La tête dans le mollusque : 24 heures à la fête de la coquille Saint-Jacques

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La tête dans le mollusque : 24 heures à la fête de la coquille Saint-Jacques

N'écoutant plus que le Pantagruel qui sommeillait en moi, j'ai décidé d'aller faire un tour du côté de ce festival pour amateurs de bivalve, le seul vrai eldorado pour fines gueules.

C'est une première pour la rade de Paimpol, cette petite ville portuaire des Côtes-d'Armor. Cette année, à l'occasion du dernier week-end d'avril, les stands et les planchas s'activent aux quatre coins du port, laissant aux narines le luxe de profiter à la fois des embruns de la Manche et des émanations de grillades. Après mes aventures au pays de la charcuterie, un tour de France présidentiel au salon de l'agriculture très porté sur la terre et peu sur la mer, j'avais décidé d'embarquer le Pantagruel qui sommeillait en moi en villégiature printanière du côté de la Fête de la coquille Saint-Jacques, un véritable eldorado pour fines gueules.

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Le kilo de Saint Jacques fraîchement sorti du bateau est à peine à 3,50 euros. Toutes les photos sont de l'auteur.

Mon double rabelaisien et moi-même prenions donc la direction du fameux rassemblement qui se déroule chaque année en haute saison dans l'un des trois ports de pêche des Côtes d'Armor : Erquy, Saint Quay Portrieux ou, pour la première fois donc, Paimpol. Crée en 1992 par le Comité des Pêches du département pour pallier une double crise du gasoil et du commerce des produits de la mer, elle s'est vite imposée comme l'un des festivals culinaires les plus populaires du coin. Pour info la coquille Saint-Jacques dans la région, c'est 240 tonnes de mollusques traitées par semaine – à l'international, c'est un produit d'exportation reconnu et dégusté sur les meilleures tables du monde.

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Jour d'intronisation chez les Chevaliers de la Coquille Saint-Jacques des Côtes-d'Armor.

Quand on arrive sur le port, les hostilités viennent à peine d'être lancées. Dans la foule, on croise des locaux, des touristes, quelques notables un peu bourrés et les représentants de nombreuses confréries culinaires de France. Au stand des étudiants pécheurs de l'École Maritime, le kilo de Saint Jacques fraîchement sorti du bateau est à peine à 3,50 euros, une aubaine pour les amateurs présents ce jour-là qui s'empressent de remplir leurs filets de provisions.

Mais pas le temps pour les emplettes car j'ai rendez-vous avec la Confrérie des Chevaliers de la Coquille Saint-Jacques des Côtes-d'Armor. Ces patrons qui paradent en habits d'apparat ont juré de promouvoir la coquille Saint-Jacques à travers la France et le monde. Ils se sont aussi promis de protéger les valeurs culinaires et gustatives du bivalve, envers et contre tout. Je déboule en pleine séance d'intronisation de nouveaux membres. C'est une cérémonie très solennelle : sur une scène au bout du port, les aspirants chevaliers sont alignés et tiennent chacun une coquille Saint-Jacques vide dans leur main. Le grand Maître de la confrérie passe alors dans les rangs par deux fois pour remplir les coquilles d'un breuvage mystérieux. « A priori, la première fois, c'était de l'eau de mer. La seconde, un vin blanc sec », m'annonce l'une des victimes.

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Alors que le manège se poursuit et que l'intronisation des nouveaux membres s'enchaîne, vient le tour de Gisèle : « Originaire d'Alsace mais Malgache d'adoption, sa spécialité, c'est de ramener des caisses de Rhum sans se faire choper par la douane », annonce le président, tout sourire. « À table, rien ne m'abat ! », rétorque Gisèle du tac au tac. Plus tard, tout ce petit monde partira rejoindre les autres confréries de bouche autour d'un banquet donné à la salle des fêtes du port.

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Mine de rien, la Confrérie des Chevaliers de la Coquille Saint-Jacques peut compter sur deux représentants de marque parmi ses membres : Michou et Gérard Depardieu. « Gégé a prêté serment lors du tournage du film DISCO. On aperçoit d'ailleurs la confrérie dans le film », crâne fièrement Jean, l'un des fondateurs de l'association. Mais est-ce que les stars savent la cuisiner ? Quand on essaie de savoir quelle est la meilleure façon de savourer la Saint-Jaques, la réponse est claire comme l'eau de roche : « Un aller-retour sur la plancha, une noisette de beurre et en avant. En brochette c'est pas mal aussi. »

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Cali chante la Saint-Jacques.

