John Rechy

Cité de la nuit Le Festin nu

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Cité de la nuit Cité de la nuit My Own Private Idaho Numbers The Sexual Outlaw The Life and Adventures of Lyle Clemens L’Histoire de Tom Jones Cité de la nuit Numbers Vice : Commençons par le commencement, avec Cité de la nuit. Je n’ai jamais réussi à savoir si vous vous étiez frotté à l’écriture avant ce livre. Vous avez bossé pour un ­journal, n’est-ce pas ?
John Rechy :
Au Texas ?
Quand on est grouillot – aujourd’hui on dirait « stagiaire édito » – on travaille avec les écrits de tout le monde. Quand avez-vous commencé, vous, à écrire ? Vous avez pris des cours ou vous êtes un autodidacte ?
Quel âge aviez-vous quand vous l’avez écrit ?
Time on Wings Vous comptez le publier un jour ?
J’aurais bien aimé voir vos écrits juvéniles. Cité de la nuit a commencé comme une…
Une lettre, et c’est devenu une nouvelle qu’un magazine a publiée. Comment ça s’est passé ?
Cité de la nuit Et la personne à qui était destinée cette lettre vous a répondu ?
Et vous l’avez relue.
Et vous n’aviez encore rien publié à ce moment-là ?
Evergreen Review New Directions Ah, donc vous étiez à El Paso, et vous receviez des lettres de ces gens importants à New York ?
C’est incroyable tout de même. Et dans quel chapitre se trouve cette lettre ?
La fin du livre.
Avant cela, ça ne vous était jamais venu à l’esprit que vous pourriez écrire un roman ?
Vous me faites marcher, là ?
Eh bien vous l’avez fait, et évidemment ça ne ressemblait à rien d’autre. C’est un livre éminemment original, ça n’a rien à voir avec The City and the Pillar de Gore Vidal. Il y avait un zeitgeist qui vous a donné envie d’écrire de cette façon presque générationnelle ? Vous étiez versé dans Kerouac ?
Mais vous comprenez pourquoi je demande ça ? La langue de Cité de la nuit a quelque chose de très Beat.
Donc vous avez inventé du tout au tout cette façon d’écrire et de parler ?
rires Winnie l’ourson (rires) On va mettre cette citation en exergue.
C’est le côté absurde qui vous inspire ?
Winnie l’ourson Écrire, c’était vous rebeller ? Le personnage principal est un gigolo, certes, mais c’est aussi une sorte de délinquant juvénile. Vous étiez un écrivain rebelle ?
Cité de la nuit Evergreen Review Vraiment ? Parce que c’était trop « abusé » ?
Les scènes de sexe sont fascinantes dans ce livre. À l’époque où c’est paru, en 1963, la seule littérature pornographique gay qu’on pouvait trouver, c’était dans des fanzines – mais le style était fleuri et niais. Cité de la nuit est sorti : ça a posé le décor, fourni un canevas, et décrit avec sincérité et précision la vie sexuelle d’un hustler. Vous étiez gigolo dans la vraie vie. Vous racontiez ce que vous viviez ?
C’est quand vous vous êtes extirpé des mémoires pour partir à l’assaut de la fiction.
Big Table C’est comme si cela avait eu besoin de devenir plus cinématographique, plus romantique pour coller de plus près à la réalité. La première fois que j’ai lu Cité de la nuit, en 1971, c’est ce qui m’a envoûté. J’avais 18 ans et cette qualité intrinsèquement punk, le côté énervé du truc, le réalisme de ce roman m’ont accroché. J’étais installé dans ce monde parfaitement – quoique pas ­totalement – romantique.
Oh, oui.
Ça a été un des best-sellers de Grove. Et ça se lit encore très bien. Je connais des types de 20 ans qui ont aimé Cité de la nuit.
Si vous êtes un jeune pédé urbain et branché, c’est un must-read.
Bien, je vais vous faire une révélation que j’ai hésité à faire, mais maintenant qu’on est assis ici et que j’ai bu un demi-verre de vin… Un an après avoir lu Cité de la nuit, j’ai fait le gigolo à Denver, dans le Colorado.
rires Pendant dix mois, en 1972, j’ai été pute de rue dans le Capitol Loop, près du Capitol Building. Le quartier était surnommé Fruit Loop, ou encore Sodomy Circle.
