accro sexe coronaviruscovid-19
Illustration de Pol Anglada
Life

Comment les accros au sexe gèrent le confinement

Eux aussi se sont adaptés et le manque ne se fait pas encore ressentir après deux semaines de confinement.
Thibault Hollebecq
Paris, FR

Pour beaucoup d'entre nous, confinement rime avec solitude. Et trop souvent, elle fait naître et resurgir nos démons intérieurs. Parmi ces démons, pour certains, on trouve l’addiction au sexe. Etre dépendant sexuel ne veut pas seulement dire avoir une vie sexuelle très active. Comme pour toute addiction – la bouffe, la drogue, les écrans ou le sexe – l’indicateur principal de la dépendance c’est la souffrance, comme l’explique le psychiatre Laurent Karila. Selon lui, le trouble de l’hyper-sexualité repose sur une altération de la personnalité en réponse à l’ennui, à des événements de vie stressants ou encore une peur de ne pas être à la hauteur. Elle plonge alors les personnes qui en souffrent dans des situations qui les dépassent avec souvent un risque physique ou moral.

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Autant dire qu’en cette période de confinement, « l’ennui et les éléments de vie stressants », c’est pas ça qui manque. Mais contrairement aux personnes atteintes de troubles alimentaires qui ont pu remplir leurs frigos à ras bord et à ceux qui ont fait des stocks de weed, ou même de papier toilette, le cul s'avère être un besoin que les livreurs ne pourront jamais déposer sur les paillassons.

Jean-Victor Blanc, psychiatre en charge des nouvelles addictions à l’hôpital Saint-Antoine, a expliqué à VICE qu’il y identifie deux types d’hyper-sexuels. Ceux qui sont adeptes du chemsex, à savoir qu'ils s'adonnent au sexe sous l'effet de produits de synthèse, comme la plupart des patients qu'il suit et les autres, qui ont une hypersexualité sans produit. Ces derniers ont un appétit sexuel décuplé, presque incontrôlable, avec une souffrance et des difficultés à gérer des émotions négatives qui les submergent, comme le stress ou même l’ennui. Dans les deux cas le confinement peut être un cauchemar. Ou pas.

Sachant que l’addiction sexuelle touche en très grande majorité plus d’hommes que de femmes, on a été demander à plusieurs d’entre-eux comment ils vivent ce lockdown quasi-mondial et s’ils appréhendent les jours à venir.

Théo*, 24 ans, styliste

VICE : Est-ce que tu pourrais décrire ta vie sexuelle avant le confinement ?
Théo : Avant le confinement, j’avais beaucoup de partenaires, surtout les week-ends. Je les trouvais principalement sur Grindr. Souvent plusieurs mecs en même temps, sans protection. Je suis séropositif mais à charge virale indétectable, c’est-à-dire non transmissible. Adepte régulier de Chemsex, je m’y rends généralement lorsque les soirées ou afters s’arrêtent et que les drogues ou l’alcool m’ont complètement désinhibé. Bien que je n’étale pas toute ma vie sexuelle, quelques personnes de mon entourage sont au courant, c’est même devenu un sujet de blagues entre amis.

Est-ce que tu arrives à tenir et rester chez toi depuis le début du confinement ?
Oui.

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Comment te sens-tu ?
Je télétravaille un peu, je cuisine et je mange beaucoup. Beaucoup trop. Je me suis remis à la lecture et là, j’essaie de me mettre un peu au sport parce que j’ai pas envie que le confinement devienne trop voyant. J’ai nettoyé l’interstice des plinthes et du sol, lavé les feuilles de mes plantes, fait du pain, 37 lessives, avalé 4 séries intégralement. C’est plus drôle que dur et en soi c’est beaucoup plus sain que prévu.

Consommes-tu plus de sexe virtuel depuis le confinement ?
Non, étonnamment pas ! Je me masturbe une fois, et deux fois en cas d’excitation non désirée genre deux beaux gosses dans une série, un compte Instagram un peu trop dénudé ou un sms tendancieux.

