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Food

Je suis « goûteur » pour les émissions de bouffe à la télé

Et mon métier consiste à avoir l'estomac du genre très bien accroché.

Si vous êtes un habitué des émissions de téléralité culinaire, genre Top Chef ou Master Chef, vous avez forcément déjà eu envie de taper dans l'un de ces plats bien luisants qui tournent en gros plans devant les caméras. Au moins une fois, pour le kiff. Il est également fort probable, que vous ayez déjà bavé au moment où les jurés dégustent une par une les créations culinaires des candidats. C'est parce qu'à la télé, la bouffe a toujours l'air délicieuse.

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Mais il ne faut pas croire : avant que des grands chefs comme Gordon Ramsey ou Jean-François Piège ne s'envoient dans le gosier des belles lampées de bouffe bien cuisinée, la nourriture doit avoir été contrôlée et approuvée par une machine à goûter infaillible : ma bouche.

Je suis goûteur professionnel pour les compétitions de cuisine à la télévision et je fais aussi passer les castings pour sélectionner les meilleurs candidats avant l'enregistrement des émissions. C'est moi qui goûte le bon, le mauvais et le vraiment dégueu, afin que seuls ceux qui ne m'ont pas refilé la courante avec leurs plats soient retenus pour la suite de la compétition. Mon boulot consiste essentiellement à sillonner le pays et à tester tout un tas de plats que des amateurs ou des vrais chefs m'ont mitonné. J'ai goûté à toutes les spécialités locales des États-Unis et j'ai testé à peu près tout et n'importe quoi. J'ai testé des trucs aussi bizarres que « les crevettes aux grumeaux de maïs » (servies par une grand-mère à Nashville) qu'un plat de calamars fourrés au chorizo, sobrement intitulé « Surf and Turf » parce qu'il était censé évoquer les accords « terre et mer » (servi par un chef étoilé). De mémoire, les deux plats défonçaient vraiment.

Alors que mes amis s'imaginent parfois que j'exerce un job de rêve, la réalité est beaucoup plus brutale : je risque l'accident du travail sur chaque tournage – l'intoxication alimentaire est un vrai risque professionnel pour moi.

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On s'amuse parfois à faire des pierre-feuille-ciseaux pour savoir qui va se taper les huîtres crues qui ont tourné ou bien les salades d'oeufs pourris.

Heureusement, je n'ai aucune allergie alimentaire. Si ça se trouve, c'est juste pour cette raison que l'on m'a embauché. Bon, j'exagère parce que je suis quand même pas mal calé niveau bouffe et à force de faire travailler mon palais, je suis devenu capable de repérer toutes les subtilités. Je tiens sans doute cette compétence au fait que je bosse aussi pour un magazine gastronomique assez réputé de Los Angeles, et à ma chère mère qui m'a nourri, dès le plus jeune âge, avec des aliments, disons, « pas faciles à faire apprécier à un mioche » plutôt qu'avec de la bouillie industrielle. Malgré tout, je ne suis toujours pas suffisamment immunisé contre les plats mal cuisinés ou conservés n'importe comment.

Nous autres goûteurs pour les shows télé, on aime bien jouer avec le feu. On s'amuse par exemple parfois à faire des pierre-feuille-ciseaux pour savoir qui va devoir se taper les huîtres crues qui ont tourné ou bien les salades d'oeufs pourris qui ont fait le tour des États-Unis avant de nous parvenir. Je perds tout le temps à ce petit jeu et c'est ce qui m'a donné la réputation d'avoir un estomac en béton. Je touche du bois car pour l'instant, je n'ai jamais souffert d'aucune intoxication.

J'ai toujours évité l'intoxication, mais cela ne m'empêche pas de volontairement me faire vomir quand je tombe sur des plats vraiment suspects pendant les épreuves de sélection.

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Pour survivre dans ce monde-là, j'ai longtemps cru que mon salut passait par le fait de me faire vomir.

Étant donné que certains de ces castings sont ouverts à tout le monde, on ne sait jamais combien de candidats vont se pointer et donc combien de plats seront finalement à tester. Il faut savoir gérer son sentiment de satiété. C'est une course d'endurance et je l'ai un peu appris à mes dépends à mes débuts.

À l'époque, pas besoin de pierre-feuille-ciseaux : je goûtais systématiquement les plats de tous les candidats. Dès qu'un plat avait l'air appétissant, j'en mangeais une part bien généreuse et s'il s'avérait effectivement délicieux, j'y retournais, une fois, deux fois, etc. Je mangeais comme s'il s'agissait de l'un de mes repas de la journée, ce qui n'était pas du tout une bonne technique étant donné que le genre d'émissions pour lesquelles je bosse drainent généralement beaucoup de candidats. En général au bout d'une heure, mon estomac disait stop. Le problème, c'était qu'il en restait sept. Je n'avais pas d'autre choix que de continuer. Pour garder ce job, j'étais prêt à tout : je traversais incognito le troupeau de candidats pour rejoindre les toilettes, je fermais la porte et je vomissais tout ce que j'avais, le plus discrètement possible. C'était devenu presque la routine : je me faisais gerber deux fois par jour. Pour survivre dans ce monde-là, j'ai longtemps cru que mon salut passait par le fait de me faire vomir.