Ils faisaient le tour puis vous prenaient en voiture, et c’était incroyable. Les drag-queens dans la rue… Le centre-ville de Denver était mal famé mais vraiment fun. Je me suis beaucoup amusé. Je ne regrette rien. Quand je pense à cette époque, je pense aussi à Last Exit to Brooklyn, le bouquin d’Hubert Selby, qui est paru un an plus tard. Qu’est-ce que vous en avez pensé ?
Cité de la nuit Ah tiens !
rires Il n’a pas beaucoup écrit en dehors de Last Exit to Brooklyn, et ses autres œuvres ne sont pas très connues.
J’ai encore deux, trois questions sur Cité de la nuit : Miss Destiny est la drag-queen la plus célèbre de la littérature d’après-guerre, je crois. Qu’est-ce qu’elle est devenue ? C’était quelqu’un que vous connaissiez, non ?
Vraiment ?
Cité de la nuit Othello Ça paraît authentique.
rires Oh, les drag-queens savent toujours dénicher un numéro de téléphone à trois heures du matin. Qu’est-ce qu’elle vous disait : « Tu te souviens de moi ? »
Je me posais la question. Je connaissais une queen de Chicago il y a une vingtaine d’années, une jeune drag-queen très marrante qui s’était renommée d’après votre personnage.
Ouais. Mais elle ne lui ressemblait pas. C’est juste qu’elle aimait ce personnage. Gus Van Sant a souvent dit, au cours des années, à quel point il aimait Cité de la nuit.
My Own Private Idaho doit beaucoup à Cité de la nuit.
Once you stop going for money, you start growing winds. rires Vous vous intéressez au porno comme à un thème d’écriture ?
C’est partout.
Comme ces gens qui se font jeter comme des vieux mouchoirs ?
Je vois ce que vous voulez dire. Mais changeons de sujet : vous avez beaucoup fait entendre votre voix sur la ghettoïsation des écrivains issus des minorités dans les librairies : la littérature noire, la littérature gay, etc. Mais dans les années soixante, on ne trouvait même pas de littérature gay. Ça a été difficile de faire rentrer Cité de la nuit ou Numbers en librairie, au début ?
Cité de la nuit Numbers Un groupe de chrétiens ?
C’était aux alentours de 1967, c’est bien ça ?
ndlr en France, a été publié en 1966 chez Gallimard Cité de la nuit L’Espagne est à l’avant-garde de la culture gay maintenant. Plus vous refrénez un truc, plus il vous explosera à la figure quand vous ­lâcherez prise. Une fois que vous avez été publié, vous avez continué à vous prostituer. C’est l’un des aspects les plus captivants de votre carrière.
hustler Plus vieux hustler au monde ? Vous aviez ­seulement 23 ans.
Votre vie a été en quelque sorte mise en abîme.
rires Vous avez continué à vous prostituer pendant plusieurs années parce que c’était qui vous étiez. Vous n’essayiez pas de coller à votre image publique. Vous vous faisiez toujours payer ?
Le tapin et la drague sont deux choses séparées, mais je sais d’expérience que parfois, ça se confond.
Vous avez parlé de Numbers comme d’une « histoire d’horreur sexuelle », ce qui lui va comme un gant. Même Au Cœur des Ténèbres, de Conrad, n’approche pas la monstruosité de votre livre. Est-ce que c’est une décision délibérée – mais d’ailleurs, vous êtes d’accord avec ce que je dis ?
Numbers Cité de la nuit Numbers The Observer Numbers Pour ceux qui n’ont pas lu Numbers, c’est un roman où un jeune homme décide – sans raison apparente – qu’il va coucher avec 30 hommes en quoi ? Un week-end ? Une semaine ?
Numbers Vous vous êtes dit : « Voyons voir si je peux le faire » ?
C’est fantastique.
Mais on ne peut pas dire que ce soit le thème central du bouquin. C’est juste le pitch.
Numbers ndlr : engourdi, insensible, indifférent Cité de la nuit Vous voulez dire que ça vous énerve quand vous vous relisez ?
Cité de la nuit rires Oh mon Dieu. Vous êtes insatiable.
Est-ce que c’est vrai que vous avez écrit Numbers lors d’un road trip en Mustang, et que c’est votre mère qui tenait votre bloc-notes ?
Vous élaboriez votre livre avec votre mère à côté ? Elle lisait l’anglais ?
Elle n’avait aucune idée de ce que vous ­écriviez à côté d’elle ?
Et les premières pages ont vraiment été publiées telles quelles ?
