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Personne ne laissera Claude Violante et Tamara Goukassova lâcher l’affaire



Si vous avez suivi tous les épisodes, de Haussmann au gigantesque « Your Way » en passant par son nouveau maxi Your Heart Is Weak, vous savez déjà qui est Claude Violante, dont le premier album devrait en toute logique, mettre la fin de l’année à feu et à sang. Si vous avez également zoné du côté des itinéraires bis et des voies parallèles, vous connaissez également Tamara Goukassova, ex-Konki Duet et actuelle Strasbourg qui évolue tranquillement en solo et a déjà signé une poignée de maxis, à commencer par l’incandescent August In September. Et si vous avez parfaitement intégré toutes ces données, vous avez assurément fait partie de la petite centaine de personnes qui se sont pressées il y a deux semaines voir Claude Violante et Tamara Goukassova partager la minuscule scène de l’International, à Paris. Si ce n’était pas le cas, on vous plaint sincèrement. Si vous en étiez, vous nous avez sans doute croisés – on en a d’ailleurs profité de cette date commune pour aller leur poser quelques questions sur leurs premières expériences, leur relation avec les majors, leur vision de l’industrie musicale en 2015 et les jours de doute où elles pensent à envoyer leur CV à Leroy Merlin.

Noisey : Vous pouvez nous parler de vos premiers projets, de ce que vous avez fait avant de vous lancer en solo ?

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Tamara : Camille :
Tamara, comment es-tu passée du dernier album très pop de Konki Duet, à tes enregistrements en solo qui sont nettement plus sombres et intimistes ? Tamara : Camille : Tamara : Camille, en revanche, tu es souvent rapprochée de choses super mainstream type La Roux, par exemple. Camille : Oui, tout à fait mais quand j’écoute ma musique, je ne vois pas ça du tout. J’ai l’impression de faire des trucs chelous que j’arrive un peu à rattraper. Moi, ce que je veux, c’est juste créer des ponts dans ma musique entre des choses alambiquées et d’autres plus évidentes et accessibles.

Tamara tu joues seul sur scène alors que toi Camille tu as un backing band, vous vous sentez comment vis à vis de l’expérience scénique où les regards sont forcément projetés sur vous ?
Camille :
Moi j’aime pas trop être au centre de l’attention. C’est pour ça que j’aime jouer avec des musiciens qui m’apportent une présence physique. Ce serait un gros fardeau d’être seule. Je n’ai pas fait beaucoup de concerts dans ma vie, mais j’ai l’impression que c’est un peu mieux à chaque fois. Après, quand tu es seule, tu es obligée de justifier le fait que tu as tout fait toute seule. C’est encore pas tout à fait accepté, quand tu es un fille, de tout faire en musique. Ça met encore plus de pression. Après, j’ai fait souvent des concerts dans des grandes salles, comme la Machine ou Beaubourg et ça m’a beaucoup désemparée. A l’International c’était beaucoup plus rassurant, les gens étaient encourageants et, d’une certaine façon, ça me donne envie de me livrer davantage.

Tamara : La scène ne me fait pas peur. Hormis des salles vraiment gigantesques, je me suis retrouvée dans pas mal de plans et de situations différents. J’ai juste flippé la toute première fois où j’ai joué seule. Mais passé ce cap, j’étais à l’aise et j’aime beaucoup ça. Les gens ont généralement du mal à le croire car je ne suis pas très expansive. Ils prennent ça pour de la peur ou de l’ennui mais pas du tout. J’ai une théorie qui s’applique à tous mes projets passés et présents : je pense qu’on fait 10 % de bons concerts et pour le reste on est toujours déçu de l’expérience. Mais ces 10% sont tellement géniaux, c’est comme du dopage et c’est ce qui me pousse à continuer.

Vous êtes toutes les deux liées au label Tsunami-Addiction. Vous pouvez nous décrire la relation que vous avez à ce label ?
Camille : C’est un peu comme une maison – pour moi en tous cas. Gloria [Reiko-Pedemonte, qui dirige le label] marche beaucoup à l’affectif ce qui la pousse à faire et réussir des choses dont les gens de grosses maisons de disque seraient complètement incapables. Moi, je dois la rendre folle avec tous mes coups de stress mais elle reste très loyale. Il y a quelques inconvénients avec ce type de relation, mais ça a surtout des bons côtés.

Tamara : Elle a une vraie éthique : la ligne de son label ne se laisse pas influencer par des questions d’argent. Après sur le plan stylistique c’est assez éclaté. Certaines signatures m’ont un peu surprises, comme Kid North qui était un groupe pop rock mené uniquement par des garçons, alors que Tsunami-Addiction s’intéresse surtout aux projets menés par des femmes.

Camille : Je pense que c’est à la fois la faiblesse et la force du truc.

Tamara : Je vois moins ça comme une faiblesse que comme une fragilité, face aux schémas très binaires du monde actuel.

