étudiants en décrochage co
De gauche à droite : Julia Ela et Nicolas
Société

Avec des jeunes qui ont arrêté leurs études à cause de la crise sanitaire

« Je suis en colère contre l’école. Pour moi, tout le système scolaire doit être revu et remis à jour. »

Du jour au lendemain, les étudiant·es sont passé·es d’un auditoire à une chambre, d’un cours interactif à un écran d’ordinateur, et d’une pause clope à plus de pause du tout. Pendant que certain·es s’efforcent de tenir bon, d’autres sont en plein décrochage. 

Selon une enquête menée par la Fédération des Étudiant·es Francophones (FEF) sur les effets de la crise sanitaire, 60% des étudiant·es se sentent complètement ou partiellement en décrochage scolaire. 

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La situation s’aggrave et on a pu en prendre conscience dans la multitude de lettres ouvertes d’étudiant·es adressées aux politicien·nes ou de comptes Instagram tels que anxietudessuperieurs.be qui tirent la sonnette d’alarme. La FEF a également lancé une pétition contre l’inaction du gouvernement et de la Ministre de l’enseignement supérieur Valérie Glatigny. On y revendique principalement la mise en place d’un plan de déconfinement de l’enseignement supérieur, des aides psychologiques ou encore la mise en place des mesures d’aide à la réussite. 

VICE a rencontré des jeunes qui, découragé·es par la situation actuelle, ont décidé d’arrêter leurs études. 

La situation s’aggrave et on a pu en prendre conscience dans la multitude de lettres ouvertes d’étudiant·es adressées aux politicien·nes ou de comptes Instagram tels que anxietudessuperieurs.be qui tirent la sonnette d’alarme. La FEF a également lancé une pétition contre l’inaction du gouvernement et de la Ministre de l’enseignement supérieur Valérie Glatigny. On y revendique principalement la mise en place d’un plan de déconfinement de l’enseignement supérieur, des aides psychologiques ou encore la mise en place des mesures d’aide à la réussite. 

VICE a rencontré des jeunes qui, découragé·es par la situation actuelle, ont décidé d’arrêter leurs études. 

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Julia (21 ans), ex-étudiante en sciences sociales 

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Julia

« Au début de l’année, j'aurais jamais cru arrêter mes études. C’était ma dernière année et mon diplôme était à portée de main. À part tous les sentiments négatifs causés par le confinement, je n’avais pas de vraie raison d’abandonner. Il ne me restait plus qu'un tout petit effort à faire pour terminer mes études : clôturer mon mémoire. Et sur les 12 000 mots requis, j'en avais déjà 9 000. 

En fait, j’ai été démotivée au fur et à mesure, et deux jours avant la date limite du rendu, je me suis réveillée et je me suis dit : j’abandonne. Je sais que c’est surtout à cause du Covid parce que j'avais déjà écrit des articles de ce style et je sais que j’en suis capable.

J'ai quand même eu beaucoup de mal à prendre cette décision ; me dire que mes parents y avaient investi autant d’argent et que moi, j’allais tout simplement arrêter. J'ai l'impression que mon choix les a déçu·es. Mais bon, même avec tous les efforts que j'ai déployés ce semestre, je n'y suis pas arrivée. Heureusement, ma mère m'a soutenue. Elle a remarqué que je ne me sentais plus bien à l'école depuis des mois. Au bout d'un moment, elle m'a dit que je devais prendre une décision : continuer ou arrêter. Elle était d’accord avec les deux options. J'ai de la chance que mes parents me soutiennent autant.

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En fait, j’ai été démotivée au fur et à mesure, et deux jours avant la date limite du rendu, je me suis réveillée et je me suis dit : j’abandonne. Je sais que c’est surtout à cause du Covid parce que j'avais déjà écrit des articles de ce style et je sais que j’en suis capable.

J'ai quand même eu beaucoup de mal à prendre cette décision ; me dire que mes parents y avaient investi autant d’argent et que moi, j’allais tout simplement arrêter. J'ai l'impression que mon choix les a déçu·es. Mais bon, même avec tous les efforts que j'ai déployés ce semestre, je n'y suis pas arrivée. Heureusement, ma mère m'a soutenue. Elle a remarqué que je ne me sentais plus bien à l'école depuis des mois. Au bout d'un moment, elle m'a dit que je devais prendre une décision : continuer ou arrêter. Elle était d’accord avec les deux options. J'ai de la chance que mes parents me soutiennent autant.

« Au début de l’année, j'aurais jamais cru arrêter mes études. Il ne me restait plus qu'à clôturer mon mémoire. »

J'aurais aimé qu'il y ait un peu plus de transparence et de conseils de la part de mon université. Parfois, j’avais le sentiment de n’avoir absolument aucune perspective. Je me demandais quand est-ce que tout ça allait s’arrêter, mais je ne voyais  aucune lumière au bout du tunnel.

J’avais l’impression d’être la seule qui se sentait incapable de continuer. C’était comme si je n’avais plus ma place à l’école. Les rencontres avec les autres étudiant·es permettent de parler de tout ça et de voir que tout le monde a des difficultés. Mais bon, ce n'était pas possible. 