Jonathan Kirsch, un écrivain, a fait un papier sur vous dans le Los Angeles Times, et il a évoqué quelque chose qui, selon moi, est au cœur de ce que vous faites : la passion métaphysique qui traverse vos personnages. On vous connaît pour l’expression de la sexualité brute, mais elle émane d’une soif d’extase. Beaucoup de vos personnages se battent avec le sentiment que leur vie n’est pas à la hauteur de leurs espoirs.
Depuis combien de temps êtes-vous avec votre petit ami ?
Je vous crois.
hustler cruiser Sérieusement ? Ça s’est vraiment passé comme ça ? Je vous croyais jusqu’à maintenant, mais là, c’est trop romantique – c’est trop parfait !
Et vous êtes allé parler à Michael ?
Il y a trente ans. C’est fantastique.
Cet obscur objet du désir Numbers Oh, mon Dieu. Parlons de The Fourth Angel. Je pense que c’est l’un des livres les plus ­intéressants que vous ayez écrit, mais il n’est pas très connu.
The Fourth Angel ? Dites-moi.
Donc vous avez transformé tous ces adultes en adolescents. Ce bouquin ressemble à une sorte de Sa Majesté des mouches de l’ère SM. C’est assez ignoble quand même. C’est un livre effrayant.
Et ce livre est devenu une pièce de théâtre.
Et vous avez choisi le livre le plus sombre que vous ayez jamais écrit. (rires)
The Fourth Angel Votre livre, Rushes, se termine sur un sacrifice SM. Il est sorti en 1979, l’année où William Friedkin a tourné Cruising : Al Pacino joue un agent infiltré dans l’univers cuir SM new-yorkais. C’est quoi votre position sur le SM ?
Rushes J’ai été élevé chez les cathos, moi aussi.
Rushes Ah, tiens, j’avais raté ça.
Our Lady of Babylon Je ne suis pas branché SM. Mais le fétichisme, ça va beaucoup plus loin que des combinaisons en cuir. Chacun le sien.
Oui, l’une des premières pornstars gay. Le type est une icône.
Rushes Il a fait ce truc porno embarrassant, aussi. Des fétiches étranges, genre baiser une moto. (rires)
Oui, il était sûrement d’accord mais je ­suppose qu’il ajoutait aussitôt : « Et donc, où est le problème ? »
Votre écriture est morale, mais morale dans le genre : « Regarde, ici et maintenant. Regarde la beauté. Regarde la mort. » Vous n’êtes pas versé dans les fins ronflantes.
La Nuit vient ndlr : publié en France chez Balland, dans la collection de Dustan, en 2001 Non, pas encore.
C’était avant ou après le sida ?
Mais les gens étaient au courant ?
Vous avez participé ?
La Nuit vient J’ai joué le rôle de ce type, une fois, quand j’ai été embauché pour une fête. J’ai aussi été payé pour fouetter des mecs avec une ­ceinture et tout le reste. C’était une ­exploration intéressante. Je n’aurais rien fait d’horriblement violent, mais je peux comprendre le plaisir qu’on en tire.
Vous pensez que c’est en train de mourir ? Que le cuir, c’était générationnel ? Je ne vois plus trop de cuir maintenant.
Ce que je préfère dans votre travail, c’est que jamais vous ne démontez le narcissisme. Mon ami est très comme ça aussi. C’est l’un des types les plus gentils du monde, mais en même temps il fait des films porno amateur tout seul pour, euh, s’autovénérer. Vous adoreriez ce type.
Vous donnez encore des cours d’écriture à l’université ?
Qu’est-ce qui s’est passé ?
Vous avez déclaré un jour que vous aviez été le premier homme à descendre le boulevard de Santa Monica torse nu.
C’était dans les années cinquante, quand tout le monde portait des costumes de flanelle grise. C’est comme si vous aviez été nu, non ?
Vous aviez un tee-shirt dans la poche arrière ?
À l’époque, on n’était pas encore dans le jean délavé, on était plus dans les salopettes Lee.
Des bottes de motard ?
J’en ai encore des comme ça. (rires) J’ai porté des bottes de motard pendant des années à cause de vous. Et le boulevard de Santa Monica, c’était déjà un endroit pour les gigolos, à l’époque ?
Qu’est-ce qui vous a fait ôter votre tee-shirt ? C’est comme si moi, j’ôtais mon caleçon et que je me baladais sur la Cinquième Avenue.
Et vous portiez un petit tee-shirt blanc moulant ?
Est-ce que quelqu’un vous a interpellé ?
Oh, ils n’auraient peut-être pas fait le lien à l’époque.
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