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Oubliez la Big Dick Energy, faites place à la Big Dick Injury

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Le pénis est une partie du corps qui dégagera toujours quelque chose d’intrinsèquement comique. Ça se compare facilement à des saucisses, des serpents et des créatures marines ; ça peut faire l’hélicoptère ; c’est une partie du corps déconcertante, désincarnée et semi-détachée ; ça peut se mettre au garde-à-vous et transformer une couette en tente de fortune ; ça pisse et ça éjacule ; ça peut être drôlement grand ou sérieusement petit. Et bien sûr, ça peut être sexy. Mais il y a un gros « mais ». Le pénis peut parfois être absolument antisexy, une sorte de truc maladroit, criard, glandu et purulent.

Dans le domaine de la pop culture, on peut dire que la queue a le vent en poupe. Au cours des deux dernières années, ce membre rigolo a semblé surgir de tous les côtés. Si on a à peine pu apercevoir un gland à la télé pendant des décennies, Euphoria, Pam and Tommy, Normal People, White Lotus et Succession ont rectifié ça en faisant monter le pénis à l’écran pour notre plus grand plaisir. Le monde de la mode n’est pas en reste : il s’est mis à l’heure des « penis artists » avec des pièces créées par des stylistes tels que JW Anderson et Rick Owens. Cinq ans après le fameux néologisme de Kyrell Grant, la bien nommée Big Dick Energy est toujours dans l’air.

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Mais voilà : en matière de santé publique, nous vivons plutôt à l’époque de la Big Dick Injury (soit les blessures de grosses bites, littéralement). Si le pénis est un élément solide de la pop culture, il n’a jamais semblé aussi fragile dans la vie de tous les jours, physiquement parlant. Une concoction de problèmes liés à la bite — dysfonctionnement érectile, faible nombre de spermatozoïdes, faible taux de testostérone, blessures de pénis, engourdissement génital et IST — sont tous des phénomènes en augmentation. Vu dans son ensemble, on peut parler d’une véritable crise, et bien qu’il puisse sembler facile d’en rire, c’est vraiment, vraiment triste pour tous les gens qui en souffrent.

International Andrology est une chaîne de cliniques qui traite de la santé sexuelle chez les hommes. Avec 3 000 patients par an, le groupe a constaté une augmentation du nombre total de cas. « En général, on observe une tendance à la hausse pour tous les problèmes qu’on a l’habitude de traiter », déclare Marinos Alexandrou, le directeur. Fait inquiétant, les patients sont de plus en plus jeunes. « On a également constaté un recul dans l’âge moyen des personnes qui s’adressent à nous », confirme-t-il.

Bien entendu, nombre de ces problèmes de santé sexuelle ne sont pas l’apanage des personnes dotées d’un pénis (et beaucoup d’entre elles échappent à des affections plus graves). Les propriétaires d’une vulve sont confronté·es à des soins de santé plus médiocres, à une pandémie de sexisme et à une énorme lacune dans le domaine des études sur le vagin. Les affections gynécologiques telles que l’endométriose sont souvent négligées, ce qui entraîne une liste d’attente d’un demi-million de personnes au sein du système national de santé. Dans l’ensemble, on peut dire que les personnes dotées d’un pénis ont la vie plus douce.

Il se peut toutefois que l’on parle moins de pénis que de vagin, et avec moins de sérieux. « À mon avis, les hommes ne parlent pas de leur santé en général et de leur santé génitale en particulier. Beaucoup d’hommes qui viennent me voir souffrent en silence depuis de nombreuses années et n’osent même pas demander l’aide du système de santé », explique Amr Raheem, consultant en andrologie à l’International Andrology London.

Commençons par l’érection. Car oui, on a du mal à bander. Pendant perpet’, le dysfonctionnement érectile (DE) était presque uniquement évoqué dans un contexte gériatrique, pour les vieux qui s’envoyaient du Viagra ; aujourd’hui, le problème est devenu beaucoup plus répandu. Un rapport de la Co-Op Pharmacy, qui se situe à l’extrémité supérieure du spectre, suggère que 50% des hommes dans la trentaine souffrent de troubles de l’érection, 33% d’entre eux gardant le problème pour eux et seulement 9% finissant par en parler à un autre homme de leur famille.

Angus Barge, cofondateur de Mojo, une entreprise spécialisée dans le bien-être sexuel masculin, désire inverser cette tendance. Il a créé l’application avec son cousin Xander après avoir tous deux parlé de leurs problèmes de dysfonctionnement érectile. « À 27 ans, j’ai commencé à avoir des problèmes d’érection et je n’arrivais plus à bander, raconte-t-il à VICE. Ma vie entière s’est effondrée. Je me suis pas contenté de me retirer du dating — je suis un grand extraverti et les sorties me donnent beaucoup d’énergie — mais je me suis aussi retiré de la vie sociale en général. » Galvanisé par la statistique selon laquelle 85% des cas de dysfonctionnement érectile chez les hommes de moins de 40 ans sont d’origine psychologique, Mojo s’appuie sur l’expertise de thérapeutes psychosexuel·les et de médecins pour proposer des cours vidéo, des exercices et une communauté de 100 000 petits potes.

