à une amie qui postulait d'enlever certaines photos de son profil avant d'envoyer son CV — Elle ne s'en est pas occupée et au final, comme je le craignais, personne ne l'a jamais rappelé. Ce n'est pas tant que le boss veut que vous soyez super-sobre (ici, les clients vous paient des coups tout le temps), mais il veut juste s'assurer que vous n'irez pas vous saouler en douce derrière le bar. Au final, il y a des centaines de filles qui postulent tous les mois mais celles qui sont embauchées, on les compte sur les doigts d'une main.

Le concept du restaurant est simple : on appelle nos clients « les patients » et s'ils ne finissent pas leurs assiettes, nous (les serveuses déguisées en infirmières) les frappons sur les fesses avec une petite pelle en bois. C'est ma partie préférée du boulot, les clients me remercient tout le temps : au fond, c'est plus rapide qu'une thérapie chez un psy et moins cher que de se payer une prostituée genre, dominatrice. Le jour où je ne pourrai plus donner la fessée à mes clients, je pose ma lettre de démission.

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Quand j'y pense, c'est fou comme certains mecs aiment beaucoup trop se prendre des fessées. Il y en a qui se pointent en disant : « C'est possible de mettre une blouse d'hôpital et de recevoir directement des fessées ? Je peux payer pour ça. » La réponse est toujours : « non les mecs, vous vous êtes trompés d'endroit. » On a aussi le droit à quelques tarés de temps en temps, comme ce mec à qui je venais de donner une fessée et qui m'a pris dans ses bras et a commencé à me tripoter le cul tout en s'excitant contre moi. Enfoiré, je ne t'oublie pas !

Le jour où je ne pourrai plus donner la fessée à mes clients, je pose ma lettre de démission. Au fond, c'est plus rapide qu'une thérapie chez un psy et moins cher que de se payer une prostituée genre, dominatrice.

Le proprio ne plaisante pas avec le règlement intérieur. À tout moment, les patients doivent porter leurs blouses d'hôpital. S'il voit quelqu'un qui n'en porte pas, il prend la mouche, direct. Mais il a un côté un peu pervers et il aime beaucoup trop les femmes. Résultat : s'il y a une cliente avec une poitrine généreuse, il lui propose de porter la blouse à l'envers, juste pour qu'il puisse reluquer ses miches.

Mais la vraie attraction c'est le fait que les clients de plus de 160 kilos mangent chez nous gratuitement. Tout le monde passe à la pesée sur des balances situées au centre du restaurant. Il y a environ dix personnes par jour qui dépassent la limite et qui ont donc le droit à un burger gratuit. On a même des S.D.F qui viennent parfois. Certains clients ont honte d'être pesés, mais ça devient difficile de cacher un poids de plus 100 kilos.

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Quand je pèse quelqu'un, je ne le calcule pas vraiment qui est en face de mois. Est-ce qu'il a mis des trucs lourds dans ses poches pour atteindre les 160 kilos ? Je n'ai vraiment pas envie de vérifier et surtout, je n'en ai un peu rien à foutre.

Par contre, si quelqu'un est tout proche de la limite fatidique des 160 kilos et qu'il est suffisamment sympa et avenant avec moi, je lui file discrètement du sel ou du poivre pour qu'il gagne les quelques grammes qu'il lui faut. L'homme le plus lourd que j'ai jamais pesé faisait 323 kilos ; la femme la plus lourde, 313 kilos. On a même reçu des couples qui sont venus manger à quatre et qui pesaient chacun plus de 160 kilos. Ils sont tous passés à la pesée pour manger gratos. On a des clients réguliers qui viennent manger chez nous pour manger à l'œil toutes les semaines.

Et on a aussi des clients réguliers qui viennent manger chez nous seulement pour voir des gros. Ils débarquent et demandent : « Quand c'est que les gros arrivent ? » Et moi je leur réponds : « Quand ils auront faim ! C'est pas le cirque, ici ! » On a dû mettre une autre balance à l'extérieur parce que les gens venaient ici juste pour se peser et prendre des photos sans rien commander. La nouvelle balance est d'ailleurs devenue l'attraction numéro un pour prendre des selfies sur Fremont Street, à Las Vegas. Les gens s'assoient dans le bar d'à côté et regardent les gens se peser. Il m'arrive de faire pareil pendant ma pause.