Difficile de ne pas craquer pour le plaisir sexuel ?
Alors si vraiment j’ai envie de niquer, pour l’instant, il me suffit juste de mater un porno et ça s’arrête là, la majorité du temps. Mais parfois, l'envie persiste, alors je discute sur Grindr, et quand ça devient trop près d’une possible rencontre IRL, je coupe. Parce que je n’ai ni envie d’une amende, ni d’être faible. Je me dis que je me sentirais vraiment comme un con une fois que j’aurais joui, pris des « coronarisques » et que je devrais mentir aux copains pour faire genre j’ai tenu.

Au final tu le vis positivement ce confinement ?
Je dois dire qu'être confiné est plus facile que je l'imaginais, mais je m’inquiète de la longueur du confinement. Je ne sais pas si je tiendrais encore aussi facilement dans deux semaines. Je me fais chier, c’est indéniable. Mais c’est une expérience assez étonnante. Quand t’es seul, seul face à toi même, tu réfléchis différemment. Ce que tu repousses depuis 4 ans, tu finis par le faire, tu ritualises un peu ta journée mais pas trop pour pas que ce soit ennuyeux. En vrai, j’espère garder certaines « coronhabitudes » au delà du confinement.

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Jonathan*, 37 ans, patron de restaurant

VICE : Tu peux nous raconter ta vie sexuelle avant le confinement ?
Jonathan : Je suis en couple depuis le mois d’août. Mais nous avons malheureusement peu de rapports sexuels parce que je me masturbe beaucoup trop. Je me branle compulsivement en matant du porno ou en chatant tous les jours à hauteur de 2 à 7 heures par jour. Il m’arrive même de saigner de la bite tellement je me touche, ça fait mal et pourtant je n’arrive pas à m’arrêter, je le vis comme une addiction compulsive. Parfois je minimise, d’autres fois je m’apitoie sur mon sort. Tous les jours, je me dis que c’est la dernière fois. Mon mec sait, certains amis aussi et pourtant je me sens toujours incompris.

Et comment tu arrives à le concilier avec le reste de ta vie ?
Ça me parasite énormément puisque j’ai besoin de m’isoler pour le faire. Cela court-circuite mon envie mais aussi mon ouverture aux autres et même à prévoir des activités. Ça m’handicape beaucoup mais j’en ai besoin. Honnêtement, j’en souffre et je le vis mal. Je me sens démuni face à ces ombres qui me dominent.

Depuis le confinement, tu consommes encore plus de porno ?
Etrangement, non ! Mais c’est surement parce que j’ai d’avantage de temps. Et aussi parce que je suis seul, c'est justement cette solitude que je recherche en général pour me donner du plaisir. Je n’ai plus la frustration de ne pas pouvoir tout vivre, qu’une partie du monde m’échappe. Je n’ai plus peur de ne pas pouvoir coucher avec untel car j’ai peur de ne pas bander, ou parce que je suis en couple et que je peux pas aller voir ailleurs. Sachant en plus pertinemment que ça ne me rendrait ni satisfait ni heureux. Je n’ai plus peur non plus de chopper le VIH, ce dont mon grand-père est mort.

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Par contre, j’ai encore des petits réflexes de chats, de vidéos, de branlettes… mais le besoin de s’extraire de ma réalité se fait moins fort car la pression du monde est aussi moins forte sur moi en ce moment. Ce confinement me permets d’être présent pour moi-même. Bon, je me suis quand même branlé, mais moins longtemps, moins intensément et surtout même pas tous les jours ! Ce qui est exceptionnel !

Tes journées ressemblent à quoi en ce moment ?
Elles sont calmes et agréables. Je vais au boulot tous les jours où je profite d’une terrasse ensoleillée. Je croise de loin des connaissances ou des clients. Je fais du yoga, je lis un peu, je geek sur l’ordi sans culpabiliser. J’ai enfin un appart en ordre et agréable. Je regarde des films que je n’aurai jamais vus. Je me regarde moi directement plutôt que de me perdre hors de moi, dans le fantasme renforçant mon isolement et dans ma peur de ne pas être à la hauteur. Et mon mec vient tous les 3 jours. Même si je suis dur avec lui et que ça me met face à mon incapacité à aimer, sa présence sincère me fait aussi du bien.