La dysfonction érectile n’est cependant pas le seul exemple de l’état maladif de nos pénis. La quantité de spermatozoïdes dans notre sperme a diminué de plus de moitié au cours des 40 dernières années. « Je pense qu’il s’agit d’un autre signal indiquant qu’il faut faire quelque chose », a écrit Hagai Levine, auteur d’un rapport datant de 2022 sur le déclin de la qualité du sperme, avertissant qu’il pourrait s’agir d’un moment majeur dans l’histoire de la fertilité masculine et provoquer une crise irréversible. Tandis que les barres de Toblerone vont devenir plus grandes et plus larges, le taux de testostérone moyen n’a jamais été aussi bas, chutant de 1% chaque année dans le monde entier et contribuant à la baisse de la libido. Selon une toute nouvelle étude menée par la plateforme de santé masculine Numan, environ deux millions d’hommes au Royaume-Uni sont concernés et 44% d’entre nous sont peu conscient·es de ses symptômes.

Sans oublier que les personnes qui possèdent un pénis et continuent à avoir des rapports sexuels ont plus de chance que jamais d’avoir choppé un truc : Les IST se sont multipliées au Royaume-Uni au cours des deux dernières années, le nombre de diagnostics de gonorrhée étant le plus élevé jamais enregistré. Ou encore, de se retrouver avec le membre fracturé : alors que seulement 46 fractures de pénis ont été traitées par le NHS en 2020, 169 (ahem !) ont été signalées en 2021.

Beaucoup, face à ces problèmes, se tournent vers une solution miracle : les médicaments. Il s’agit notamment du Cialis et du Viagra, qui agissent, en termes simples, en inhibant l’enzyme PDE5 afin d’augmenter la vasodilatation et de remplir le pénis de plasma. Il est prouvé qu’il aide à obtenir des érections de meilleure qualité, et quiconque en a gobé un ou deux peut témoigner de ses effets surhumains. Depuis qu’il est passé en vente libre en 2018, ses ventes ont grimpé en flèche pour atteindre des niveaux à même de faire exploser vos artères ; Viagra Connect a vendu sept millions de comprimés au Royaume-Uni entre 2020 et 2021, et 60% des acheteur·ses étaient âgé·es de moins de 55 ans.

Il existe cependant un contre-argument, littéralement tout aussi solide. Si le Viagra peut être une solution à court terme, il ne permet pourtant pas de résoudre le problème. « Ça ne fera aucune différence si vous souffrez d’anxiété de la performance, explique Barge, car l’état de lutte ou de fuite dans lequel vous vous trouvez signifie que de toute façon, tout votre sang ira à votre cerveau et aux muscles squelettiques. Mais si par miracle le viagra fonctionne, c’est souvent grâce à un placebo, et ça peut alors devenir une sorte de béquille mentale pour votre entrejambe. La prochaine fois, vous penserez “il me faut mon viagra” et vous serez accro. Il n’y a pas de dépendance chimique avec le viagra, comme il y en a avec les opioïdes, mais il y a un vrai risque de dépendance psychologique. »

Les effets secondaires, eux aussi, peuvent être troublants ; les symptômes les plus courants sont les vertiges, les maux de tête et les bouffées de chaleur. « Les personnes qui souhaitent utiliser le sildénafil [Viagra] doivent toujours demander l’avis d’un médecin de confiance au préalable, car il y a des risques associés », conseille Luke Pratsides, médecin généraliste en chef chez Numan, qui prévient que le sildénafil peut entraîner une baisse de la tension artérielle et rendre une personne plus vulnérable aux pertes de conscience. Même si les effets secondaires graves sont rares, on ne tient pas ici la panacée du pénis.

Mais il n’y a pas que le Viagra : une multitude d’autres remèdes chimiques sont proposés aux anxieux de la queue. Les forums en ligne regorgent de traitements possibles pour la dysfonction érectile, l’hypotension et la baisse de la libido. « Beaucoup de types racontent qu’ils sont adeptes d’une racine végétale particulière, ou qu’ils ont trouvé un extrait animal magique, et une partie de moi se dit que quand même, le concept du placebo est un truc très puissant », explique Barge. Bien qu’il admette qu’il ne sert à rien de faire atterrir les personnes pour qui certains remèdes miracles semblent fonctionner, ces dernières ne traitent toujours pas le problème réel, provoquant souvent une obsession totale et d’autres affections connexes.

