Un week-end à la plage avec les vendeurs ambulants

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Un week-end à la plage avec les vendeurs ambulants

Beignets, chouchous, petites glaces et grosses chaleurs : on est allé à Carnon suivre le quotidien de ceux qui régalent et rafraîchissent les vacanciers.
AC
illustrations Al Clipart

« L'année dernière, on sentait la tension, entre cette histoire de crise et les attentats, les ventes étaient nulles. Mais là ça commence très fort : en mai, j'ai déjà fait des chiffres équivalents à ce que j'ai pu faire l'été dernier à la pleine saison ».

Frank est gonflé à bloc.

Bouc, lunettes aviator miroir et chapeau blanc, le quarantenaire pose les bases de cette saison 2017 derrière une charrette siglée « Ho Ho la bonne glace », une des plus grosses écuries de vendeurs ambulants à Carnon. En ce deuxième samedi de juin, les plages de la station balnéaire héraultaise sont déjà bien garnies. Et le ballet des charrettes a commencé. Ils sont une trentaine à s'animer sur les 3 bons kilomètres de sable, coincés entre La Grande Motte et Palavas les flots, plutôt foulés par des gens du coin.

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Loïc tire son chariot sous un soleil de plomb, la tête à l'ombre d'un large chapeau de paille. Même pas vingtenaire, le garçon discret est employé par Magoo, une autre équipe bien représentée à Carnon. Il arpente les derniers épis avant le Petit Travers, depuis trois ans. « J'ai commencé quand j'étais en classe de première pour me faire un peu de sous l'été, j'ai tout de suite bien accroché sur le côté commercial et contact avec les gens », rembobine-t-il. Sous son parasol, un serpent gonflable s'entortille. Nicolas, quant à lui, a tout juste 20 ans et c'est son deuxième jour en tant que vendeur de beignets « Loulou », LA référence du coin quand il est question de corps spongieux fourré au nutella ou à la pomme. Les précieux sont bien sagement disposés entre deux drapeaux tricolores sur un plateau que Nicolas porte sur sa tête.

Les beignets sont servis natures ou fourrés à la pomme, au nutella ou la confiture d'abricot.

Les jeunes sont nombreux à opter pour ce boulot d'été que l'on exerce les pieds dans le sable. Mais la moyenne d'âge est finalement plus élevée qu'on pourrait le croire : on ne croisera pas de vendeurs dans la trentaine – soit ils sont plus jeunes, soit ils sont plus âgés. Souvent, ils sont bien connus des vacanciers qui retrouvent les mêmes personnages chaque été. Il y a « Maradona » avec son do-rag noir et son chariot aux roues inclinées vers l'extérieur. « José », le boss de Ho-ho la bonne glace, qui mouille le maillot régulièrement. Ou encore Anne, qui gère Magoo avec son mari. Dans la profession, les filles ne sont pas en reste – elles sont bien représentées et elles vendent d'ailleurs souvent mieux. Frank, un vendeur qui ne fait pas ses 49 ans, nous raconte son rapport au métier sans ambages. Il y a sa naissance au Sénégal et puis une vie dans l'aéronautique, entrecoupée d'étés à bosser sur la plage : « J'ai commencé il y a plus de 20 ans et depuis, j'y reviens dans des moments de transition, comme en ce moment où je passe des qualifications pour évoluer dans mon boulot », explique-t-il pendant une pause. Il soulève son chapeau et tamponne la transpiration qui perle sur son front avec un petit chiffon.

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Embauchés ou indépendants, les vendeurs se différencient par la décoration de leurs chariots.

Du Petit Travers à Carnon Ouest en passant par Carnon Est ou par la plage du port, la fréquentation change du tout au tout. Toute la subtilité des vendeurs est de s'adapter à ces typologies et de trouver « leurs » clientèles. « Sur ma zone il y a un parking payant, de belles résidences, et des familles plus aisées, j'aime bien ce secteur », explique Loïc. À Carnon Ouest, Taha finit de vendre des canettes de soda à deux jeunes qui s'en serviront pour diluer leur alcool fort – il est 10 heures du matin. « À plus tard les gars ! » Taha enchaîne : « ici les clients sont très populaires, ça fonctionne parfois moins bien avec certains vendeurs, alors que moi je suis plus familier et ça passe mieux ». Du côté du Petit Travers, Frank a identifié son « public » : « À mon âge, je travaille plus les familles, alors que mon collègue Julien, un petit jeune plus bodybuildé, il marche mieux avec les homos au 73 (le nom d'un accès à une zone de la plage traditionnellement fréquentée par la communauté homosexuelle, N.D.L.R.), surtout quand il se met torse nu » sourit-il. Il se lance dans son chant, celui qui lui permet d'être entendu de loin et de faire lever le nez de leur bouquin aux clients potentiels.

