Selon la règle en vigueur, la saison du cuffing se déroule de novembre à mars. Une fois passé ce délai, libre à chacun de vaquer à ses occupations.Pour ceux qui n’auraient absolument aucune idée de ce que je raconte, le concept de « cuffing » consiste à se trouver un partenaire pour l’hiver, s’y attacher (d’où le nom de « cuffs », « menottes » en français), afin de s’offrir de savoureuses parties de jambes en l’air devant un chocolat chaud d'antan et un épisode de votre série Netflix merdique préférée. Parce qu’il fait trop froid dehors – et bien meilleur à l’intérieur – et que vous êtes visiblement de trop gros bébés émotionnels pour pouvoir affronter comme des adultes la dépression saisonnière.
Publicité
Si le cas du cuffing est particulier, et que certains esprits dotés d’une honnêteté intellectuelle élastique l’ont raccroché à une vague histoire d’évolution de l’espèce humaine, il est intéressant de noter que d’autres anglicismes ont pullulé ces deux-trois dernières années pour décrire l’habitus de ces chers millennials en matière de relations amoureuses. Et si les breadcrumbing, paperclipping, stashing, benching et autres cushioning s’attirent particulièrement les faveurs des magazines féminins, illustrant au passage que ces derniers ont visiblement que ça à foutre de leurs journées et que tout ça ne veut probablement rien dire, le dénominateur commun n’est tout de même pas innocent, et mérite qu’on s’y attarde un peu.Aussi variés qu’ils puissent être, ces termes désignent quasiment tous des comportements de fils de pute, à mi-chemin entre la bonne vieille perversion narcissique des familles et tout le champ lexical qui recouvre le chantage affectif. Et si on ne va pas se laisser aller à un facile (mais tentant) « c’est la faute à Tinder », ou dénoncer mollement un certain individualisme contemporain des réseaux sociaux, il y a quand même matière à réfléchir.On a donc décidé d’y voir plus clair, en recensant les pratiques, les saisons, les moments du couple qui font qu’on en vienne à se comporter comme une raclure envers l’être aimé, mais également faire quelques prévisions pour l’année qui vient, afin de savoir si notre civilisation amorce bel et bien sa phase terminale.
Publicité
La conquête
Publicité
Dependencing : Vous jetez votre dévolu sur une personne vulnérable, qui sort d’une ou de deux relations compliquées et toxiques. L’idée est d’abord de lui donner de petites marques d’affection, puis d’augmenter la dose. Si tout se passe bien, vous obtiendrez une dépendance affective maximale.Yann Moixing : Faire croire que vos parents vous ont fait manger votre caca durant votre enfance pour attirer la sympathie de partenaires naturellement portés sur le chagrin et la pitié.Vous avez passé la première épreuve avec brio, et avez trouvé une personne avec qui vous emboîter. Mais vous n’avez pas prévu deux données impondérables (ou peut-être que si, vous êtes tellement névrosé). Vous êtes alors traversé par des vents contraires : soit vous vous rendez compte que vous êtes en train de commettre une erreur monumentale, et vous faites tout pour fuir – mais vous ne le direz jamais comme ça. Soit, de l’autre côté du spectre, vous ressentez un besoin impérieux d’être sauvé – ou bien pire encore, de sauver quelqu’un. Dans les deux cas, vous userez d’un savant mélange de passivité-agressivité et de culpabilisation. À l’image du stashing, méthode plus ou moins consciente qui consiste à ne pas lui présenter vos/parents/potes/cercle proche, parce que vous avez honte de lui/elle, ou tout simplement de vous-même.Il y a un troisième cas de figure. L’intimité vous paralyse, vous ne savez pas quoi faire de vos membres et de vos sentiments contrariés. Vous êtes tellement mal à l’aise avec l’idée de vulnérabilité (dans un sens comme dans l’autre) que vous allez tenter, sans même vous en rendre compte, d’annihiler la personne en face.
L'accouplement
Publicité
C’est pour cela qu’il faudra bien différencier les différentes tendances sentimentales de l’année 2020.
- Vous planifiez tout.
Publicité
Toxicologing : Pareil que le collapsologing, à la différence qu’aucun d’entre vous n’est à jour dans ses tests toxicologiques.C’est à peu près la même dynamique hystérique. C’est tout ou rien, vous êtes absolument allergique au compromis. Soit vous vous défilez comme un vulgaire ministre régalien pris en flagrant délit d’abus de biens sociaux, soit vous vous parez de vos plus beaux habits de sociopathe avéré pour y aller à fond, jusqu’à ce que mort s’en suive. Le kärcher est votre meilleur ami, Nicolas Sarkozy votre animal totem. Pour cela, rien ne vaut le slow fading, technique qui consiste à disparaitre progressivement, ou encore le ghosting, simple et efficace, où vous coupez les ponts de manière radicale et définitive.Encore une fois, il faudra bien les séparer pour l’année à venir, afin de savoir à quoi on a affaire.
La rupture
- Vous n’assumez pas.
Publicité
Juan-Branking : Vous déroulez votre petit numéro d’intellectuel forceur complotiste, qui consiste à accuser les grandes puissances financières d’être à l’origine de l’effondrement de votre paradigme couple.2. Vous êtes sans pitié.Barebacking : Vous n’utilisez pas de moyen de contraception en disant que « ça va », uniquement dans le but de lui refiler une IST ensuite pour qu’il/elle vous dégage.OK Booming : À coups de petites piques bien senties et savamment disposées, lui faire comprendre que la différence d’âge commence sérieusement à être un problème. Et qu’il/elle finisse par se sentir vieux et indésirable.Djihading : Vous le/la larguez via Telegram.Là, c’est vraiment le plus fun. Normalement, à ce stade, vous maîtrisez l’art de la communication paradoxale, technique prisée des psychanalystes et des pervers narcissiques, et avez suffisamment amoché votre moitié pour être en mesure d’en faire ce que vous voulez – et tant pis si vous êtes séparés. Selon votre degré de conscience sociopathe et/ou de prédisposition à la fuite, vous agirez de manière soit volontaire, soit en ayant l’air de ne pas y toucher - les deux ne sont pas incompatibles cela dit. Ainsi, le breadcrumbing, qui consiste à disséminer de petites miettes émotionnelles (comme on jette des bouts de pain aux pigeons au parc) une fois la relation terminée, n’aura plus de secret pour vous. C’est encore mieux si vous ne vous en rendez même pas compte.
Le gardage sous le coude
Publicité
La pratique du paperclipping, fait quant à elle référence à Clippy, ce sympathique trombone qui pouvait sortir de nulle part et à n’importe quel moment sur Microsoft Word, pour vous demander si ça allait/vous aviez besoin de lui/d’aide/de quelque chose, alors que vous pensiez que c’était entendu et que tout ce que vous souhaitiez, c’est qu’il dégage pour de bon. Enfin, le cushioning, de l’anglais « rembourrage », consistera à prévoir toujours quelques plans de côté au cas où votre plan principal tombe à l’eau – vous quitte. Ce n’est pas tant lui/elle que vous garderez sous le coude, mais plutôt toutes les inaptitudes à la vie en couple, au compromis et au partage qui s’offriront à vous. Ce qui fait de vous un énorme bébé, barbotant pour l’éternité dans le pédiluve de la maturité affective.Là encore, pour l’année prochaine, il faudra bien distinguer les deux tendances en vigueur.
- Vous êtes lâche et n’avez aucun amour propre.