Music

Range Tes Disques : The Afghan Whigs

Range Tes Disques est une rubrique dans laquelle nous demandons à un groupe ou un artiste de classer ses disques par ordre de préférence. Après Korn, Slipknot, Lagwagon, Hot Chip, Manic Street Preachers, Primus, Burning Heads, le label Fat Wreck Chords, New Order, Ride, Jean-Michel Jarre, Blur, Mogwai, Ugly Kid Joe, Anthrax, Onyx, Christophe, Terror, Katerine, Redman, Les Thugs, Moby, Les $heriff, L7, Descendents, Teenage Fanclub, Dinosaur Jr, Kery James, Brujeria, Ludwig Von 88, Étienne Daho, Loudblast, Pavement et Phoenix, c’est au tour des Afghan Whigs de classer ses disques. On a demandé à leur leader Greg Dulli de les remettre dans l’ordre, de celui qu’ils trouvent le moins bon, à celui qu’ils considèrent comme le meilleur.


Issus de la scène indépendante US de la fin des années 80, les Afghan Whigs ne disent sans doute rien aux deux-tiers d’entre vous, bien qu’ils se soient fait une place sur Sub Pop avant Nirvana. Il aura fallu au groupe de Cincinnati deux albums pour définir un son – mélange de hard-rock, de post-punk et de R&B vintage détrempé d’alcool et noyé dans la clope, porté par les textes acerbes et rageurs de leur leader Greg Dulli – et véritablement tirer son épingle du jeu au début des années 1990, période où le marché du rock à guitares était plus que saturé.

Comme beaucoup de leurs collègues, les Afghan Whigs ont largement profité de l’explosion ru rock alternatif à l’époque, décrochant rapidement un deal avec une major censé les portes de la gloire et des canaux mainstream. Opportunité qu’ils n’ont pas saisie, préférant enregistrer leurs trois meilleurs albums avant de tout arrêter. Dulli enchaînera ensuite avec deux autres projets, les Twilight Sisters et les Gutter Twins (aux côtés de Mark Lanegan), avant d’entamer une carrière solo. Reformés en 2012 pour ce qui était censé n’être qu’une tournée unique, les Afghan Whighs enregistreront contre toute attente un nouvel album en 2014, Do To The Beast – expérience tellement positive qu’elle donne aujourd’hui naissance à In Spades, huitième LP du groupe visiblement réalisé dans des conditions optimales.

Videos by VICE

« Ça a commencé à se mettre en place une fois qu’on s’est tous retrouvés en studio » explique Greg Dulli. « La première moitié de l’album a été écrite en une semaine. On a mis un an à finir l’autre moitié. Mais ça a été vraiment, vraiment facile, et vraiment, vraiment marrant à faire. C’était le premier album depuis Black Love qu’on enregistrait comme ça, au complet, avec tout le monde en studio en même temps. 20 ans plus tard, c’était reparti. »

Nous avons réussi à capter Dulli, à la Nouvelle-Orléans, par une belle journée ensoleillée et en avons profité pour pour lui demander de mettre un peu d’ordre dans le catalogue des Afghan Whigs. Et il ne s’est pas vraiment fait prier.

7. Big Top Halloween (1988)

Noisey : Je vais être franc, je ne sais vraiment pas grand chose de cet album. Pourquoi est-ce celui que tu aimes le moins ?
Greg Dulli: Je vais être franc, moi non plus [Rires]. C’est le premier disque qu’on a fait. J’avais un groupe à Cincinnati, qui s’appelait les Black Republicans, et le dernier concert qu’on a fait était, en gros, un premier aperçu de ce qui allait devenir les Afghan Whigs. Et puis j’ai quitté Cincinnati pour Phoenix, pour 6 ou 7 mois. Je ne me souviens même pas pourquoi j’ai fait ça. Il faisait une chaleur terrible, et j’ai passé tout ce temps enfermé dans ma chambre, à apprendre à jouer de la guitare et à écrire des chansons. Je suis revenu à Cincinnati avec quelques chansons en poche, et puis Rick McCollum, John Curley et moi, on a formé le groupe. On a pris ces chansons, et d’autres que j’avais écrites avec Rick, et on est entrés en studio. Aucun d’entre nous n’avait jamais fait ça avant, et j’ai bien l’impression qu’on a plié l’affaire en trois jours, peut-être quatre. Ça part dans tous les sens. Je ne l’ai pas écouté depuis les années 80, je ne peux pas vraiment en dire plus sur les détails. Mais il plaisait à ma mère !