Le contenu des charrettes varie peu d'un concurrent à l'autre. Le tronc commun se compose de beignets, de glaces, de boissons, de thé et de café. Si les beignets Loulous sont faits artisanalement par les patrons de Nicolas, ceux que vend Loïc ne le sont qu'à moitié : « Ils arrivent tout prêts, et on les fourre avec des confitures d'abricot et de banane maison faites par mon patron. » « Au début j'en mangeais plein, mais j'ai fait une overdose », se marre Nicolas.

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Nicolas travaille pour Loulou Beignet.

Si la marque Loulou règne sur le game du beignet – et en écoule près d'une soixantaine par jour et par vendeur –, pour les autres, les ventes de beignets baissent depuis quelques années. Taha, lui, vend beaucoup plus de canettes que ses collègues, mais ce qui se vend le mieux, ça reste les glaces et en particulier les Magnum. Même constat chez Loïc, qui apporte une nuance : « Ça dépend de la météo, il y a un temps qui donne soif et un qui donne faim : s'il fait super-chaud et sec je vends plus de glaces à l'eau et de bouteilles d'eau, alors que s'il fait chaud et humide c'est plutôt des beignets et des Magnums. » Depuis cet été, Loïc trimballe aussi une nouveauté : une exclu' sur la plage, des paletas, ces glaces à l'eau et au fruit affublées sur l'affichette d'un « 100 % naturel » qui fait son petit effet.

Selon la météo, la journée des vendeurs peut-être plus ou moins longue. Les jours de grand beau, l'affaire commence vers 10 heures au dépôt pour remplir le chariot : « On embarque environ 400 euros de marchandise dans le chariot, c'est nous qui ajustons en fonction de comment on évalue la journée, et si on vend tout on peut se faire recharger, explique Loïc, mais ça n'arrive que rarement, le 14 juillet ou les jours fériés, par exemple. » Pour les vendeurs qui appartiennent à une écurie, le système est le même : ils récupèrent un tiers de la recette du jour. Et là aussi, ça dépend pas mal de la météo et de la fréquentation. « Sur ma zone, la recette navigue généralement entre 150 à 300 euros par jour, donc autant 100 euros la journée je suis content, autant 50 euros je suis dégoûté, témoigne Loïc. Par contre, c'est tout en liquide alors c'est difficile de mettre de côté ».

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En face du parking du début du Petit Travers, la bande de sable est plus fine et les serviettes jouent à touche-touche. Cette concentration a forcément une influence sur la demande pour les vendeurs du secteur. Sauf qu'ils sont généralement plus nombreux. Frank couvre un secteur plus grand, à l'abri des dunes, juste avant le Grand Travers. Moins fréquentée, sa zone lui permet de très bien s'en tirer, d'autant plus qu'il bosse 7 jours sur 7 de début juin et fin août. « Pour un bon vendeur, ici c'est entre 100 et 150 euros par jour, donc si tu calcules, à la fin du mois tu approches le salaire d'un ingénieur », assure Frank. Financièrement, le meilleur spot de Carnon, c'est celui de Taha », croit quant à lui savoir Loïc. « 1500-1600 euros net par mois, sans bosser tous les jours, c'est sûr que c'est mieux que le smic que je touchais quand je bossais dans un snack il y a deux ans », tranche Taha.

L'équation est un peu différente pour les quelques indépendants qui font commerce en solo. Ils ne sont pas plus de 10 sur tout Carnon. On retrouve André, un solide petit bonhomme blond qui a fait un an chez Ho Ho, avant de se lancer. Gardien d'une plage privée la nuit, il balade le week-end sa cariole en forme de bateau qu'il a bricolé avec son père. Alors qu'il dépasse Frank, celui-ci lui glisse un mot gentil. « Sur le Petit Travers, l'ambiance entre la concurrence est très détendue, chacun fait son beurre ». S'il est en très bons termes avec son principal concurrent, Loïc se souvient d'un vendeur qui, lors de sa première année d'exercice, l'avait menacé pour l'intimider. Il se souvient aussi d'un autre indépendant qui ne répondait jamais à ses « bonjours ». Guillaume, un ancien de Sorbet Coco, raconte qu'il y a quelques années, l'ambiance était beaucoup moins bon enfant : « L'embrouille typique, c'était le gars qui allait te croiser et qui faisait demi-tour juste avant toi pour te précéder et te piquer des ventes. » Il y a aussi quelques bisbilles entre vendeurs d'une même équipe. L'attribution d'un secteur, et de sa clientèle, fait parfois grincer quelques dents. Jules, un ancien saisonnier, est passé par une grosse écurie et se rappelle que l'attribution des secteurs entretenait une ambiance délétère, qui l'avait poussé à démissionner avant la fin de l'été.

Frank, quant à lui, apprécie toujours le calme de son petit bout de plage du lundi matin : « en 2 heures j'ai fait 10 euros, donc je nettoie la plage, j'ai déjà vidé un seau entier de merdes que j'ai ramassées depuis ce matin. » La veille, à l'autre bout de Carnon, Taha s'enthousiasmait pour son boulot d'été, tout en prévenant : « par contre le bronzage est dégueulasse. »