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Music

Papa Wemba : « Laurent Fabius est très élégant, la façon qu'il a de nouer sa cravate, ça me parle »

À l'occasion de sa venue à la Red Bull Music Academy, nous sommes allés parler succès, politique et sapologie avec la légende du Congo.

Est-il vraiment nécessaire de présenter Papa Wemba ? OK, tentons quand même le coup, pour les trois du fond. De son vrai nom Jules Shungu Wembadio Pene Kikumba, le pilier de la musique congolaise officie depuis maintenant plus de 46 ans. Gloire locale, son succès s'est rapidement étendu à travers toute l'Afrique dans un premier temps, puis bien au-delà du continent. Le bonhomme a des fans jusqu'aux États-Unis et au Japon, a collaboré avec de nombreuses stars, de Youssou N'dour à Peter Gabriel, de Salif Keita à Aretha Franklin en passant même par Ophélie Winter parce qu'un peu d'humour ne fait jamais de mal. On l'a rencontré à l'occasion de sa venue pour la Red Bull Music Academy 2015 à Paris. L'occasion de parler de succès, de sapologie, de longévité, de sa carrière hors du commun et de la cravate de Laurent Fabius. Noisey : C'est quoi le secret pour durer autant dans la musique ?
Papa Wemba : Y'a pas de secret ! Il faut demander à Dieu… Je me maintiens toujours, j'essaie d'être en accord avec Lui. J'essaie de bien me comporter ici-bas. C'est vrai que c'est rare de durer aussi longtemps. Je ne me plains pas, je prends du plaisir. À tes débuts, tu utilisais pas mal l'argot lingala.
Ah oui, et même jusqu'à aujourd'hui, j'utilise l'argot lingala, parce que c'est la langue qui est parlée dans les rues, là-bas. Moi j'ai grandi dans un quartier populaire. Je me considère comme eux et je suis comme eux, on a le même comportement, même si nous n'avons pas la même destinée. On est tout le temps au contact des jeunes, alors on les écoute, et on finit par faire comme eux ! Parmi les jeunes chanteurs congolais, lesquels t'ont convaincu ?
« Convaincre » c'est un bien grand mot parce que je me pose toujours la question de la longévité justement. Tout le monde vient avec son savoir-faire, il y a beaucoup de positif… Mais est-ce que ça va durer ? Nous on en est à 40, 45 ans de carrière comme tu l'as dit. Est-ce qu'ils vont réussir à prolonger leur succès comme nous autres, honnêtement je n'en sais rien. Quand tu repenses à ton parcours et tout le chemin accompli, avec le recul, ça te surprend ?
C'est le rêve… Et en même temps… C'était une sorte de rêve éveillé, quoi. Quand on rêve vraiment de quelque chose, l'invisible devient visible. Parce que oui, on pouvait rêver de l'Europe, de Paris, du Japon. « Voir Paris et mourir », comme on dit. Sauf que j'ai vu Paris et je ne suis pas mort [Rires]. Tout ça c'est des choses pour lesquelles je remercie Dieu. Tout au long de ta carrière tu as fait pas mal de featurings, y compris à l'international d'ailleurs…
Dans la vie on est dans une quête d'apprentissage perpétuelle. Celui qui n'évolue jamais, c'est un imbécile. Moi je crois que c'est ce genre de collaborations qu'on apprend le plus. On a toujours besoin d'un plus petit que soi, on ne sait pas de quoi sera fait demain. Je n'ai pas honte et je n'ai pas peur non plus d'approcher, de côtoyer un plus jeune que moi pour travailler avec lui. Sans doute qu'il m'apportera de la nouveauté, il me fera comprendre des trucs que j'ignorais jusque là. C'est exactement la même chose pour les collaborations à l'étranger. C'est pour ça que j'ai toujours maintenu ce genre d'échanges.