Tu dirais que ce confinement te fais du bien ?
Ouais, c’est super agréable, des émotions enfouies remontent. C’est positif. Ma seule inquiétude, si le confinement venait à durer longtemps, c’est le risque que ça mette mon entreprise en péril, comme beaucoup de monde.

Franck*, 49 ans, gestionnaire de société immobilière

VICE : Tu peux nous décrire ta vie sexuelle avant le confinement ?
Franck : La fréquence dépendait des périodes et du travail, mais je pouvais avoir entre 8 et 15 rapports par semaine, à plusieurs parfois si l’occasion se présentait. En plus de ça je me masturbais tous les jours. C’était presque toujours des rapports non protégés, je suis sous Prep. La quasi totalité des rencontres passaient par les applis, hormis quelques rares partenaires réguliers. Mes applis sont quasiment toujours allumées. Les seules personnes au courant de mes rapports très fréquents sont celles à qui j'en parle, pour les exciter et motiver la rencontre. Sinon je ne suis pas très fan du chemsex parce qu’à chaque fois, j’ai trouvé les partenaires plus intéressés par les produits que par le sexe.

Comment ça se passe pour toi depuis les annonces de confinement ?
Comme je respecte le confinement, je mate beaucoup de porno. Par contre, je ne regarde quasiment pas de sex-cam : j’essaye de me maîtriser sinon je pourrais passer la journée entière la bite à la main et des jouets dans le cul. Franchement, j'arrive à gérer. Même si au bout d'une semaine je me masturbais de manière presque compulsive, j'étais hyper excité. Après 2 semaines, ça s'est un peu calmé mais j'ai un peu de mal à maîtriser mes réactions. Quand je croise des gars, en sortant faire les courses par exemple, je les fixe des yeux, je me sens presque poussé à les approcher alors même qu’il faut se tenir à distance les uns des autres. La masturbation persiste mais je cherche à la limiter parce qu’elle augmente ma frustration.

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« Si on nous demande de rester cloitrés encore 2 ou 3 mois, je crains que je vais finir par craquer mais en prenant un maximum de précautions »

Comment fais-tu pour tenir le coup ?
Je me donne des tâches à accomplir : cuisiner de nouveaux plats, me rendre au travail pour des routines, faire du ménage plus poussé, rattraper mon retard sur des vieux dossiers. J'ai aussi l'objectif d'acquérir de nouvelles compétences en regardant des tutoriels : maîtrise des réseaux sociaux dans le cadre de mon travail, perfectionner des langues que j'avais tout juste commencé à apprendre ou encore essayer de me remettre à la méditation.

Et tu penses tenir le coup jusqu’au bout ?
La solitude ne me pèse pas plus que ça. Au bout d'une semaine ça allait super. Là, on a passé la deuxième semaine, ça devient lourd. L'envie de céder à la tentation d'une rencontre se fait bien plus difficile. Mais pour l’instant ça me fait du bien, j’avais grand besoin de repos n’ayant pas eu de vacances depuis un long moment. Si on nous demande de rester cloitrés encore 2 ou 3 mois, je crains que je vais finir par craquer mais en prenant un maximum de précautions.

Et comment tu vois « l’après » ?
Un drame comme celui d’aujourd'hui nous donne l'occasion pour une prise de conscience de nos priorités, une remise en question de ce qui compte vraiment et de comment l'on vit. L'inconcevable est train de se produire. Dans un sens, le monde que l'on connaît et pas mal de repères se sont révélés dans leur réalité : créations sociales éphémères, fruit d'une logique de consommation et d'un capitalisme inhumain. Ce serait triste de ne rien en apprendre et revenir aux coutumes d'avant.