Sur Reddit, les publications ressemblent à des liste de courses de sorcières en herbe ; les remèdes incluent le zinc, le magnésium, la cyclodextrine, le longjack, les exercices de kegel, les herbes, le séquoia, l’oxyde nitrique, l’ashwagandha, la racine de maca, le jus de betterave et — oui — la vitamine D, testée par des hommes désespérés qui se transforment en cobayes aux dépens de leur santé et de leur porte-monnaie. Le niveau de dysphorie est dystopique.

Mais pourquoi la « Big Dick Injury » est à ce point répandue en ce moment ? Il n’existe bien sûr pas de facteur unique, mais l’un d’entre eux se trouve dans votre historique de navigation : le porno. « La disponibilité de la pornographie est un problème, explique Pratsides. Le porno peut donner une représentation exacerbée et fantasmée de la sexualité, qui est évidemment extrêmement excitante. Cette attente irréaliste peut rendre beaucoup plus difficile l’obtention d’une érection dans la vie réelle. » Le problème est tel qu’il existe désormais un terme pour le désigner, le PIED (Porn Induced Erectile Dysfunction). Bien qu’il s’agisse encore d’un sujet un peu trop hot pour le débat public, une étude réalisée en 2015 a révélé que 71% des gros consommateurs de porno souffraient d’une forme ou d’une autre de dysfonctionnement.

Le porno est probablement aussi derrière l’essor de la chirurgie esthétique ; Raheem affirme qu’en vingt ans de carrière, ce phénomène n’a jamais été aussi important. En ce qui concerne les courbes ascendantes, International Andrology propose des traitements pour les pénis courbés, ainsi que l’amélioration du pénis, de plus en plus populaire, et la scrotoplastie, plus niche (en gros, l’amélioration de l’aspect des couilles).

Concernant la baisse de testostérone et du nombre de spermatozoïdes, les changements de mode de vie peuvent être en cause. « Les problèmes de santé des hommes augmentent en raison d’une mauvaise alimentation, d’un manque d’exercice, d’un stress chronique, d’un manque de sommeil, du tabagisme et de la toxicomanie », explique Raheem, qui ajoute qu’une population vieillissante et sexuellement active entraîne davantage de problèmes. Le régime alimentaire est essentiel : Pratsides note que « le sucre a un effet néfaste sur les vaisseaux sanguins » et que le diabète peut également entraîner une dysfonction érectile et une baisse de la testostérone. En ce qui concerne l’affaiblissement du sperme, les théories sont plus diverses : Pratsides cite la croyance selon laquelle les microplastiques pourraient être en cause, une théorie étayée par de nombreux rapports récents.

Sur le plan mental, nous vivons également une époque de stress et de stimulation sans précédent, ce qui ne fait qu’aggraver les choses. « Les Millennials et la Génération Z sont les êtres humains les plus anxieux qui aient jamais foulé le sol de la planète, déclare Barge d’un ton clinique. Et ce n’est pas seulement la façon dont on regarde du porno et on se masturbe. Ça a changé notre façon de sortir, de rencontrer des gens, de vivre, de travailler, de communiquer. Tout a changé. »

Mais la cause la plus néfaste est peut-être celle que nous venons d’envisager comme solution : les médicaments. Au Royaume-Uni, plus de 8 millions de personnes prennent actuellement des antidépresseurs, soit une augmentation de 35% en six ans seulement. Pendant des décennies, les sociétés pharmaceutiques ont tenté de dissimuler le risque considérable de dysfonctionnement sexuel causé par les ISRS, mais une prise de conscience accrue a conduit à des rapports indiquant qu’environ 50% des personnes sous antidépresseurs pourraient être confrontées à ce genre de problèmes. Il existe toute une panoplie de rapports sexuels gâchés : anorgasmie, dysfonctionnement érectile, anesthésie du pénis et éjaculation retardée. (L’éjaculation retardée est un effet secondaire si courant que les personnes souffrant d’éjaculation précoce se voient souvent prescrire des ISRS pour traiter ce problème).

Plus effrayant encore est le spectre de la dysfonction sexuelle post ISRS (PSSD), un trouble qui se traduit par des effets secondaires sexuels chez les personnes sous ISRS, même après l’arrêt de la prise des pilules, souvent plus graves qu’à l’origine. Ce trouble est défini comme un engourdissement génital persistant pendant plus de trois mois après l’arrêt des ISRS, mais peut également provoquer de nombreux autres symptômes, notamment une perte de libido, l’anorgasmie, des troubles de l’érection et un engourdissement émotionnel.