C’est cet album qui vous a permis de signer chez Sub Pop ?
Non, ce n’est pas ce disque qui nous a permis de décrocher le deal, mais une cassette qu’on a enregistré juste après et qu’on avait intitulé Jugula, d’après une collaboration entre Jimmy Page et Roy Harper. Notre ami Scotty Haulter avait un bar à Louisville, le Hooligans, et il passait cette cassette sur la sono. The Fluid jouait ce soir-là ; ils ont entendu Jugula et lui ont demandé une copie. Et c’est le batteur de The Fluid, Garrett Shavlik, qui a fait passer la cassette à Jonathan Poneman de Sub Pop, qui nous a ensuite contactés. C’est comme ça qu’on a signé chez eux.

6. Up In It (1990)

Notre premier disque sorti chez Sub Pop. Là encore, on était entrain d’apprendre les ficelles du métier. J’avais conscience qu’il existait un archétype Sub Pop, et je crois que j’essayais d’orienter mon écriture vers ce modèle. C’était comme d’essayer de mettre des habits qui ne te vont pas, mais que tu mets quand même. Un truc intéressant sur Up In It, que personne ne sait vraiment, c’est qu’on a fait une première version de ce qui allait devenir « My Curse », sur Gentlemen. À la base, le morceau s’appelait « Ciaphas », du nom d’un grand prêtre du Temple de Jérusalem, dans la vie de Jésus [Caïphe en français]. On a enregistré ce morceau, et Jack Endino nous a dit « Bruce Pavitt n’acceptera jamais que ça sorte sur le disque. » Et j’ai répondu « Ouais, mets le quand même. » Et Bruce Pavitt a refusé que ça soit pressé sur le disque. En réalité, il nous a plutôt rendu service, parce que la deuxième version du morceau est infiniment meilleure.

Il y a un morceau d’ Up In It qu’on joue toujours aujourd’hui, « Son Of The South », que j’adore. Et j’aime toujours « Retarded » aussi. Si on n’avait pas fait autant de modifications sur « Hated », je dirais que c’est un super morceau. Mais on l’a noyé sous des tonnes d’arrangements qui me font mal quand je l’écoute aujourd’hui.

Ça ne posait pas problème d’appeler un morceau « Retarded » [débile, mongol] à l’époque ?
Non. Internet n’existait pas. Ça n’avait rien à voir avec une quelconque insulte envers les gens handicapés. C’était un terme d’argot, et c’était fait dans cet esprit. Si quelqu’un essayait de me chercher là-dessus, je lui faisais fermer sa gueule assez rapidement.

J’ai lu que vous étiez à deux doigts de vous séparer à ce moment-là ?
On a splitté tellement de fois… Lorsque Jonathan nous a appelé, à cause de la cassette Jugula, on s’était déjà séparés. On s’est séparés à nouveau après la sortie de Up In It, puis on est repartis ensemble en tournée, on a splitté sur scène à Amsterdam – littéralement en plein milieu du concert, on s’est tous dit les uns aux autres « d’aller se faire foutre », et on s’est barrés chacun de notre côté. On était les Liz Taylor et Richard Burton du rock 90’s.

5. Congregation (1992)

Là, ça devient difficile pour moi, parce que Congregation est très cher à mon cœur. Je crois que c’est à ce moment-là qu’on est devenus les Afghan Whigs que les gens connaissent. Je suis devenu infiniment plus confiant en tant que songwriter. Bruce Pavitt n’allait plus me dire de mettre des ballades sur mes disques. Il y en a deux sur Congregation, et je les aime toutes les deux. Il a bien essayé de nous faire enlever le morceau « Jesus Christ Superstar » du disque, et j’étais là « Pas moyen ! On le laisse là où il est. À toi de voir si tu le sors ou si tu ne le sors pas. » À ce stade, je commençais à être déterminé, et je savais qu’on faisait un truc spécial, et que personne n’allait me dire de faire autre chose.

