Ce chef du Noma est obsédé par son levain

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Ce chef du Noma est obsédé par son levain

L'étonnante histoire d'amour entre un homme, Rasmus Kristensen, et sa levure panaire.

Faire un article sur le Noma en ne parlant que de son pain frise clairement le blasphème. Si le restaurant de René Redzepi a ébranlé tous nos principes gastronomiques et envoyé le monde entier à Copenhague dans une quête effrénée du nirvana nordique, ce serait néanmoins une erreur de passer à côté de son élément (en apparence) le plus banal et prosaïque. Négliger le pain, c'est mal comprendre l'intention première de Redzepi quand il ouvre le Noma il y a treize ans au Strandgade 93 à Christianshavn. Et Rasmus Kristensen, l'homme en charge de la boulangerie du restau, est là pour éviter ce faux pas. « Je pense que le pain est un truc de nerds, ce qui le rend super cool », assène Rasmus. « On m'a demandé de m'investir à fond sur le pain au Noma parce que c'est la première chose que goûte René chaque jour. Et pour être honnête, le pain est aussi la seule chose qui change quotidiennement à 100 %. Parce qu'avec le pain, tout change en fonction de la personne qui le fait. »

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Cela fait deux ans que Rasmus peaufine un pain qui a évolué en s'adaptant aux goûts et aux savoir-faire. Sa base de travail ? Un levain traditionnel vieux d'au moins dix ans.

« Ce levain doit nous suivre jusqu'au Mexique », soutient-il. «  C'est obligé. Je ne vais pas tout recommencer à zéro. Ce serait horrible. Quand le Noma a déménagé en Australie, j'ai conservé une partie de mon levain au Studio où l'un des chefs pouvait le surveiller. J'en ai aussi passé une partie à Kadeau avant de congeler le reste. J'en ai aussi filé un peu à une ex qui voulait bien s'en occuper. »

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Au Noma, voici les étapes que suit Rasmus pour obtenir une belle tranche de pain en partant d'un pâton humide : vers 13h, il mélange une portion de son levain avec de l'eau et un mélange de farines contenant de la farine de blé Øland (venue de Kornby Mill), de la farine de blé complète de la même marque et une farine d'une céréale ancienne qu'on appelle ici sort nøgenbyg (littéralement, orge noir nu). « Ça sent l'étable quand je prépare ça, comme si on rentrait dans une ferme », ajoute Rasmus.

Il faut ensuite pétrir le pâton pendant une heure à l'aide d'un robot, puis il est mis à reposer pendant deux heures dans un récipient en plastique. « J'enfonce toujours un thermomètre dans le cul du pâton », dit-il. « Pour être bien sûr que la température est autour de 26°C ». Le pâton est ensuite « plié » toutes les demi-heures et puis vers 16h, on met le pain dans des paniers. À 20h30, on le laisse refroidir toute la nuit. Le lendemain à 10h, il pourra être cuit.

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Chaque jour au moment de faire le pâton, Rasmus met 25 g de côté. En lui apportant assez d'eau et de farine à des moments précis, Rasmus obtient suffisamment de levain pour la fournée du lendemain. « De cette manière, une cuillère à soupe de levain peut donner 19 miches de pain dont chacun des 130 convives aura une tranche. C'est dingue. Et c'est pour ça que je m'excite même encore maintenant quand je vois du levain – c'est de la magie. »

Nourrir le levain avec de la farine et de l'eau ne ressemble peut-être pas à de la magie, mais c'est en tout cas essentiel pour obtenir un pain aux saveurs équilibrées, précise Rasmus. Étant donné qu'on bosse là avec un organisme vivant, c'est une affaire d'intuition autant que de recette. Le niveau de fermentation et d'amertume doit être constant – c'est pour ça qu'il faut nourrir le levain à la même heure chaque jour avec une eau toujours à la même température. Et il ne faut jamais, jamais céder à la tentation d'ajouter de la levure chimique au pâton.

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« Je ne vais pas me mettre à faire du pain à l'huile d'ail d'ours », termine Rasmus. « Je suis sûr que ça doit être bon mais je défonce quiconque ajoute quoi que ce soit à mon pain. Ça gâcherait tout. »

Ce serait donc ça, le vrai blasphème.