Grâce à des universitaires (dont le psychiatre David Healy), à un récent documentaire de Panorama et au travail du PSSD Network, les choses bougent enfin. « Le PSSD a été reporté depuis 30 ans. Pourquoi n’avons-nous pas voulu ouvrir les yeux ? », déclare Luke, directeur de l’association britannique PSSD et représentant du PSSD Network, qui fournit un résumé de la maladie. (Son nom a été modifié pour protéger sa vie privée).

L’histoire de Luke est poignante : depuis qu’il a arrêté les ISRS, il souffre d’un syndrome de stress post-traumatique et d’anhédonie sévère, ce qui signifie qu’il a du mal à éprouver du bonheur, de l’excitation ou même de l’amour. « Beaucoup de personnes souffrant de PSSD le décrivent comme si la connexion entre leur cerveau et leurs organes génitaux avait disparu », explique Luke. Je suis d’accord avec lui : alors que je suis toujours sous ISRS, je ressens des effets secondaires similaires et j’ai souvent l’impression d’avoir enfilé en permanence un paquet de capotes extra résistantes. Les témoignages partagés sur le site sont véritablement déchirants ; les gens comparent cela à une castration chimique, à une impuissance irréversible et au fait d’être entièrement dépouillé de leur humanité.

D’autres pilules peuvent avoir des effets similaires. Le finastéride, un traitement contre la perte de cheveux qui ralentit le processus de transformation de la testostérone en dihydrotestostérone, a été associé à une baisse de la libido et à un retard de l’éjaculation (connu sous le nom de PFS, soit syndrome post-finastéride). « Dans de très rares cas, le finastéride peut également avoir un impact sur la libido et les troubles sexuels », précise Pratsides, qui ajoute toutefois que « l’arrêt du traitement entraîne la disparition des troubles sexuels dans un délai de 10 à 14 jours ». Comme le souligne Luke, l’Accutane, un médicament contre l’acné, a également été associé à des troubles de l’érection et à un engourdissement sexuel (surprise, surprise, il s’agit du PAS, soit syndrome post-accutane). Il y a quelque chose d’encore plus cruel dans le fait que tous ces médicaments sont pris en premier lieu pour traiter l’anxiété et l’insécurité, mais peuvent, en fin de compte, nous rendre encore plus anxieux lorsqu’il s’agit de sexe.

En fait, Big Pharma gagne un beau petit paquet de fric grâce à notre Big Dick Injury. C’est une boucle sans fin de dysfonctionnements sexuels, où le traitement d’un symptôme peut donner naissance à un autre. Luke compare d’ailleurs le fait de chercher de l’aide à une sorte de roulette russe. « Tu vas consulter un médecin et on va te dire que t’es déprimé·e ou que tu te fais des films. Finalement tu te retrouves à discuter avec des gens qui tentent de se soigner avec des médicaments, des compléments et des produits chimiques, toutes sortes de choses impensables. C’est vraiment terrible », dit-il.

L’espoir, cependant, est éternel. La Big Dick Injury pourrait en effet révéler un paramètre plus optimiste : le fait que nous parlions davantage de nos pénis. Il est peut-être tout à fait naturel que plus la conversation et la sensibilisation s’ouvrent, plus les gens signalent leurs propres cas. Du coup, on a l’impression que le problème a pris de l’ampleur alors qu’en réalité, il était latent depuis le début. « Beaucoup plus d’hommes osent parler de la santé de leur pénis. L’essor des soins de santé numériques et des consultations en ligne est à l’origine de cette évolution, explique Pratsides. Les plateformes de soins de santé numériques (comme Numan) incitent les hommes à prendre leur santé en main et à traiter ces affections qui n’ont aucune raison d’être à ce point stigmatisées. »

Le véritable critère déterminant pourrait être la manière dont on parle de nos bites, et pas seulement la fréquence des discussions à leur sujet. La question de savoir si l’humour peut être utile dans ce genre de cas n’est pas encore tranchée, par exemple. Numan n’hésite pas à placarder des têtes de poulet étiquetées « Pecker » sur des panneaux d’affichage au Royaume-Uni afin de promouvoir des médicaments contre les troubles de l’érection, ce qui a indubitablement suscité la conversation. D’autres, en revanche, en sont moins sûrs. « Je ne pense pas qu’un tas d’émojis aubergine puisse m’aider à me sentir bien face à un problème qui bouleverse ma vie au quotidien », déclare Barge. Luke est également convaincu que l’humour peut être un frein au progrès.

Peut-être que le pénis n’est tout simplement pas aussi drôle que je le pensais. Pendant des années, j’ai fait des vannes sur mon propre retard d’orgasme, sur le fait qu’il était plus facile de venir à bout de Crime et châtiment que de me faire éjaculer. Mais si l’humour peut être un point d’entrée important dans la conversation et briser les stigmates liés au pénis, être au moins un peu plus sérieux pourrait s’avérer utile, un moment décisif dans le long processus de guérison de notre Big Dick Injury.

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