Sub Pop avaient des problèmes d’argent à cette époque, non ?
En effet, et on avait commencé à faire le disque à Seattle avant de déménager en Californie, et c’est là où ils se sont retrouvés à court d’argent. J’ai du me trouver un boulot et un appartement, et j’ai fini par me retrouver en exil à Los Angeles. C’est à l’époque où ils avaient sorti ces T-shirts où il y avait écrit « Qu’est ce que vous ne comprenez pas dans ‘On n’a pas d’argent’ ? » Et puis sans prévenir, Nirvana a sorti Nevermind, et Sub Pop ont eu de l’argent à nouveau. Beaucoup d’argent. J’ai pu finir le disque. J’ai déjà souvent raconté cette histoire, mais Nirvana sont venus jouer au Palace, à L.A, et je suis allé backstage pour remercier Kurt de m’avoir ramené à la maison. Ce qui est drôle aujourd’hui, parce que j’ai passé 20 ans à Los Angeles. Pour défendre ce disque, on a tourné avec Teenage Fanclub, qui venaient de sortir Bandwagonesque, et c’était la plus grosse tournée qu’on ait faite à ce stade. Après ça, on était lancés.

L’album était prêt, et puis vous avez enregistré « Miles Iz Ded » et vous avez speedé au possible pour le rajouter, c’est ça ?
Ouais, j’étais toujours à L.A, à bosser chez Rhino Records. J’étais en voiture sur le chemin du boulot, et Miles Davis venait de mourir. Quelqu’un avait tagué « Miles Iz Ded » [« Miles é mor »] sur la façade de l’immeuble. Ça, c’est la phase 1. Et puis une semaine plus tard, j’allais chez mon pote Dave, qui faisait une fête, et juste avant que je parte, il m’appelle et me dit « N’oublie pas l’alcool » [« Don’t forget the alcohol »]. Et j’ai passé mon temps à me répéter ces mots dans ma tête. Je me suis arrêté quelque part, j’ai acheté de l’alcool, je suis allé à la fête, et en gros, j’ai mélangé tous ces trucs pour faire un morceau. On avait déjà fini la pochette, mais j’ai dit « Il faut vraiment que ce morceau figure sur l’album, en morceau secret à la fin. » Donc on a fait ça, et le morceau est devenu le titre avec lequel on clôture nos concerts. Les gens adorent ce morceau. J’adore ce morceau.

La pochette de Congregation est une de mes préférées. Est-ce que c’était juste une façon de rendre honneur à vos influences R&B ?
C’est ça. Des gens nous avaient fait chier à cause de nos influences, et de notre amour pour la musique noire. C’était mon pied de nez à ces gens-là, en quelque sorte. Rick McCollum sortait avec la fille de la pochette, et le bébé est la fille du photographe. Mais quelle photo, mec. Tous ces contrastes de couleurs, c’est tellement puissant.

4. 1965 (1998)

À partir de là, c’est un peu interchangeable. Avant qu’on reforme les Whigs, je disais toujours que c’était mon album préféré. C’est le dernier qu’on a fait avec la première mouture du groupe. C’est le premier disque qu’on a fait à la Nouvelle-Orléans. Je l’adore. C’est l’unique album sorti sur Columbia. C’est l’unique fois de ma vie où j’ai essayé d’écrire des morceaux pour la radio. Je ne vais pas dire que j’ai essayé d’écrire un hit, mais j’ai essayé de faire un truc concis, avec des refrains. La face A, ce sont toutes mes tentatives d’écrire des morceaux taillés pour la radio. La face B, c’est la face cheloue, qui contient « Omertà », une des mes morceaux préférés de tout notre catalogue. C’est un carnet de voyage flippant dans les bas-fonds de la Nouvelle-Orléans. C’était la première fois qu’on avait recours à une section de cuivres. C’est le disque le moins tendu des Whigs ; le disque pour faire la teuf. Le titre provisoire de 1965 était Stand Up Get Down. Je ne sais absolument pas pourquoi on est passés à 1965, parce que Stand Up Get Down est un bien meilleur titre [Rires]. Il faut toujours faire confiance à son instinct, mec. Même nos fans viennent me voir et me disent à quel point ils adorent 1969. Et je suis là « C’est pas 1969, mec. Ça, c’est un disque des Stooges. Mais je vois ce que tu veux dire. »