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Mais tout n'est pas si mal : j'ai récemment intégré une école d'art. J'ai toujours eu l'intention de me diriger vers l'art après mes études de communication. C'est arrivé un peu plus tôt que prévu, mais je me sens beaucoup mieux. »

Ela (21 ans), ex-étudiante en journalisme

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Ela

« Dans le cadre de mon cours de journalisme, je devais souvent sortir faire des interviews ou autres, mais j'avais très peur, car je suis une personne à risque – je souffre de diabète de type 1. Évidemment, j'ai échoué dans les matières où le contact avec les gens était une condition indispensable à la réussite. Le Covid a clairement influencé mes résultats durant les sessions de juin et août l’année dernière et ma motivation a complètement disparu. Comme j’avais raté deux fois mes examens et que la crise sanitaire commençait particulièrement à m'affecter, j'ai choisi d'arrêter mes études. En plus, le contact physique avec mes camarades de classe me manquait vraiment. Et quand je vois la situation dans laquelle se trouvent les étudiant·es maintenant, je suis très heureuse d'avoir arrêté.

« Quitter l'université, ça a été un vrai soulagement. Renoncer ne signifie pas toujours perdre. »

J'ai longtemps hésité avant de faire ce choix. Je pensais que j’allais le regretter et que sans diplôme, je n’arriverais pas à accéder au marché du travail. Ma mère ne m'a pas non plus soutenue dans ma décision et m'a conseillé de suivre une autre formation de courte durée pour quand même avoir un diplôme. Mais vu que l'enseignement à distance, c'est pas mon truc, j'ai choisi d’arrêter tout court.

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J'ai immédiatement commencé à chercher un job et heureusement, j’en ai trouvé un rapidement au service clientèle d'une chaîne de supermarchés. Je voulais être indépendante financièrement.

Quitter l'université, ça a été un vrai soulagement : j'ai moins de stress et j’ai l’impression que je peux à nouveau rire. Je pensais que j’allais être déçue de moi-même, mais le fait que mes nouveaux collègues m’apprécient, ça me fait du bien. Au final, il y a encore de l'espoir, et renoncer ne signifie pas toujours perdre. »

J'ai immédiatement commencé à chercher un job et heureusement, j’en ai trouvé un rapidement au service clientèle d'une chaîne de supermarchés. Je voulais être indépendante financièrement.

Quitter l'université, ça a été un vrai soulagement : j'ai moins de stress et j’ai l’impression que je peux à nouveau rire. Je pensais que j’allais être déçue de moi-même, mais le fait que mes nouveaux collègues m’apprécient, ça me fait du bien. Au final, il y a encore de l'espoir, et renoncer ne signifie pas toujours perdre. »

Nicolas (17 ans), ex-étudiant en secondaire

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Nicolas par Clara Montay

« Il y a un nombre incroyable de raisons qui m’ont amené à décrocher. Pour commencer, j’étais au collège Saint-Pierre de Jette à Bruxelles, une école très élitiste. La majorité des profs me rabaissaient, surtout en primaire, et il y avait de la compétition inconsciente entre les élèves. Moi, je suis un Blanc aux cheveux longs et j’aime le métal. C’est pas trop le style de ce milieu. On m’appelait “mouton” et je me suis souvent fait harceler.

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En fait, j'ai jamais vraiment décroché. Mon problème à moi, c’est plutôt que je n'ai jamais accroché. L’école n’a jamais été faite pour moi. Avec ma façon d’être, je suis obligé de me passionner pour les choses que je fais.

Personnellement, je suis en colère contre l’institution scolaire. D’ailleurs, le vrai message qu’il faudrait faire passer, c’est qu’il faut changer la façon d’enseigner. Pour moi, tout le système scolaire doit être revu et remis à jour.

« Je suis en colère contre l’école. Pour moi, tout le système scolaire doit être revu et remis à jour. »

 Je voulais absolument réussir mon année, donc je suis allé en internat. Je me suis remis à étudier et à faire mes devoirs. Ça ne m'était plus arrivé depuis longtemps et j’avais vraiment l’impression que j’allais réussir mon année. 

À la fin de ma première semaine en internat, le confinement a été annoncé. Tu trouves enfin la solution pour sauver ton année et la vie te dit : “Va te faire foutre”. Je suis retourné chez moi et je n'ai fait aucun de mes travaux. J’étais dans le déni complet. J’avais besoin de me séparer de mon lieu familial. À chaque fois que je pars de chez moi, je deviens très vite autonome. J’ai ce sens des responsabilités en dehors de chez moi, mais dès que je reviens à la maison, je le perds. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis un peu redevenu le mec qui ne s’occupe de rien. Même le projet que j’avais de partir en France a été annulé à cause de ça. “On verra, on verra”, c’est vraiment la phrase que j’ai dite le plus depuis le le début de la crise sanitaire.