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Etienne*, 38 ans, chef d’entreprise

VICE : Comment était ta vie sexuelle avant le confinement ?
Etienne : Avant le confinement, j'avais des rapports quotidiens. Avec un partenaire minimum par jour, deux le plus souvent. J'ai toujours eu du mal à m'arrêter et à ne pas chercher de nouveaux partenaires. Les applications n'aident pas à se contenir et à sacraliser l'acte sexuel. La surabondance de mecs, nouveaux ou de passage, n'aide pas à se raisonner. Les plans à plusieurs et partouzes sont venus renforcer ce sexe à foison. Le chemsex a effrité encore plus les faibles protections qui me gardaient de ne pas baiser pendant des heures, sans m'arrêter, sans réaliser que je me foutais en l'air. Par contre, bien que sous Prep, je me suis protégé au maximum. J'ai toujours eu une peur bleue des MST et j'ai été épargné avec surement beaucoup de chance.

Ça prenait beaucoup de place dans ta vie sociale ?
J'ai toujours dit que j'avais une double vie, l'Etienne avec ses amis, et l'Etienne avec ses plans-culs. Au fil du temps, et en grande partie à cause du chemsex, ma vie sociale s'est envolée, et ma vie était centrée essentiellement autour du sexe. J'étais cependant conscient de me faire du mal, tout en étant incapable de me contenir. Le chemsex, au début je trouvais ça fun. Mais au fil du temps, je me mettais à faire de la prévention, car je voyais beaucoup trop de jeunes ne pas être conscient du mal qu'ils étaient en train de se faire. J'ai donc arrêté. Mes amis savent que j'ai une sexualité riche, variée, intense. Mais ils ne soupçonnent pas qu'elle était à ce point un poids pour moi.

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Tu respectes le confinement sans problème ?
Oui et je dois t’avouer que c’est bien plus facile que prévu. Je ne suis pas stressé, je dors comme un bébé, je crois que le fait de n’avoir aucune pression extérieure directe me fait beaucoup de bien.

Est-ce que tu consommes plus de sexe virtuel depuis le confinement ?
Ça oui… Je regarde beaucoup plus de vidéo pornos, beaucoup plus qu'en temps normal.

Le confinement a quel effet sur toi ?
Le confinement m'a permis de me retrouver, de me calmer, de ne plus être focalisé sur mes envies. C'est étrange, mais je suis un solitaire et ce confinement est très agréable pour moi. Mis-à part bien sûr l'horreur de la situation actuelle. Le fait de savoir qu'il ne faut plus approcher quelqu'un à moins d'un mètre m'a libéré. Je télétravaille et j’avais vraiment peur que le porno prenne le dessus, mais en fait j'ai ma petite routine de travailleur. Je vois tout ça très positivement. Personnellement mais aussi pour notre société future. J'ose espérer qu'il va y avoir une prise de conscience globale.

Et si ça venait à durer encore longtemps ?
Me connaissant, je vais résister, mais je sais qu'il y aura des moments difficiles. Je me dis aussi que ça peut aider à canaliser les mecs comme moi. Ça peut nous permettre de nous recentrer sur des choses plus essentielles.

Tu vois quoi pour la suite du coup ?
J'aimerais lancer quelque chose. Je me dis que cette période de confinement pourrait permettre aux gens de penser check-up complet à la libération. Si tout le monde se faisaient tester, sur toutes les IST/MST avant de baiser à nouveau, nous pourrions peut-être faire reculer les MST en vogue en ce moment. Je pense aussi que ces moments de confinement mettent en pause ces pressions autour du sexe, de la perfection, de la performance… Etre seul fait du bien. C’est le meilleur moment pour se retrouver, réfléchir à ce qui est bon ou mauvais pour soi et s'éloigner de l'idéal que nous décrivons dans nos profils sur internet. J'ai presque envie de croire que Grindr va disparaitre après cette période, que nous allons nous retrouver dans les bars, et que le monde virtuel va s’effondrer.

*Les prénoms ont été modifiés.

Le docteur Blanc tient à souligner que la grande majorité des gens qu’il traite actuellement respectent le confinement et est d’ailleurs positivement surpris des efforts qu’ils font tous.
Pour les personnes se sentant en situation d’urgence émotionnelle, il rappelle que les urgences de tous les hôpitaux ont un service d’accueil psychiatrique qui reste ouvert à l’heure actuelle. Pour une écoute plus ponctuelle et discrète, les bénévoles de Aides proposent un soutient anonyme aux personnes pratiquant le Chemsex, 24/24h via WhatsApp au 07 62 93 22 29

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