Tu as qualifié cet album de « ass music » [musique pour baiser]
C’est de la musique pour danser. C’est de la musique pour baiser. C’est fait pour passer du bon temps. « Somethin’ Hot », c’est une jam. « John the Baptist », c’est une jam. On a mis des putains de jams sur cet album. Après les sons lugubres qu’on avait proposé au public depuis le début du groupe, jusqu’à notre première séparation, ce disque était un soulagement. Je me suis mis à porter des boas en plume, et la coke est présente partout sur ce disque. C’était sauvage. C’est un disque taré. La Nouvelle-Orléans mec !

Ça a été enregistré au studio de Daniel Lanois. Vous avez bossé avec lui ?
Non. On l’a vu, et comme dirait John Curley, on avait l’impression qu’il ne touchait pas le sol. Et c’est de là d’où vient le morceau « The Vampire Lanois ». Les gens qui bossaient dans ce studio lui vouaient une sorte de culte, un peu servile. Quand ils ont vu le titre du morceau, ils étaient là « Vous ne pouvez pas l’appeler comme ça. » Et je leur ai répondu « Putain, un peu que si ! ». Et du coup, c’est juste devenu une blague. D’ailleurs, j’en profite pour mettre directement ça au clair : je ne connais pas Daniel Lanois. Et « The Vampire Lanois » est un instrumental, et on ne peut pas vraiment se foutre de la gueule de quelqu’un dans un instrumental. Et en plus c’est complètement improvisé, putain ! Apparemment, il est venu voir un de nos concerts à Toronto pour qu’on s’explique à ce propos, et j’étais là « Mec, va t’expliquer ailleurs ! ».

Alex Chilton joue sur cet album.
Je suis devenu ami avec Alex pendant ma période à la Nouvelle-Orléans. C’était la troisième fois que je le voyais, et je lui ai dit « Hey, tu te souviens de la fois où tu as pissé sur notre bagnole ? » Il n’avait aucune idée de ce dont je parlais, ce qui était très bien, parce que j’ai compris que ça n’avait rien de personnel. J’étais aux anges d’avoir réussi à enregistrer un morceau avec Alex Chilton.

Est-ce que vous vous étiez doutés que ça serait le dernier disque des Afghan Whigs avant 16 ans, au moment où vous le faisiez ?
Non. Il s’est passé beaucoup de choses pendant la tournée. Ça a vraiment été une des meilleures tournées qu’on ait faites. On avait un pianiste, on a rajouté des choristes, on avait une section de cuivres au complet, c’était comme du cabaret. C’était vraiment marrant. Et puis vers le milieu de la tournée, je me suis fait virer d’un club au Texas, et je me suis fait fracturer le crâne par ces mecs, qui bossaient là. Je suis resté dans le coma pendant plusieurs jours. J’ai perdu mon odorat pendant un an, et ma mémoire a été lourdement endommagée. J’ai du réapprendre tous les morceaux. Je n’arrivais pas à me souvenir de certaines parties et certains textes, donc ça a pris un bon moment pour tout récupérer. À ce moment-là, ça faisait 12 ans qu’on était ensemble, sans jamais s’arrêter. Je pense qu’il y avait plusieurs facteurs qui s’ajoutaient les uns aux autres, et c’est arrivé sans prévenir. On a terminé la tournée, on a essayé de commencer à bosser sur un autre album, mais clairement, le truc n’était plus là. L’enregistrement de 1965 a été un moment vraiment fructueux pour nous, ceci-dit. J’avais vraiment l’impression qu’on tournait une page. Ça a bien été le cas quand on s’est séparés.