Vers la fin de l’année passée, je me suis réveillé et je leur ai proposé un projet d’écriture que j’avais commencé. Ce type de travail peut être pris en compte auprès des profs et de la direction et peut déterminer si notre année est réussie ou non. C’était un truc sur les Vikings qui traitait à la fois de géographie, d’histoire, de français, de religions… donc énormément de matières. Les profs ont failli ne pas l'accepter et m’ont mis beaucoup la pression. J’ai dû me battre avec l’aide de mon père pour le faire approuver. J’ai réussi mon année, mais j’étais tellement découragé que je ne me suis pas réinscrit cette année.

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Aujourd’hui, je suis content de pouvoir dire que je quitte l’école et qu’il est hors de question que j’y retourne. J’avais déjà du mal avant la crise, mais là, c’est juste impossible. Au SAS, on fait de la photo, du dessin, de la peinture, on est allé·es voir des expos et j’ai même fait de l’aviron. Le mercredi, par exemple, on a un atelier d’écriture et ça, je kiffe. (Nicolas est pris en charge par le SAS Parenthèse, un Service d’Accrochage Scolaire, NDLR.) 

Je continuerai peut-être mes études dans vingt ans si j’ai la motivation. Je sais ce que j’ai envie de faire. Je suis passionné d’histoire médiévale et principalement scandinave. Plus tard, je veux être forgeron. »

Fien (19 ans), ex-étudiante en psychologie

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« Avant le Covid, ça faisait déjà quatre ans que j’étais en dépression à cause d’expériences traumatisantes liées à une agression sexuelle, une rupture difficile, une peur de l'échec et une situation familiale compliquée. J’ai fait face à cette crise avec un lourd bagage émotionnel.

Pendant le premier confinement, il y a eu le procès de mon viol. Mais à cause des mesures sanitaires, je n’ai pas pu voir mon thérapeute et psychiatre de confiance. Tout s'est passé en ligne, et ça n'a pas du tout arrangé la situation. En plus, avec le télétravail obligatoire, les membres de ma famille étaient constamment ensemble. J'ai décidé de me retirer dans mon kot et de combler chaque moment de ma journée en étudiant. C’était par pur ennui. J'y voyais une forme d'évasion ; un substitut à ma thérapie.

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Au début, j’avais la paix parce que je ne devais pas sortir de ma zone de confort. Mais pendant le deuxième confinement, c’était trop. J’ai besoin de voir des gens, particulièrement dans mon processus de guérison, mais la vie étudiante est au point mort. Les contacts avec les autres étudiant·es ont disparu, et les échanges de messages sont devenus de plus en plus impersonnels. J'avais juste envie d'avoir une conversation agréable avec une personne physiquement présente à côté de moi. Au fur et à mesure, je me suis retrouvée dans un cercle vicieux de malheur et de tristesse qui m'a coupé l'appétit et m’a fait perdre le courage d’entamer le blocus. La semaine du 21 décembre, je me suis complètement effondrée : je me sentais vide, je ne mangeais rien, je dormais mal, j'avais des crises de panique, je ne pouvais pas sortir du lit et je pleurais toute la journée.

« C'est mon psychiatre qui m'a suggéré de mettre mes études de côté pendant un certain temps et de faire ce dont mon corps et mon esprit avaient besoin. »

Finalement, c'est mon psychiatre qui m'a suggéré de mettre mes études de côté pendant un certain temps et de faire ce dont mon corps et mon esprit avaient besoin. J'ai décidé de faire passer ma santé avant tout et de me faire admettre en psychiatrie. Lorsque le facteur "école" a disparu, j'ai immédiatement ressenti moins de pression sur mes épaules. Mais ça m'a aussi fait du mal ; je me suis sentie seule. Je pensais à tou·tes les étudiant·es qui travaillaient pour leur blocus, alors que j'étais assise dans une chambre d'hôpital, sans aucune obligation d'étudier.  

J'ai eu beaucoup de mal à avouer à mes parents et à moi-même que j'allais décrocher. Comme je suis perfectionniste et que j’ai peur de l'échec, je suis déjà assez stricte avec moi-même, mais j'étais particulièrement réticente à l’idée de décevoir mes parents. 

Je ne suis pas d’accord avec les approches et décisions de la ministre de l'éducation, de notre gouvernement et autres institutions. Je pense qu’une approche différente de leur part aurait pu m'éviter d'abandonner l'école. Depuis le 22 janvier, je ne suis plus à l’hôpital et je commence à penser à l'avenir. C'est une vraie quête parce que je veux redevenir une "étudiante normale", mais je ne me sens pas encore assez forte pour le faire. »

J'ai eu beaucoup de mal à avouer à mes parents et à moi-même que j'allais décrocher. Comme je suis perfectionniste et que j’ai peur de l'échec, je suis déjà assez stricte avec moi-même, mais j'étais particulièrement réticente à l’idée de décevoir mes parents. 

Je ne suis pas d’accord avec les approches et décisions de la ministre de l'éducation, de notre gouvernement et autres institutions. Je pense qu’une approche différente de leur part aurait pu m'éviter d'abandonner l'école. Depuis le 22 janvier, je ne suis plus à l’hôpital et je commence à penser à l'avenir. C'est une vraie quête parce que je veux redevenir une "étudiante normale", mais je ne me sens pas encore assez forte pour le faire. »

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