Il y a d’abord deux corps, nus, et une scène de sexe filmée comme un porno soft. Puis, le visage de Félix Maritaud, qui crève l’écran. Consacré à la prostitution de rue masculine, Sauvage, le premier long métrage de Camille-Vidal Naquet, doit en effet beaucoup à son acteur principal. Léo, le jeune homme que Félix Maritaud incarne à l’écran, passe de client en client, embrasse ou n’embrasse pas – et semble s’offrir sans crainte. La caméra de Camille Vidal-Naquet, souvent à hauteur d’épaule, nous trimballe d’un bord d’autoroute à l’appartement d’un bourgeois, d’un squat miteux à un cabinet de médecin.
Du monde de la prostitution de rue, Camille Vidal-Naquet filme tout : les corps usés, les coups, la peur, mais aussi la joie et la tendresse – ces drôles d’instants volés dans un monde de misère. Interview
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Vice : Votre film parle d’un sujet éminemment politique : la prostitution. Pourtant, à aucun moment, pourtant, vous ne semblez prendre parti. Pourquoi ?
Camille Vidal-Naquet : D’abord, il n’y a pas une seule prostitution mais « des » prostitutions. Celle des femmes, régulièrement représentées au cinéma – pas toujours très bien, d’ailleurs. Et celle des hommes. Celle-ci est généralement associée à l’escorting, donc à de beaux et jeunes garçons qui travaillent sur internet. Mais c’est oublier que les travailleurs du sexe n’ont pas tous accès à internet ! Certains se prostituent – et vivent – dans la rue. Et tous ne sont pas musclés ! Certains sont mêmes vieux…
Mon film parle de leur rapport au corps, à l’hygiène, au plaisir. Est-ce qu’il est politique ? Il n’est, en tous cas, pas un manifeste « pour » ou « contre » le travail du sexe. Je n’y glorifie pas la prostitution, mais je ne la condamne pas non plus. Dans la mise en scène, comme dans l’écriture, j’ai toujours essayé de garder un regard bienveillant. Avant d’être des prostitués, ce sont des gens avec des personnalités, des histoires, des vies, des peines…et des joies. Dans ce sens-là, le film devient politique. Il montre des invisibles, des gens très pauvres aussi, dont on connaît l’existence, mais dont on ne sait rien.
D’ailleurs, je me suis souvent demandé si les spectateurs n’allaient pas être désarçonnés de voir que gens exerçant un métier si dur puissent, aussi, connaître des moments d’amitié, de tendresse et de rire. Car un film sur la précarité, qui ne montre pas que des scènes de souffrance, ça peut surprendre…
Qu’est-ce qui vous a conduit à traiter de ce sujet-là ?
Je ne me suis en tout cas jamais dit que j’allais faire un film social sur la prostitution masculine. Sauvage n’est d’ailleurs pas un film à sujet – mais un film à personnage. Je suis d’abord parti d’un personnage, de cette image d’un garçon qui marche dans la rue. J’avais en tête l’idée d’un chemin de croix : celui d’un mec de vingt ans, seul, face à la dureté du monde, qui tire sa force du fait qu’il n’a aucune possession, mais qui, en même temps, cherche de l’attention. L’idée qu’il se prostitue est venue après.
A ce moment, je me suis demandé si ça existait encore, les mecs qui bossent dans la rue. Dans les années 90, la place Dauphine était pleine de garçons qui se prostituaient. Mais aujourd’hui ? Sans avoir la réponse, j’ai écrit mon scénario. Et c’est seulement dans un deuxième temps que je suis allé chercher mes réponses. J’ai contacté une association pour essayer de comprendre. Je voulais y rester deux semaines, j’y suis resté trois ans. J’ai presque oublié de faire mon film !
Comment se retrouve ce travail de terrain dans le film ?
Chaque échange a nourri l’écriture. Certains garçons ne disaient rien sur leur boulot, d’autres le racontaient très en détail. J’ai été très touché, bouleversé même, par la douceur et le courage de ces mecs. C’est ce que j’ai cherché à faire apparaître dans le film.
Je crois que les personnages secondaires sont assez fidèles à certains profils, à certaines personnalités que j’ai rencontrés. Le personnage principal, lui, est totalement inventé. Il est inconscient, ce qui n’était jamais le cas pour ceux que j’ai connu.
L’autre chose frappante, dans votre film, est la manière dont vous racontez les clients. Vous montrez par exemple une scène de sexe entre deux garçons valides et un autre handicapé. Ce qui assez rare pour être souligné.
J’ai aussi essayé de ne pas juger les clients. En me basant sur ce qu’on m’a raconté, j’ai compris qu’il y avait toutes sortes de types. Certains sont sans pitié et ont des comportements inacceptables. D’autres sont dans une solitude extrême. D’autres encore ne se posent pas de questions et ne sont là que pour consommer. Dans le film, on voit des clients se faire tailler une pipe en deux minutes dans une bagnole et des « sugar daddy » payer pour avoir quelqu’un dans leur vie…
Et puis, oui, mon film démonte cette idée, très répandue, qui affirme que lorsque l’on est vieux, gros et moche, on n’a pas de sexualité. Même chose pour les handicapés. C’est un tabou alors qu’ils souffrent d’une grande misère sexuelle. Or, ces débats que la société évite, ces garçons, eux, se les cognent !