Société

Désolé de plomber l’ambiance, mais rien ne changera après l’épidémie

Nous serons toujours de pauvres imbéciles individualistes qui veulent juste que leur connexion wifi fonctionne correctement.
Paul Douard
Paris, FR
épidémie coronavirus covid-19changer
Des gens en pleine soirée étudiante. Photo de Honza Soukup.

Il paraît que pour changer ce qui nous entoure, il faut d’abord changer ce qu’il y a en nous. C’est exactement que ce que j’espérais provoquer en me confinant chez moi comme le reste de la population, à l’exception des joggeurs qui, je l’imagine, s’autodétruisent s’ils s’arrêtent de courir. Tel un moine Franciscain, j’aspirais à un niveau de spiritualité supérieur en acceptant docilement cette retraite forcée dont la seule jouissance possible serait de faire des lessives de blanc immaculé. Après tout, une pandémie ravage la planète et des gens meurent en regardant le plafond d’un hôpital mal éclairé. Et comme lors de chaque événement dramatique, on se dit qu’il serait temps de changer les choses, sans trop savoir pourquoi ni comment. Mais je n’étais pas seul. Il déferla une vague de milliers de tweets bienveillants quant au futur de notre civilisation et de tribunes spécialisées dans l’enfonçage de portes ouvertes qui affirment haut et fort que « le confinement est idéal pour se confronter à l’absurdité de nos existences ». J’étais plutôt d’accord.

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Dès les premiers jours du confinement, je prenais conscience qu’une autre vie est possible et que le changement est sans doute à notre portée. Me réveiller chaque matin sous le chant des oiseaux et non des insultes de chauffeurs Uber excédés me donnait envie d’être davantage impliqué dans la lutte écologique. Sortir de la boucle mortifère métro-réunion-boulangerie-réunion-métro-dodo pendant plusieurs semaines me laissait espérer de nouvelles formes de travail, voire de tout plaquer pour ouvrir une librairie de quartier. Demander des nouvelles de mes amis (voire de ma famille) me rappelait aux choses importantes de la vie. Le tout en attendant que les applaudissements en l’honneur du personnel hospitalier héroïque résonnent dans ma rue, me rappelant ainsi qu’il est l’heure de dîner. En bousculant mon quotidien si violemment, je ne pouvais que voir le monde sous un angle nouveau et peut-être me concentrer sur d’autres combats que celui qui m’occupe depuis 2015, à savoir les personnes qui laissent de l’eau sur les poignées de portes des toilettes du bureau.

Malheureusement, quand on atteint un âge qui commence par un trois, on a vécu assez d’événements dramatiques pour savoir une chose : rien ne change. J’ai pu de nouveau m’en apercevoir dès le 2 avril, lorsque je reçus un mail de mon propriétaire m’expliquant (en gras et souligné) que malgré la situation, mon loyer était dû et qu’aucun retard ne serait toléré. Le changement n’allait pas débarquer de sitôt. Ce weekend, Le Parisien confirma cette tendance en nous proposant « Le monde d’après » vu par quatre spécialistes – quatre hommes septuagénaires qui, si j’en crois l’état du monde actuel, n’ont pas beaucoup bossé avant. Pour contrer cet immobilisme social, d’autres s’arment de podcasts enregistrés depuis leur penderie avec la vive intention de changer les choses. Si une partie de moi garde encore espoir, une autre voudrait dérégler le système de tri sélectif de mon immeuble pour précipiter notre perte et en finir une bonne fois pour toutes.

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« Mais ce n’est pas de notre faute. Ce n’est jamais de notre faute. Nous sommes comme ça »

À mesure que mon quotidien se résumait à effectuer des allers-retours entre deux pièces, mon niveau d’espérance devenait inversement proportionnel à mon temps passé sur les réseaux sociaux, qui bien sûr augmentait considérablement. D’un côté certains se livraient à une bataille féroce pour la place du meilleur survivaliste – à savoir celui qui peut tenir huit mois en ne faisant qu’une fois les courses et sans jamais se doucher – tout en dénonçant leurs congénères en les filmant. Comme devant un documentaire Netflix, je culpabilisais de bien manger et d’être modérément heureux enfermé chez moi. De l’autre, des complotistes levaient une armée pour suivre tête baissée un médecin érigé en prophète qui pourrait à tout moment jouer un scientifique fou dans Independance Day 3. Et au milieu de cette mêlée, des aspirants conférenciers Ted X essayaient déjà de créer des concepts de Corona-bromance à l’aide de Corona-chronique pour avoir quelque chose à raconter. Doucement, tout le monde commençait à dessiner les traits de ce que les Français savent faire de mieux : être de gros cons. Il apparaît alors que ce qui importe les habitants de ce pays soit d’être en mesure de dire, à la toute fin quand le virus sera stoppé, « je vous l’avais dit » ou encore « j’avais raison » au lieu de tirer les leçons de nos échecs successifs quant à notre incapacité à (sur)vivre ensemble.