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Le morceau avec Koffi Olomidé, il t'a marqué particulièrement ?
À l'époque c'était une tierce personne qui nous avait permis de se réunir, ça ne s'était pas fait directement. « Wake Up », c'est une des rares collaborations de ce niveau dans la musique congolaise, enfin, dans la rumba congolaise je trouve. Jusqu'à aujourd'hui ça continue de plaire aux gens, ça les a marqués. On a défrayé la chronique, c'est une fierté. Quelle place a la France dans ton parcours ?
J'avais un ami qui était directeur du centre culturel français à Kinshasa. En me voyant faire l'artiste et évoluer à Kinshasa, dans les années 80, il est venu à moi et m'a dit : « Toi, ta place n'est plus ici, je pense qu'il est temps que tu ailles en France et que tu te confrontes à d'autres chanteurs qui sont là-bas, je t'ai regardé chanter ici et tu as la niaque, donc il faut que tu essaies ». Finalement c'est en 1986 que j'ai décidé de m'installer en France pour y travailler, en rencontrant des gens comme Martin Meissonnier et d'autres. C'est à partir de là que tout a commencé réellement. Difficile de parler de Papa Wemba sans parler de la sape. Quand tu revois certaines photos, ça t'arrive de te dire « ok là je suis allé un peu loin quand même » ?
[Rires] Oh oui… Chaque période a son caractère, son tempérament, sa façon de voir les choses. Quand on regarde des photos de nos parents des années 40 ou 50, on peut penser qu'il s'habillait très bien, ou que c'était trop différent. Moi ça ne me dérange pas du tout. Je suis toujours aussi passionné par ça, ça me colle à la peau, je porte ça en moi. Aujourd'hui, je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose mais pour moi la mode est avant tout dans la rue. Quand tu sors dans la rue et que tu observes les gens, leurs habits, leur façon de les accorder : c'est un spectacle formidable !

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Tu as dit un jour « L'Homme blanc a inventé les habits mais c'est nous les Congolais qui en avons fait un art »
[Il éclate de rire] Bon c'est dit de façon marrante mais c'est vrai ! La Sape c'est avant tout congolais, quoi. Même les créateurs, ceux qui ont inventé tous ces vêtements, n'ont pas pu propulser un phénomène comme ça. C'est repris par tout le monde ! Et ça bouge tout le temps : quand je vois Rihanna habillée en tenue presque traditionnelle africaine, je me dis : oh la la, les modes commencent à aller à l'envers ! Et puis il y a plein de stars qui aiment être bien sapées, surtout les chanteurs anglophones, ils s'habillent souvent très bien, j'aime bien leur style et leur façon de s'accorder. Plus que les chanteurs français, je trouve. Les anglais sont beaucoup plus décontractés, c'est très bien. Personnellement ma plus grande folie niveau vêtements, je m'en souviens très bien. C'était à l'époque où ça passait des francs aux euros. J'avais un concert à Bercy et j'ai acheté un blouson qui m'a coûté 60 000 francs. Des francs français, bien sûr, donc aujourd'hui ça ferait dans les 9000 euros. [Il sourit, pensif] C'était de la fourrure, je me rappelle. Quelle est la différence entre les sapeurs du Congo et ceux de la RDC ?
C'est deux styles différents. Le Congo Kinshasa c'est un style assez décontracté, alors que le Congo Brazzaville, c'est costume, cravate, tiré à quatre épingles quoi. Ce sont deux styles, pas opposés, mais distincts. Tu as 66 ans, tu n'as pas l'intention de t'arrêter ?
Comment m'arrêter ? C'est collé à ma peau ! Si j'ai envie, si je peux, je peux. Je reste attentif à ce qui se fait partout, chez les couturiers, dans la rue, partout. En 2015, tout le monde se réclame sapeur. Hier, ce n'était pas le cas du tout. Aujourd'hui, même un homme politique se réclame sapeur à sa façon. Ils se regardent dans le miroir avant de sortir : « Est-ce que ci, est-ce que ça, ça va ? » Moi j'ai toujours eu un faible pour le style de… Hmm… Le ministre des Affaires Etrangères, il est très élégant. Dominique De Villepin ? Ah ouais, sa fille est mannequin en plus.
Non, non, non, l'actuel, celui qui était Premier Ministre sous Mitterrand, son nom m'échappe… Laurent Fabius ?!
Oui, voilà. La façon de nouer la cravate, là, ça me parle.

