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alimentation

Personne ne veut manger de viande produite en laboratoire

L’industrie agroalimentaire in vitro devra trouver d’autres stratégies marketing pour nous faire manger ses steaks : les arguments écolo ne sont pas suffisants.

Même si le premier hamburger 100% organique produit en laboratoire date de 2013, l'industrie de production de viande in vitro ne s'est guère développée depuis. À l'époque, nous étions persuadés que les escalopes in vitro allaient apparaître spontanément dans les rayons des supermarchés, mais même si les biotechs appliquées à l'alimentaire ont considérablement progressé et que les coûts de production ont chuté, un obstacle important demeure : comment convaincre les gens de manger une aile de poulet qui n'a jamais appartenu à un poulet ?

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L'industrie espérait qu'en ayant recours à des arguments environnementalistes, les mangeurs de viande, sa principale cible, seraient encouragés à goûter des hamburgers d'un nouveau genre. Hélas, l'histoire nous montre que la perspective de sauver la planète n'a jamais motivé grand-monde à bouleverser ses habitudes de consommation. De toute évidence, pour les omnivores, l'idée même de mâcher un produit à base de viande qui ne proviendrait pas d'un animal vivant est absolument répugnante. Les producteurs sont donc contraints, aujourd'hui, de mettre de nouveaux arguments sur la table.

David Kay est analyste pour l'entreprise Memphis Meats, qui a présenté son nouveau poulet in vitro à la presse cette semaine, ainsi que son canard du même acabit. Il explique que l'objectif de l'entreprise est de réaliser un produit en tous points identique à la viande (aspect, saveur, odeur, consistance), et surtout, de convaincre le public que les produits in vitro sont meilleurs que les produits animaux traditionnels.

« Nous ne nous souhaitons pas demander aux gens de changer entièrement leur régime alimentaire », explique Kay. « Nous nous contentons de proposer un produit que les gens consomment depuis des millénaires, en utilisant un processus alternatif qui est meilleur pour l'environnement, le bien-être animal et la santé publique. Nous pensons qu'en communiquant plus efficacement sur ce sujet, les consommateurs auront enfin la curiosité de goûter nos produits et seront immédiatement convaincus. »

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La viande in vitro est réalisée en collectant une petite quantité de cellules souches sur un animal vivant ; celles-ci seront ensuite cultivées dans le substrat approprié et se multiplieront naturellement afin de produire du muscle et de la graisse. Cette méthode utilise beaucoup moins de surface et d'eau que l'élevage industriel. Elle produit également beaucoup moins de gaz à effet de serre, et ne nuit pas au bien-être des animaux. De plus, le fait que la viande soit produite in vitro permet de modifier ses propriétés nutritives (proportion de graisses, protéines, vitamines) sur demande. Dernier avantage, non négligeable : contrairement à l'élevage traditionnel, la production de viande in vitro n'exige pas d'utiliser des antibiotiques en masse afin de protéger les animaux des maladies, et ne contribue donc pas à l'émergence de superbactéries résistantes aux antibiotiques.

Hélas, les considérations environnementales échouent généralement à motiver un changement de régime alimentaire. Même si le lien entre consommation de produits animaux et changement climatique est établi, la plupart des gens n'ont pas une idée précise de l'impact réel de la production de viande sur l'environnement. Pourtant, le public est conscient que l'élevage industriel est souvent synonyme de maltraitance animale, et le déplore. Il n'en est pas moins que seuls 3% des Américains s'identifient comme strictement végétaliens ou végétariens. Nos régimes alimentaires sont très solidement ancrés dans nos cultures ; en outre, ils sont liés à des pratiques sociales et à des enjeux identitaires qui ne pourront jamais être bouleversés du jour au lendemain. Même si nous savons en quoi la production agro-alimentaire pose problème aujourd'hui, rien n'est plus difficile que de changer le contenu de son assiette.

« Lorsque l'on songe à la viande in vitro, notre première pensée est de se dire qu'elle est nécessairement répugnante, sans saveur, parce qu'elle n'est pas 'naturelle' - mais en quoi l'élevage industriel l'est-il davantage ? », demande Suzanne Lipton, experte en alimentation durable et chef de projet à l'Institut de la Terre de l'Université Columbia. « Si la viande produite en laboratoire était moins grasse, plus protéinée, moins calorique et moins chère que la viande animale, peut-être arriverait-on à convaincre les consommateurs de l'essayer. Les arguments diététiques et économiques seront toujours plus forts que les arguments écologiques.»

Memphis Meats estime que d'ici 2021, elle sera en mesure de proposer des produits bon marché capables de séduire les consommateurs. De nombreux experts estiment d'ailleurs que, une fois produite à grande échelle, la viande in vitro pourra être vendue moins cher que la viande traditionnelle. À ce moment-là, peut-être que nous serons soudain animés par une sincère conscience écologique. Qui sait.