Au cœur de l'étrange passion française pour la cuisine du Canada
Poutine is unofficially considered Canada's national dish. Photo by Adrien le Coärer.

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Au cœur de l'étrange passion française pour la cuisine du Canada

De Grenoble à Paris, de plus en plus de restaus et de bars ne jurent que par le Grand Nord, la poutine, le mac & cheese et les cocktails au sirop d'érable.

Alors que je déambulais sur les bords de l'Isère, j'ai découvert à ma grande surprise un établissement canadien servant des plats bien de chez moi.

Alors que la France peut se targuer d'être l'un des deux pays au monde dont la gastronomie est reconnue au « patrimoine culturel immatériel » de l'UNESCO, le Canada se la pète un peu moins niveau patrimoine culinaire. Ce qui n'a pas empêché les habitants de l'hexagone de développer un goût prononcé pour les spécialités canadiennes.

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Soraya et Georges Ayad, le couple français aux commandes du Restaurant Ontario, sont tombés sous le charme du Grand Nord après une virée dans la région de Toronto et au Québec.

« On adore les grands espaces, les cabanes en bois et la gentillesse des Canadiens donc on s'est dit pourquoi ne pas en rapporter un bout à Grenoble ? », m'explique Soraya tout en me racontant leur voyage.

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Georges et Soraya Ayad sont tombés amoureux du Canada après un séjour en vacances. Toutes les photos sont de l'auteur.

Quatorze tonnes de bois massif plus tard et les Ayad montaient leur restaurant-chalet sur pied, en plein cœur de Grenoble, près des Alpes. Les murs sont décorés avec d'anciens accessoires sportifs, de vieilles publicités, des plaques d'immatriculation et d'autres éléments pouvant créer une atmosphère authentiquement canadienne.

Alors que nous commençons à parler du menu très riche en saumon, Georges, qui est aussi le chef du restaurant, débarque des cuisines.

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Georges Ayad pose avec un saumon frais d'Ecosse.Depuis qu'on a ouvert il y a vingt ans, le saumon est pour nous le symbole du Canada

« », précise-t-il.

George en envoie plus de trois tonnes par an. Il l'accommode dans douze plats différents ; carpaccio, toast de saumon fumé, grillé ou en burger. Il propose aussi un tartare de saumon – version revisitée du steak tartare qui se cuisine normalement avec du bœuf cru et que les Français kiffent grave. Le saumon arrive frais directement d'Écosse deux fois par semaine.

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Saumon cru préparé de trois façons différentes à l'Ontario. Photo d'Adrien le Coärer.« La clientèle française est très exigeante. Nous nous inspirons de la cuisine canadienne mais nous l'adaptons aux goûts locaux

Le restaurant propose également des variations de poutines, de burgers et de plats à base de viandes : du bison, de l'agneau ou encore des travers de porc.

», explique Soraya.

Bien qu'ils maîtrisent parfaitement les recettes du Grand Nord, les principes en cuisine restent bien français. « Tu ne peux pas faire de la bonne cuisine si tu n'as pas d'ingrédients frais et de bonne qualité », me dit Georges.

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La salle de l'Ontario. Photo d'Adrien le Coärer.Nous n'utilisons pas d'ingrédients congelés ici. Nous avons donc préféré choisir d'autres viandes exotiques pour répondre à la demande des clients

Je demande quand même pourquoi on trouve aussi des viandes clairement pas canadiennes sur le menu, comme de l'autruche ou du kangourou. Georges m'explique alors que s'approvisionner en produits canadiens frais n'est pas une chose facile. Il a essayé de trouver de la viande de caribou ou de castor, mais impossible d'en trouver autrement que congelés.

« », me dit Georges. « Mais je viens de trouver une viande canadienne pour remplacer le kangourou sur notre nouveau menu. »

Si les touristes étrangers de passage à Grenoble apprécient l'Ontario, sa clientèle est surtout française et certains d'entre eux n'ont jamais testé les traditions culinaires typiquement canadiennes.

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Version française d'un classique burger canadien au saumon. Photo d'Adrien le Coärer.la plupart des clients viennent ici par curiosité.

Pour Soraya, « » Elle ajoute que « souvent, les Français associent le Canada au froid. »

Ici, l'important est d'offrir une expérience la plus authentique possible – et pour les Ayad, cela passe surtout par un accueil chaleureux et un service amical.