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J'aimerais bien que tu me donnes ton impression sur le clip de « Sapé Comme Jamais » de Maître Gims et Niska.

Je ne l'avais pas vue encore ! On m'en avait parlé. Le fait que ce soit deux jeunes d'aujourd'hui qui fassent ça, ça montre que… En fait je ne pense pas que ça, que la sapologie disparaisse un jour du Congo. Le jour de la fête nationale, on a accepté que des sapeurs défilent aussi ! C'est accepté et c'est voulu. C'est très bien que des jeunes poursuivent ça en France.

Il y a eu un passage plus sombre dans ta vie, c'est les soucis judiciaires. Mais au final tu t'en es servi pour aller vers quelque chose de positif, c'est ça ?

Bon… Ça, ce sont des choses un peu perso, mais j'ai eu le malheur d'en parler à la presse. Le problème c'est que les médias ont déformé ce que j'avais dit. Je n'ai jamais parlé d'avoir rencontré Dieu et de ne plus faire désormais de chansons d'amour pour ne chanter que Dieu… Non, non, non, non, ce n'était pas ça. J'ai simplement dit qu'à partir de cette période, je me mettais au service de Dieu, mais ça n'avait pas de rapport avec ma musique, c'était moi tout seul.

Tu avais également reçu pas mal de soutiens, y compris de politiques

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Quand on m'avait arrêté, c'était la rencontre des chefs d'état francophones ici. Et dans toutes les chaînes de télévision, la première nouvelle c'était l'arrestation de Papa Wemba, quoi. Donc j'ai eu le soutien du chef d'état gabonais, des chefs d'état des deux Congo et même de Jacques Chirac aussi. Ah ouais ! Il m'avait soutenu.

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Tu es au courant que certains rappeurs citent ton nom depuis pas mal d'années, que ce soit par rapport à ton statut ou simplement pour la sape ?

Ça me fait plaisir… Quand les enfants citent ton nom, c'est toujours un plaisir, il faut pas mentir.

Du coup ce serait envisageable une collaboration avec un rappeur ?

Oui. Mais je ne suis pas sollicité. Peut-être tout simplement parce que je ne vis plus à Paris. Mais moi je ne suis pas fermé du tout. Ah oui, si ça arrive, ça arrive ! Au contraire je suis très très ouvert. Et cool !

Quel est ton meilleur souvenir ?

J'en ai beaucoup trop ! Je prendrai l'exemple non pas d'un concert mais d'un voyage, quand je suis allé à l'embouchure du fleuve Sénégal. C'était incroyable, quoi. Comme si j'étais en train de renaître. Magnifique… J'étais avec un ami français, et on sait pas comment, mais on était là, et on était tout nus. Heureusement qu'il n'y avait personne [

Rires

]. L'autre grand moment c'est quand je suis allé au Cap des Aiguilles, là où l'océan Indien et l'océan Atlantique se croise. Le Zanzibar m'a également beaucoup marqué, ainsi que la visite de l'Île de Gorée avec le professeur Joe à l'époque [

Boubacar Joseph Ndiaye

]. Tout ça, ce sont des temps forts de ma vie.

Quelle a été ta plus grosse surprise, au niveau public et concert ? L'endroit où tu ne te voyais pas forcément jouer mais qui t'a réservé un bon accueil ?

Hmm… C'est vrai qu'il y a le Japon… Mais en réalité, c'est la salle de l'Olympia. Parce que c'est une salle mythique après tout. Franchement j'ai fait des salles comme le Madison Square Garden à New York, le Skydome à Toronto, mais l'Olympia c'est au-dessus. Parce qu'il y a un côté historique que je ne vois pas ailleurs.

Vous pouvez regarder l'intégralité de la conférence de Papa Wemba à la Red Bull Music Academy Paris ici. Vous pouvez suivre l'intégralité des pérégrinations de Yérim Sar sur Twitter.