Traditionnellement, elle se prépare avec des morceaux de bœufs braisés, de la cassonade, de la bière brune et des tranches de pain d’épices tartinées de moutarde comme liant. Peu de légumes si ce n’est des oignons caramélisés, et le tout doit mijoter aussi longtemps que les normes sanitaires l’autorisent, et s’accompagne de frites cuites dans la graisse de bœuf. C’est un plat typique des repas de famille, des vieilles brasseries et cafés de quartier, mais aussi des fritkots, les baraques à frites qui parsèment le paysage belge, aussi bien dans les moindres recoins des villes que les bords d’autoroutes. Quand j’évoque le sujet avec une amie, c’est un sourire nostalgique qui se dessine sur son visage : c’est le plat que lui préparait sa grand-mère, sa bobonne, une néerlandophone exilée en Wallonie qui roulait délicieusement les « r », dont celui de « carbonade ». La carbonade, pour nombre de Belges, c’est ça : la famille, la tradition, l’amour partagé autour d’un repas.« La carbonade, pour nombre de Belges, c’est ça : la famille, la tradition, l’amour partagé autour d’un repas. »
Les carbonades du fritkot Frituur n°1
De retour à Bruxelles, je vais voir la concurrence : deux autres friteries historiques bruxelloises, Frit Flagey et Maison Antoine. Il faut savoir que la carbonade peut se servir, en friterie, de plusieurs façons différentes : sauce à part ou sur les frites, sauce avec ou sans morceaux de viande... les possibilités sont nombreuses.« Il faut savoir que la carbonade peut se servir, en friterie, de plusieurs façons différentes : sauce à part ou sur les frites, sauce avec ou sans morceaux de viande… les possibilités sont nombreuses. »
Les carbonades de Frit Flagey
Devanture de la Maison Antoine
Affiche de la Maison Antoine
Les carbonades de Frites Atelier
J’étais allé voir en Flandre, région d’origine de la carbonade. Il me fallait voir si ce savoir-faire s’était exporté de l’autre côté de la frontière linguistique, en Wallonie. Mon coloc me confie que pour lui, la meilleure carbonade, c’est la variante liégeoise, c'est-à-dire avec du sirop de Liège au lieu de la cassonade. Intrigué, je monte dans un train avec deux Liégeois·es à mes côtés pour guider nos errances, à la recherche de quelque brasserie proposant cette adaptation du plat bien-aimé. On a marché des heures durant, sans succès. « C’est pas la saison », paraît-il. Certes, un plat de viande en ragoût début juin, c’est intense, mais notons tout de même que chacun des nombreux restaurants qu’on a visité affichait au menu la spécialité locale : les boulets liégeois, un plat de boulettes de viande accompagné d’une sauce brune sucrée au sirop, servi le plus souvent avec des frites. Ce n’est pas le même plat, c’est certain, mais il semble répondre aux mêmes besoins, semble combler le même vide en nous.« On le sait, l’ingrédient principal de tout plat véritablement réconfortant, c’est l’amour. »
Boulets liégeois
Gabriel Franjou
Devanture de la friterie de la barrière
Ok, les boulets liégeois, c’est le feu, les mecs de Flagey sont plus sympas, Sergio est plus attentionné, chez Antoine, on attend moins longtemps, et je n’ai pas de grand-mère qui m’en préparait le dimanche, mais les habitudes ont la peau dure et pour moi, rien ne vaut la portion qu’on me sert ici. Le rapport quantité/prix joue aussi, bien sûr, mais même au goût, ça reste incomparable : enfin, je ressens dans toute leur complexité les épices, d’abord le sel et le poivre, magnifique le poivre, et la cannelle, puis – serait-ce possible ? – le clou de girofle. La bière, en arrière-goût, subtile, épaisse mais dénuée d’amertume, puis le sucre qui arrive dans le fond du palais et qui emplit la gorge, la viande, si tendre qu’une légère pression de la fourchette en plastique suffit à la détacher, filament par filament, pour venir la déposer sur une frite dorée à souhait. Et surtout, surtout, les couches et couches de jus qui s’accumulent au fond de la barquette et qu’on découvre, soulevant une frites ou deux, avec une joie enfantine et vitale, et qui les imbibe pour les rendre, dans les derniers moments du plat, lourdes et molles, comme infuse de toute la consolation du monde.Biaisé dès le départ ? Sans doute. Satisfait ? Absolument.VICE Belgique est sur Instagram et Facebook. VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.« Je ressens dans toute leur complexité les épices, d’abord le sel et le poivre, magnifique le poivre, et la cannelle, puis – serait-ce possible ? – le clou de girofle. »