La folle histoire du bar qui a refoulé le Prince William parce qu'il était en tongs
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La folle histoire du bar qui a refoulé le Prince William parce qu'il était en tongs

Chez Nam Long à Londres, on rince les traders verreux de la City et on refoule les célébrités débraillées depuis 1985.

Si le restaurant Nam Long est devenu célèbre dans le monde entier, c'est davantage pour sa clientèle célèbre et ses frasques que pour sa carte.

Et pourtant, au bar de ce célèbre restau londonien, on se défend plutôt bien niveau cocktail. Dans les années quatre-vingt-dix, par exemple, le Flaming Ferrari est entré dans la légende grâce à un petit groupe de traders pleins aux as. La recette : un mélange de Chartreuses Verte et Jaune, de Grand Marnier, de rhum vieilli et de Curaçao bleu, le tout flambé avant d'être englouti le plus simplement du monde, à la paille.

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Illustration by Yuliya Tsoy.

Toutes les illustrations sont de Yuliya Tsoy.

Ceux qui ont plus tard été surnommés les « Flaming Ferrari Boys », cinq traders du Crédit Suisse (dont le fils de Jeffrey Archer, un membre du Parlement Britannique tombé en disgrâce politique et désormais reconverti dans l'écriture de fiction), avaient alors leurs habitudes au Nam Long tous les vendredis soir. C'est ici qu'ils venaient flamber les bénéfices de leurs différents placements frauduleux – que l'on estime à près d'un million de livres sterling. Depuis, leur cocktail favori, le Flaming Ferrari, est devenu iconique et le bar du Nam Long un rite de passage pour les nouveaux traders qui débarquent à la City.

Quand il ouvre en 1985 dans le quartier de Chelsea, le Nam Long devient rapidement un aimant à aristocrates, pop stars, personnalités politiques et autres grands ripoux. C'était un endroit en phase avec son époque – un lieu où la quantité d'argent dépensé n'avait d'égal que le niveau de débauche observé.

La popularité de ce restaurant-bar doit beaucoup à son propriétaire, l'excentrique Thai Dang. Un mec avec suffisamment de couilles pour dire « non » au Prince Williams quand il déboule avec une paire de tongs et encore « non » à Mick Jagger qui insistait pour venir dîner après l'heure de fermeture des cuisines. D'ailleurs, quand on a dit à Dang que les Rolling Stones voulaient venir faire l'after de leur concert de Wembley dans son établissement, il aurait simplement répondu : « I don't give a fuck. »

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« Pour moi le Nam Long, c'est le souvenir de soirées à n'en plus finir, passées à dépenser des sommes d'argent déraisonnables pour des cocktails aux noms étranges », se rappelle William Sitwell, présentateur télé britannique et critique gastronomique. « Je discutais avec des inconnus du coin et je passais toujours un bon moment. Je n'ai jamais regretté un pound dépensé ni une seule minute passée là-bas. »

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Une autre figure de la gastronomie, qui préfère rester anonyme, se rappelle en des termes tout aussi élogieux de ses soirées au Nam Long. Ce témoin a même croisé plusieurs fois Hugh Grant au bar, apparemment bien torché et en train de débattre ouvertement du prix qu'il lui faudrait débourser pour acheter l'endroit.

Mais depuis les années quatre-vingt, les marqueurs l'identité du Nam Long – l'ultra-sélectivité de la clientèle et les sommes astronomiques lâchées pour quelques verres – font de moins en moins recette. L'adresse a dû faire face à quelques revers financiers au fil des ans. Dang est mort l'année dernière et c'est aujourd'hui sa fille, Dzuyen, qui a pour mission d'attirer une nouvelle génération de Flaming Ferrari boys. Si la jeune femme de 29 ans n'a pris les rennes du lieu que l'année dernière, elle a vu son père aux commandes depuis toujours.

« J'ai beaucoup appris de ce qui s'est passé au Nam Long ou de tout ce qui a pu être dit à son sujet », explique-t-elle. « Dès ma première semaine, mon père m'a confié la responsabilité d'organiser une fête privée pour Stelios [Haji-Ioannou, le créateur de la compagnie Easy Jet]. C'était un gros challenge, mais il fallait y aller ».

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Dans les années quatre-vingt, à l'âge d'or du Nam Long, l'ouest londonien était incontestablement le centre névralgique du paysage culinaire. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Avec ces dizaines de bars à cocktails qui apparaissent chaque jour dans l'East London, la concurrence est rude. Sans parler de la popularité exponentielle des stands de street-food itinérants.

« C'est un endroit encore très vivant. Les murs ont été témoins de tellement d'histoires », souligne Dzuyen. « Oui, Londres est saturée de bars et de restaurants. Mais beaucoup disparaissent aussi vite qu'ils sont apparus ».

De l'avis de Dzuyen, le sillage laissé par les Flaming Ferrari Boys est tellement mythique que les nouveaux propriétaires de bar du Nord de Londres ne pourront jamais égaler. Alors que le Nam Long, lui, a ça dans le sang : l'exubérance, l'audace et l'envie.

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« On a la réputation d'être bruyant et débauché », continue Dzuyen. « Mon père était un peu réticent à l'idée de laisser sa petite fille entrer dans cet univers, c'était le signe qu'une page allait se tourner ».

Les frasques de la clientèle du Nam Long paraissent aujourd'hui un peu déplacées dans l'austérité que traverse la Grande-Bretagne. Mais Dzuyen ne veut pas tirer un trait définitif sur le passé bling-bling du Chelsea d'avant.

« Ne venez pas si vous voulez une soirée tranquille – ce qu'ont fait Robbie Williams et Freddie Ljungberg ont fait dans les toilettes, on en parle ou pas ? » Pas sûr de vouloir savoir. Elle continue : « Le Nam Long m'occupe à 100 %. Je respire Nam Long, je vis pour lui. »

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Le menu que Dzuyen a mis au point fait des concessions pour s'adapter aux tendances de 2015. On trouve par exemple un bao siu-yuk (un petit pain vapeur renfermant de la poitrine de porc avec du chou rouge en pickles et de la coriandre) qui répond tout à fait à la folie des baos qui sévit actuellement à Londres. Et le ceviche de bar au gingembre, soja et saumon se veut plus « classique » que vieillot.

All illustrations by Yuliya Tsoy.

« Le [Nam Long] a passé l'épreuve du temps. Il reste dans le coup et son identité lui est propre, » explique Dzuyen. « Je sais que Chelsea a cette réputation d'être beaucoup dans l'ostentatoire et c'est vrai que la plupart des bars du coin ressemblent à des lounge-bars d'aéroport. Mais je pense qu'ici, nous avons une vraie personnalité. »

Et même si Dzuyen ne compte pas se débarrasser du Flaming Ferrari, elle a demandé à ses barmans de créer des cocktails plus lights. Le Jade par exemple est un cocktail à base de vodka ou de gin agrémenté de concombre et de fleur de sureau, tandis que le M. Thai est un hommage à son père sous la forme liquide de rye whisky, de miel à la truffe et de pamplemousse.

« On ne vise pas le grand public, précise Dzuyen, juste des gens qui veulent s'amuser dans un endroit qui ne répond pas aux normes de Londres. Beaucoup viennent jusqu'ici seulement pour le Flaming Ferrari, mais une fois qu'ils découvrent le lieu, ils voient que c'est plus qu'un cocktail. »

Les excès des eighties appartiennent sans doute au passé, mais le Nam Long n'a pas dit son dernier mot.