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Mais ce n’est pas de notre faute. Ce n’est jamais de notre faute. Nous sommes comme ça. Notre cerveau ne nous permet pas de visualiser des choses à long terme et nous préférons nous recentrer sur ce que nous maitrisons. À savoir, nous. Le changement est source de stress pour le corps et nous payons déjà 40 euros tous les mois pour courir sur un tapis roulant. Nous mettrons toujours plus d’énergie pour trouver une place libre dans le métro que pour réfléchir. Surtout, l’épidémie de Covid-19 est avant tout un drame collectif. Ça touche un peu tout le monde, un peu personne, mais surtout les autres. L’émotion nous fait un instant modifier notre point de vue, nous amenant presque à nous poser des questions avant que toutes nos aspirations de changements soient noyées dans la sauce tiède d’un plat surgelé absorbé devant un épisode de Love Island. Dès lors que nous ne sommes pas frappés personnellement par l’épidémie, aucune raison de nous lever de notre chaise ergonomique. C’est la base de la sociologie de groupe : on se repose toujours sur quelqu’un pour faire le boulot à notre place.

« Souvenez-vous lorsqu’en 2015, à la suite des attentats du Bataclan, l’ensemble des Français applaudissaient les flics, presque la larme à l’œil »

Nous pourrions croire que le niveau de sophistication de notre société nous permet de changer et d’évoluer vers un monde meilleur plus facilement. Malheureusement, c’est l’inverse. Tel un cadre de sup qui a dépassé les 70 000 euros annuels et qui a pu investir dans un trois-pièces à Levallois-Perret, un canapé d’angle en cuir et un extracteur de jus, la France ne veut pas perdre en qualité de vie et opérer un retour en arrière – qui serait sans doute une avancée, mais passons. La France est ce pote au restaurant qui à la fin du repas prend sa petite voix de traître pour vous dire « Ça vous embête si je paye moins que vous car je n’ai pas bu beaucoup d’alcool. Donc c’est un peu abusé ». Nous sommes des chanceux, pour beaucoup de gros bébés enveloppés dans des draps de soie et jamais nous ne sacrifierons ce confort pour autre chose. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons comme constante de retourner notre veste tous les deux ans environ.

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Souvenez-vous lorsqu’en 2015, à la suite des attentats du Bataclan, l’ensemble des Français applaudissaient les flics, presque la larme à l’œil. Les illustrations de graphistes au chômage fleurissaient sur Instagram et nous en étions presque prêts à leur serrer la main dans la rue. Aujourd’hui, et bien, inutile de vous faire un résumé. Si la situation n’était pas la même il y a cinq ans, cela me laisse néanmoins songeur quant à notre volonté de réellement voir les choses changer. Applaudirons-nous toujours le personnel hospitalier lorsque ce dernier sera en grève pour demander les augmentations qu’Emmanuel Macron leur a promis ? Je ne parierais pas trop là-dessus. Nous oublions vite, trop vite. Nous sommes très doués pour suivre les trending topics, retweeter les bonnes vidéos au bon moment et nous indigner main dans la main. Mais c’est là tout.

Ce qui va changer par contre, comme à chaque fois, ce sont nos libertés. Après tout, ce n’est pas la première fois qu’un événement pousse nos États à restreindre les libertés individuelles et élargir la surveillance sur l’autel de la sécurité. Récemment, le Conseil constitutionnel lui-même a autorisé une dérogation à la Constitution pour « situation exceptionnelle », ce qui dans les faits lui donne les pleins pouvoirs. La société Palantir, soupçonnée d’être un cheval de Troie du renseignement américain et qui travaille déjà avec la DGSI [Direction Générale de la Sécurité Intérieure NDLR], est selon Bloomberg en discussion pour « aider la France à combattre le virus ». En proposant sa technologie, cela lui permettrait de mettre la main sur toutes nos données médicales.

Donc pendant que nous nous questionnons sur des podcasts et des tribunes (comme celle-ci) ce que nous pourrions bien faire de mieux dans prochaines années, le tout confortablement installé dans nos canapés, nous nous faisons déjà tondre. À la fin, le travail sera toujours un truc pénible qui permet à beaucoup de Français de tout juste survivre – pour ceux qui auront encore un boulot, Twitter sera toujours l’antre du cyberharcèlement et l’écologie restera au stade du truc dont on discute quand on visite un zoo tout mignon. Et comme l’écrivait Giuseppe Tomasi di Lampedusa dans Le Guépard, « Si nous voulons que rien ne change, il faut que tout change. »

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