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Mais le danger ne vient pas seulement des plats – parfois il faut se méfier des candidats eux-mêmes. Très vite, j'ai compris qu'il ne fallait jamais vraiment dire à un cuisinier professionnel ce que l'on pensait de son plat. Particulièrement si je l'avais trouvé mauvais ou raté.

C'est pour éviter les situations qui dégénèrent que l'on est obligé d'avoir des policiers en permanence sur les plateaux.

Je me souviens d'une anecdote en particulier avec un de ces « cuistots pros » auto-revendiqués. Il avait trois minutes pour dresser son assiette et j'étais en train de l'observer en train d'assembler son sandwich jambon fromage. Je l'ai bien maté et au bout d'une minute j'en ai déduit qu'il était clairement en train de nous prendre pour des cons : il en rajoutait un max en allant très lentement pour placer sa tranche de pain de mie en sachet, pour séparer les tranches de jambon et les tranches de fromage, pour mettre de la moutarde et de la mayo en tube par-dessus. Sa « touche perso » fut de couper le sandwich dans la diagonale et de dresser les deux parties l'une sur l'autre.

Techniquement, le mec n'avait strictement rien cuisiné, ni fait mariné, ni modifié aucun ingrédient – il avait juste assemblé un putain de sandwich. Quand je lui ai fait remarquer, il a dit qu'il voulait prouver qu'on pouvait faire de la bonne cuisine en utilisant des ingrédients de qualité. Je lui ai dit « d'accord, mais ici on est dans un concours de cuisine. Et techniquement, vous n'avez rien cuisiné ». Je l'ai gentiment remercié de nous avoir accordé son temps pendant qu'il continuait de m'aboyer dessus sans même répondre aux questions des autres goûteurs. Il disait des trucs du genre : « Mais quel enfoiré ce juré ! Il se prend pour qui à remettre en question ma cuisine ? ». C'est pour éviter ce genre de situations qui dégénèrent que l'on est obligé d'avoir des policiers en permanence sur les plateaux.

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Une autre fois, en plein milieu d'un casting, un candidat a exigé que je lui fournisse des preuves que j'étais suffisamment qualifié pour juger sa cuisine. Le type avait clairement pris la grosse tête : il s'était ramené avec une toque de chef et il empestait l'eau de Cologne bon marché. Et derrière les fourneaux, il se comportait comme un vrai connard. L'idée de se faire juger par « quelqu'un du show-business » ne lui revenait pas du tout. Au sujet de ma légitimité, je lui ai répondu mon expérience venait de ma capacité à bien vouloir foutre un peu de ce qu'il avait cuisiné dans ma bouche. Ça l'a calmé direct et les autres candidats se sont foutus de sa gueule.

Plus rarement, je me retrouve dans des plans vraiment bizarres et le seul truc qui me passe par la tête c'est : « what the fuck ? » Comme cette fois ou un chef gay, assumé et très distingué, m'a fièrement présenté son plat : une spécialité originaire du Pays de Galles à base d'abats et qui répondait au nom de « faggot » . J'avais déjà entendu parler de ce plat avant ce jour-là, mais je ne savais pas à quoi cela ressemblait et lui, il s'était bien gardé de me le préciser. Au lieu de ça, il m'a regardé avaler son plat avec des yeux pleins d'excitation. Et puis il m'a annoncé, le plus normalement du monde : « tu viens de te faire un faggot ! » J'étais à deux doigts de m'étouffer de rire.

C'est vraiment une chance de pouvoir goûter à toutes les spécialités du pays. J'ai remarqué que plus on allait dans des zones urbaines, plus il y avait de diversité niveau cuisine – on trouve de plus en plus de bons restaurants mexicain ou vietnamien aujourd'hui aux États-Unis.

Mais malgré toutes ces péripéties, c'est est vraiment un rêve qui se réalise. J'aime profondément mon boulot et les programmes sur la bouffe. Je rencontre des gens qui ont connu toutes sortes de parcours dans leur vie et qui sont prêts à partager avec moi un peu de leur intimité, de leurs plats favoris, de leurs recettes de familles et de leurs pêchés mignons. Un jour, on m'a fait goûter à un riz wolof du Nigéria dont le secret de la recette était détenu par la grand-mère du participant. À chaque émission, j'en apprends toujours plus sur la nourriture. Je découvre, par exemple, comment les gens sont tombés amoureux de la bouffe, comment certains candidats ont dû apprendre à cuisiner très jeunes pour survivre car ils étaient livrés à eux-mêmes, comment certaines personnes ont dû changer leur régime à cause de problèmes de santé allant du diabète au cancer. Je découvre encore comment des chefs ont eu un jour une révélation pour la cuisine qui les a poussés à démissionner de leur taf pour se lancer dans la gastronomie.

Quand je demande aux candidats ce qui les passionne dans le fait de cuisiner, la réponse qui revient toujours, c'est « le bonheur de voir des visages des autres quand ils goûtent quelque chose que l'on a créé ».

En y réfléchissant un peu plus sérieusement, si je considère que je mérite vraiment ce job, ce n'est à mon sens pas vraiment pour mon sens du goût, mais plutôt pour ma capacité à écouter les gens. Je goûte avec mes oreilles. Vous pouvez essayer ce truc un de ces quatre, c'est pas mal.