Pour le vérifier, direction la tente de l'Association culinaire de Paimpol. C'est ici, dans une petite cuisine improvisée derrière le chapiteau de la scène principale que les planchas et les friteuses rugissent. Au-dessus des planchas, Romain Hardy, un jeune chef de la région, propose un menu unique : des Brochettes de Saint Jacques grillées au gingembre ou au cidre de Paimpol. Pas de tricherie sur les brochettes : comptez 6 à 7 grosses Saint-Jacques par personne, auxquelles on ajoute des frites et quelques verres du fameux jus de pomme fermenté local.

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Les brochettes englouties, on se laisse surprendre par des notes en provenance du parking, juste en face. On suit alors la foule qui presse le pas vers la grande scène, en rythme avec les coups de batterie. C'est au moment où vous pensez avoir tout vu dans la vie que vos certitudes décident de voler en éclats : croyez-moi, quand Cali, le chanteur Perpignanais, surgit sur scène devant nos amis bretons hébétés, tout est remis en question. Il jouera trois singles en guise de balance – l'équivalent de 3 brochettes en temps de dégustation.

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Alors que des coquilles de Saint-Jacques vides commencent à sérieusement s'entasser autour de moi, je décide de tracer à l'autre bout du port, à la découverte des stands des producteurs Bretons. Rendez-vous chez Philippe Mordeles, artisan de bouche spécialisé, entre autres, dans le kouign-amann. La recette de ce gâteau, ô combien emblématique de la Bretagne, pourrait se limiter à deux de ses principaux ingrédients : « Beaucoup de beurre et beaucoup de sucre ». C'est Philipe, hilare, qui nous a lancé cette bombe glucidique juste avant de nous faire croquer dans l'objet du désir. S'il est de notoriété commune que le kouign-amann, à la texture très dense, peut provoquer quelques suffocations, celui de Philippe possède quant à lui une onctuosité et une certaine légèreté en bouche.

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Il n'empêche que j'ai un peu le gosier asséché et pour faire passer la pilule, Philipe m'indique le stand de son frangin, Stéphane, qui vend de l'hydromel. On dit que cette boisson alcoolisée, que les Bretons appellent le chouchen, est la plus vieille du monde. La légende veut que les Gaulois soient parvenus à contenir l'invasion romaine grâce au breuvage : « C'est la boisson qui fait reculer les chefs de guerre, m'explique Stéphane, ils s'offraient des tonneaux empoisonnés de dards d'abeilles, ce qui avait la particularité de rendre fou les soldats. »

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Y'a du chouchen à volonté.

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L'Hydromel est une préparation d'alcool, d'eau, de miel et de levure qui fermente pendant une période qui varie entre 2 et 5 ans. À l'arrivée, on obtient une boisson alcoolisée qui titre en 10 % et 18 %. Stéphane Mordeles fait tout tout seul dans sa « Cave du Dragon rouge ». Un nom étonnant qui renvoie à l'histoire de la distillerie du même nom, crée en 1960 : « J'ai récupéré l'exploitation d'un ancien du FLB (Front de libération de la Bretagne, N.D.L.R) descendant du roi Mare de la Table Ronde. Enfin c'est ce qu'on m'a dit », explique Stéphane.

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Ma gorge commence à chauffer, l'occasion de faire un petit détour par le stand des Sucettes du Val-André. Fondée en 1928, cette entreprise qui commercialise des dizaines de parfums de sucettes est devenue une marque emblématique de la région. « À l'origine, c'est un parisien de passage à Pléneuf-Val-André qui a ouvert un petit cabanon pour vendre quelques bonbons pour payer sa location de vacances », m'annonce Laurent Emery qui a repris la confiserie en 1998. Depuis, des milliers de clients s'arrachent chaque année sa petite production de sucettes à la figue, au cactus, à la noix de coco ou encore à l'anis : « On est les plus petits confiseurs de France, notre premier concurrent est 20 fois plus gros que nous. On prépare l'été prochain là, on va proposer un nouveau parfum : Tomate Basilic. »

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Bravant tous les clichés sur la Bretagne pluvieuse, le soleil a fait acte de présence toute la journée, laissant les milliers de bambocheurs qui avaient répondu présent engloutir des tonnes de Saint Jacques et des litrons de cidre. Une mission – presque de salubrité publique – que les organisateurs de la fête s'emploient à perpétuer depuis plus de 20 ans, contre vents et marées. Vive la coquille Saint-Jacques snackée, vive la Bretagne libre !