« Pour moi, la cuisine du Canada est synonyme de famille et de rassemblement. Nous proposons donc beaucoup de plats canadiens et aussi notre sourire. C'est là qu'on voit la différence avec un restaurant français », sourit Soraya.

Se rendant régulièrement dans la Belle Province, Marianne Fournier est cliente du Restaurant Ontario depuis vingt ans.

Une bière à la main, elle enchaîne : « Ici, on est entre amis. Mon fils et sa famille ont déménagé à Montréal, donc le Québec est devenu presque comme une seconde maison pour moi. »

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Au Moose Bar, Monica Kroesen prépare un cocktail avec du sirop d'érable.

À Paris, les bars canadiens ont aussi la cote. Ils deviennent même une alternative plus que prisées aux traditionnelles brasseries. Notamment lorsqu'il s'agit de mater des événements sportifs.

Le Moose se trouve dans une ruelle étroite du VIe arrondissement. À l'intérieur, le décor joue sur les stéréotypes : des crosses de hockey servent de repose-pieds sur le bar fait de bûches. On s'attend presque à voir un portrait de Xavier Dolan au-dessus du zinc.

Le propriétaire, Michael Kennedy, m'explique : « notre but ici est de créer une atmosphère qui attire à la fois les habitants du quartier et les expats. Beaucoup d'anglophones se sentent comme chez eux au Moose. »

Un pub canadien sert plus ou moins la même chose que son homologue anglais ou américain : des burgers, des chicken wings et des nachos. Grâce à la province du Québec, il propose aussi le remède anti-gueule de bois inventé par les Canadiens : la poutine.

Avec ses grosses frites recouvertes de fromage et d'une sauce brune onctueuse, la poutine est sans doute le plat le plus demandé au Moose.

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Des crosses de hockey sous le zinc.Elle fait partie de l'identité culinaire du Canada

« », raconte Monica Kroesen, la gérante originaire de Toronto. « Les clients français nous demandent si on a du skouik-skouik – c'est comme ça qu'ils appellent le fromage en grains. »

La France a beau avoir une réputation imbattable en matière de fromages, Michael a eu du mal à s'approvisionner en cheddar caillé frais – le frometon authentique de la poutine.

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Fidèle à ses origines, le bar propose toute une sélection de bières et d'alcools canadiens – dont un cocktail à base de sirop d'érable.

« Le Moose tire son nom de la Moosehead, une bière canadienne », explique Michael, le propriétaire, Australien d'origine.

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Le propriétaire du Moose, Michael Kennedy.« J'aime le fait que cet endroit ne ressemble pas à un vrai bar français. Ça me rappelle l'époque où je vivais à l'étranger

Xavier Martin est un habitué des lieux. Après avoir vécu dix ans en Amérique du Nord, ce Français apprécie de pouvoir retrouver un petit bout de Canada en plein cœur de la capitale. », me confie-t-il. Il pense que si les Français aiment tant le Canada, c'est grâce à l'image positive du pays renvoyée par les médias.

Pas loin de la station de métro Saint Michel, les clients du Great Canadian Pub peuvent profiter d'une vue sur Notre-Dame depuis le patio de l'établissement.

« Croyez-le ou non mais pour les Français, un 'sports bar' est un lieu assez exotique », dit le propriétaire des lieux, Mark Berry.

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Macaroni and cheese. Photo d'Adrien le Coärer.On fait du mac and cheese partout au Canada

« », m'explique Mark qui vient d'Ottawa. « Quand on a faim mais qu'on n'a plus rien pour faire à manger chez soi, on a toujours en général une boîte de KD qui traîne dans une armoire. » KD comme Kraft Dinner, un mélange prêt à cuire de mac and cheese.

Pour Mark, employer de vrais Canadiens pour faire tourner son pub est aussi la recette du succès. « On essaye d'en embaucher parce que si tu arrives à former une bonne équipe, c'est elle qui va créer une ambiance sympa. »

Seule déception, je n'ai pu commander de Caesar nulle part en France. Pourtant, ce cocktail à base de Clamato – un jus de tomate infusé à la palourde – est un symbole national au Canada. Il serait peut-être temps de l'exporter.