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J'ai voulu devenir artisan-boulanger et j'y ai laissé ma santé

Certains jours, je façonnais moi-même jusqu’à 800 miches de pain. C'était une cadence infernale, je ne me plaignais jamais mais avec du recul, je sais maintenant que choisir ce métier, c’était la pire erreur de ma vie.
Photo via Flickr userPauline Make

Bienvenue dans Cuisine Confessions, notre rubrique qui explore les coulisses du monde de la restauration. Ici, on donne la parole à ceux qui ont des choses à dire sur ce qu'il se passe réellement dans les cuisines ou les arrière-cuisines des restaurants.

Quand on bosse dans une boulangerie, chaque seconde compte.

J'ai longtemps bossé dans une boulangerie artisanale où tout était fait à la main. Certains jours, je façonnais moi-même jusqu'à 800 miches de pain. Dans l'atelier, je travaillais avec un minuteur à côté de moi pour garder un œil sur mon rythme de travail. Si je voulais toucher une prime et gagner plus que le minimum syndical, je devais être capable d'expédier 9 kg de pâte en moins de quatre minutes. C'était une cadence infernale mais travailler dans cette boulangerie me tenait à cœur parce que je savais que ça me permettait d'ajouter une super-ligne sur mon CV. J'étais prête à accepter n'importe quoi.

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Ici au Royaume-Uni, les boulangeries traditionnelles sont en train de faire leur grand retour. On peut considérer que c'est une bonne chose, compte tenu de la saveur insipide du pain industriel que la plupart des Anglais s'enfilent – fabriquer du pain compatible avec les standards de la grande distribution se fait au détriment du goût. Il faut que le pain se conserve longtemps et qu'il soit assez fade pour se marier avec « tout ». Les ateliers de fabrication agro-industriels où ces pains sont produits sont pensés pour être rentables jusqu'à la dernière miette. Toute la chaîne de production est sous contrôle sanitaire. À l'opposé du spectre, dans les petites boulangeries familiales où les apprentis boulangers veulent faire leur expérience, c'est un tout autre monde.

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C'est surtout un travail super-fatiguant et, je ne pensais pas dire ça un jour, mais force est de constater que quand on est une femme, c'est encore plus dur physiquement .

J'ai pas mal fréquenté le milieu de la restauration dans lequel on considère que c'est normal – voire même cool – de bosser H24, de faire 10 heures de service non-stop et de porter sans broncher des palettes ultra-lourdes. En commençant dans le monde de la boulangerie, j'étais donc bien rodée à ce genre d'ambiance. Et puis je voulais donner l'image d'une femme forte donc je ne me plaignais jamais, même si je souffrais déjà de quelques petits pépins de santé, notamment au niveau de mes articulations. Avec du recul, je sais maintenant que choisir ce métier, c'était faire la pire des erreurs.

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Car à force de répéter toujours les mêmes gestes, le corps s'use et à terme, on court un vrai risque. En France, on appelle ce genre de maladie professionnelle les TMS (les troubles musculosquelettiques). Quand on fait une baguette par exemple, il faut replier la pâte en appuyant avec ses doigts avant de l'aplatir en poussant avec la paume de la main. Comptez qu'il faut faire ça trois fois par baguette. Très vite, j'ai fini par ressentir des douleurs insoutenables dans le poignet.

Je devais aussi porter des sacs de 12 kg de farine – ce qui est à la limite des recommandations officielles. D'ailleurs, note aux producteurs de farine, ce serait pas mal si le poids des sacs à destination des boulangers et pâtissiers professionnels était divisé par deux. Ces sacs sont conçus pour les boulangeries industrielles, qui achètent en très gros et où les ouvriers ont des chariots pour porter tout ça. D'ailleurs, les gens qui travaillent dans ces bâtiments ne sont pas vraiment des boulangers – ils ne font que presser des boutons pour activer des machines. C'est sans doute moins traumatisant pour les articulations, mais ce n'est pas du tout ce qui fait vibrer ceux qui veulent devenir boulangers. Pour la passion de l'artisanal, il faudra repasser.

De manière générale, plus on est sous pression, plus c'est facile de se blesser au travail. Je reste persuadée que l'on aurait pu se passer de tout le stress qu'on nous a fait subir. Personnellement, ça m'a complètement bousillé. Non seulement les emplois du temps sont très mal pensés mais en plus, on se sent un peu obligés de tout accepter si l'on veut faire ses preuves. Pendant les quatre premières heures de boulot, par exemple, mon seul job consistait à transporter tous les sacs de farine d'un côté à l'autre de la cuisine, je devais faire ça toute seule et je n'avais pas le droit de demander de l'aide aux collègues.

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C'est seulement le jour où je suis allée consulter un ergothérapeute que j'ai compris que j'avais vraiment flingué mon corps en portant tous ces sacs de farine. C'est con quand même : il suffirait d'acheter un transpalette ou un chariot pour nous aider à les porter – ça ne changerait en rien la qualité de la pâte.

Les conséquences de tout ça ? Tous ces efforts physiques superflus m'ont bousillé la santé et je suis au chômage technique : je ne peux physiquement pas faire le travail pour lequel j'ai été formée. À cause de ces putains de sacs de farine, l'une de mes vertèbres s'est déplacée et mon TMS est devenu chronique. J'en ai tellement chié si vous saviez – à une époque, je ne pouvais même plus ouvrir ma porte d'entrée. J'ai dû changer toutes mes poêles et mes casseroles, trop lourdes, pour utiliser des plus légères ; j'ai dû changer toute ma cuisine pour avoir des établis et une table plus haute.

Heureusement, ça s'est amélioré depuis. J'ai fait beaucoup de natation et du yoga. Je reste une inconditionnelle de la pâte à pain – on peut faire tellement de bonnes choses avec si peu d'ingrédients, ça me fascinera toujours.

Mais je déplore un truc : le monde de la restauration et de l'artisanat culinaire s'en fout pas mal des conditions de travail. Mon seul regret ? Je n'ai pas passé la sélection naturelle qui règne dans ce milieu : mes articulations fragiles n'ont pas supporté les mouvements répétés que mon poste stressant demandait. Il faut vraiment être polyvalent quand on bosse dans une boulangerie : il faut savoir aider au service, encaisser les cafés et les pâtisseries et en même temps, surveiller son pétrin. C'est assez contre-productif de devoir courir tout le temps à droite à gauche comme ça. J'avais toujours le minuteur en tête.

En athlétisme, on distingue les sprinters et les coureurs de fond. Ça devrait être pareil pour tous ceux qui bossent dans la restauration : on ne peut pas passer sa journée à sprinter. On tient mieux la distance à un rythme modéré.

Propos recueillis par Felicia Alberding.