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Évidemment, la bouffe que l'on sert est hyper-grasse. Quand j'ai commencé à bosser ici, je buvais régulièrement une des boissons que l'on sert à la carte : le « butterfat shake », un milk-shake à base du gras contenu dans le lait et la crème. J'ai pris 4 kilos en deux mois et le pire, c'est que je ne buvais que quelques gorgées à chaque fois. C'est vraiment la boisson la plus grasse du monde. Je crois que notre cuisto a déjà essayé de la rendre encore plus grasse en y ajoutant carrément du beurre, mais il a cassé la machine : la mixture était devenue trop épaisse. Autant vous dire que la diététique, c'est pas vraiment la spécialité des lieux.

De toute manière, toutes nos boissons sont bourrées de sucre. Je me rappelle de ce type qui venait à une époque et commandait toujours quatre burgers et un coca light. Un coca light, sérieusement ? C'est même pas sur notre carte ! Il arrive qu'on accueille des clients diabétiques. Ils nous font savoir qu'ils ne peuvent pas vraiment consommer de sucre, alors je leur propose de l'eau à la place. Mais la plupart du temps, ils me répondent : « Non, je veux un shake ! Un butterfat shake ! » Il ne faut pas chercher à comprendre, je crois.

À trois occasions, j'ai dû appeler une ambulance en urgence pour des clients qui étaient en train de faire des arrêts cardiaques. À chaque fois, je suis rentrée chez moi le soir en culpabilisant comme une malade parce que c'était moi qui leur avais servi la bouffe les avait probablement tués. Je me rassurais en me disant que les clients sont des adultes et qu'en théorie, ils sont responsables d'eux-mêmes, de leurs propres conneries. C'est eux qui ont fait le choix de venir manger ici, pas moi. Les adultes sont conscients et peuvent faire la part des choses, les enfants par contre, ils n'ont rien demandé. Un autre autre truc qui me fait me sentir mal, c'est quand des clients emmènent leurs enfants manger au restaurant : comment peut-on nourrir plus mal un gosse ?

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Dans une urne derrière le bar, on garde les cendres d'un type, John Alleman. Il a déjeuné chez nous tous les jours pendant un an avant de sortir définitivement de notre établissement, les pieds en avant. Il bossait comme agent de sécurité dans une entreprise, quelque part sur Freemont Street, et disait à qui voulait l'entendre combien notre restaurant était incroyable. Il faisait notre publicité gratuitement, si bien qu'à un moment, on lui a même proposé de devenir notre porte-parole. Quand il est décédé, sa famille nous a apporté ses cendres et depuis, elles n'ont pas bougé.

On n'a pas cherché à cacher son décès, le propriétaire ne pense pas que ça puisse nous faire du tort. Il surfe d'ailleurs un peu sur cette réputation : « Venez manger ici pour faire une crise cardiaque ! », c'est son slogan. Il exhibe même les cendres de John sur les vidéos promotionnelles et les mets en scène comme un trophée : « Voilà nos cendres ! C'est le total de nos victimes. McDonald's, vous en êtes où ? »

Les gens pensent qu'il est taré, mais en vrai : c'est un génie. Avant, il travaillait dans le fitness et la nutrition, mais personne n'écoutait ses conseils. Ce restaurant, c'est peut-être son ultime tentative pour attirer l'attention des gens sur la malbouffe. Quand quelqu'un est sur la balance, qu'il approche les 160 kilos et que tout le monde est autour de lui en train d'hurler et de le pointer du doigt, le boss aime s'approcher de nous pour nous dire : « Tu vois celui-là ? Si ça ne le fait pas un peu réfléchir sur son poids, c'est qu'il n'y a rien à faire. »

Et il faut croire que ça marche plutôt bien — On reçoit souvent des photos de clients, six mois plus tard qui nous disent, tous fiers : « Regardez, j'ai perdu 10 kg ! »

Propos recueillis par Samantha Rea.