Justement, je me sens un peu obligé du coup de vous poser cette question, surtout que tu en parlais tout à l’heure Camille, mais quel rôle joue votre féminité dans votre musique ? J’avais par exemple été super étonné sur la fin de Konki Duet par cette mise en scène avec des photos très sexy…
Tamara : Si mes souvenirs sont bons, cette idée de venait pas de nous [Rires]. Je suis totalement à l’aise avec le fait d’être une femme dans ce milieu. J’ai pas envie d’en faire des caisses, ni de m’excuser. C’est plutôt le regard des gens qui est compliqué. Cette idée que Camille évoquait est vraie : certains ont encore du mal à accepter ce que font les femmes et à les prendre au sérieux – ça vaut pour tous les domaines d’ailleurs.

Camille : Ce qui est important, c’est de revendiquer le fait de pouvoir faire ce que l’on a envie de faire, sans qu’être un homme ou une femme soit un problème, ou même un sujet de discussion.

Tu as choisie un prénom mixte comme pseudonyme, d’ailleurs.
Camille : Oui et j’aime bien cet aspect-là. Les gens voient bien que je suis une fille quand je chante. Mais j’aime cette idée d’effacer les repères. C’est plus compliqué dans la musique électronique, je trouve. Il y a cette idée du mec dans le studio qui produit mais rarement de la femme.

Tamara : Quand tu es une femme tu es la chanteuse, forcément. Pour moi, la revendication ce serait de tout faire soi-même. Dans mes expériences précédentes, avec Konki Duet, notre part était toujours minimisée au profit des intervenants masculins – ingés sons ou producteurs, par exemple. Au début de mon projet solo, je me suis acharnée à vouloir produire ma musique seule. Ce que les gens autour de moi ne captaient pas forcément. Même mon label Alpage avait été surpris par autant d’acharnement, alors qu’ils éteint les premiers à m’encourager à me lancer en solo et à me soutenir dans tout ce que je faisais. Mais c’était crucial pour moi.

Camille : Les choses évoluent peu à peu. On peut faire de la musique, se montrer, sans être sexué. Les filles en maillots de bain ou les mecs torse-nu sur les pochettes, c’est fini ça, point barre.

Ce sont surtout des codes présents dans la culture mainstream et justement, tes derniers morceaux, Camille, jouent parfois dans cette cour là un peu pop, R ‘n B…
Camille : Je ne trouve pas, moi. On a bossé sur le mix avec des américains donc forcément ça donne ce côté très carré. Bon c’est quelque chose que j’aime le r’n b mais je ne fais pas du Sexion D’Assault pour autant, si ? Après quand on envoie ma musique aux gens des maisons de disques, ça leur plaît pas. Ils ne trouvent pas ça accessible donc c’est vraiment une question de point de vue.

Vous avez fait cette démarche, justement, d’aller voir les majors ?
Oui, carrément pour aller chercher un peu de thunes et donner une envergure supplémentaire au projet. Faire des clips par exemple ou un mastering avec des gens cools. Mais bon, on ne nous a ouvert aucune porte.

Même si vos univers restent très sombres, vous restez toutes les deux très attachées au format pop. C’est un truc auquel vous tenez ?
Camille : Mais ce n’est pas parce que tu ne les a pas entendus qu’on ne les a pas fait ces trucs chelous ! [Rires]

Tamara : Pour moi à la base la pop, c’était un défi. C’était beaucoup plus difficile pour moi que faire des choses expérimentales. Ça reste un domaine que je ne maitrise pas totalement mais j’ai envie d’y arriver. Dans Strasbourg, par exemple, c’est plutôt moi l’élément pop du groupe.

Camille : Moi j’ai pas mal de morceaux instrumentaux par exemple. J’aime beaucoup faire ça, ça peut être un grand soulagement de ne pas mettre de voix ou de les déconstruire. Le truc, c’est qu’on fait écouter aux gens de la grosse merde et ça me fait de la peine. On leur fait écouter un morceau où il y a cinq fois le refrain et on les fait devenir comme des animaux. C’est comme donner du McDo aux enfants tous les jours. Ça ne tire pas les gens vers le haut. Je n’ai pas la prétention de changer ça mais ce que j’essaie de faire c’est leur proposer une musique qui ressemble un peu à ce qu’ils connaissent, comme ça c’est pas trop flippant, mais qui reste un truc de qualité. Ma musique est un intermédiaire.

Vous semblez naviguer un peu autour de la musique électronique, c’est une culture importante pour vous, ça fait partie de votre parcours ? Camille : Finalement après tout ce temps, qu’est ce qui vous pousse à continuer ? Est-ce que vous avez l’impression que c’est un peu une malédiction parfois d’être musicien, qu’on se sent incapable d’être autre chose mais que c’est souvent beaucoup d’efforts pour peu de résultats? Camille : Tamara : Rires Camille : Tamara : Camille : [ Rires ]


Claude Violante a sorti il y a quelques semaines son deuxième EP, Your Heart Is Weak, sur Tsunami-Addiction et Atlas Chair. Son premier album est prévu pour la fin de l’année.

Tamara Goukassova vient de sortir son premier album avec Strasbourg sur Le Turc Mécanique et prépare un nouveau maxi.


Adrien Durand fait aussi de la musique, mais ce n’est pas le sujet. Il est sur Twitter – @AdrienInBloom