3. Gentlemen (1993)

Je pense que la plupart des gens placeraient celui-ci en première ou seconde position.
Yep. J’adore Gentlemen. C’est un grand disque, et il ne fait aucun doute qu’il a changé les choses pour nous. Il a déclenché beaucoup de choses. C’est un disque de rupture. On m’a diagnostiqué une dépression clinique pendant l’enregistrement de ce disque. Ça a été difficile pour moi de faire cet album, et de le défendre en tournée. J’ai vraiment des sentiments contradictoires à ce sujet. Ce disque nous a rendus beaucoup plus célèbres. Tout ce qui accompagne le succès m’était étranger. Le label m’a accusé de ne pas jouer le jeu, et de poser problème. Je ne voulais pas me plier à tout ce cirque promotionnel. Il y avait plein de trucs comme ça qui se passaient à l’époque. Au début, ça me mettait mal à l’aise, et puis j’ai juste tout rejeté en bloc. Ça n’a pas été la meilleure période de ma vie. C’était difficile de me replonger dans ces morceaux chaque soir. Je devais faire remonter des choses dures, sombre, pleines de colère. Ce disque a beaucoup de personnalité, il peut être très beau parfois.

Repose moi la question demain, et je pourrais le mettre en sixième ou septième position. J’ai fait 15 disques en 29 ans, avec tous mes groupes, et celui-là représente un tournant dans ma vie et ma carrière musicale. Je trouve qu’il faiblit sur la fin, alors que d’autres disques sont bons de A à Z. Si je devais refaire Gentlemen aujourd’hui, je changerais deux-trois trucs, et peut-être même que j’en virerais certains. Mais c’est un grand album. « Fountain And Fairfax » reste un de mes morceaux préférés. Encore aujourd’hui, quand je le vois arriver sur la setlist, j’ai un petit sourire.

En tout cas, les gens adorent vraiment analyser tes textes sur cet album.
Ouais. Et finalement, quand il a fallu enregistrer la suite de Gentlemen, la couronne a été lourde a porter. Quand les gens attendent que tu recrées la même chose, pour moi, c’est impossible à refaire. C’est arrivé une fois, et j’avais ces sentiments-là à ce moment précis. Je ne les aurai plus. Voilà ce que ça a donné, point. On ne va pas revenir à ce chapitre. Je ne voulais pas rester piégé par Gentlemen. Je pense que ça a touché les gens, parce que tout le monde a eu le cœur brisé. Peut-être que j’ai su exprimer quelque chose. J’écoutais beaucoup Blood On The Tracks en faisant Gentlemen. Ça te pousse à exprimer les choses que tu vis, ou que tu as vécu. C’est peut-être du réconfort. Peut-être une explication.

C’est quoi le truc avec Linda Ronstadt qui déteste la pochette de l’album ?
Sherry Ring était notre attachée de presse de l’époque et c’est sa fille sur la pochette. Sherry bossait aussi pour Linda. Linda a vu le disque dans le bureau de Sherry et a fait quelques allusions à la pornographie enfantine. Ça ne m’a pas plu. La pochette de Gentlemen est un hommage à une photo de Nan Goldin, qui est une des photographes que j’aime le plus au monde. J’ai trouvé ça assez petit, pour quelqu’un qui porte un mini-short et des rollers avec un regard qui dit « viens me sauter » sur la pochette de son propre disque. J’ai trouvé ça extrêmement hypocrite, et je l’ai dit haut et fort à qui voulait l’entendre. En passant, je n’ai rien contre Linda Rondstadt, c’est une super chanteuse.

C’est aussi à cette période que tu a fait la B.O de Backbeat. Un groupe avait été monté pour l’occasion avec Don Fleming, Dave Grohl, Mike Mills, Thurston Moore, Dave Pirner, et toi, et vous étiez produits par Don Was !
On a fait Backbeat en février de cette année-là, et puis on a commencé Gentlemen en mai. Backbeat est sorti après Gentlemen, mais il a été enregistré avant. On a fini tout l’album en deux jours. Je me souviens, j’étais à New York, avec une énorme gueule de bois, et je réponds au téléphone à un mec qui veut me parler. Il fait « C’est Don Was à l’appareil. On fait un album sur les Beatles, et on se demandait si tu voudrais bien venir faire les voix de John Lennon ». Je réponds « Va te faire foutre ! » et je lui raccroche au nez. Je pensais qu’on me faisait une blague. Il m’a rappelé un peu plus tard et m’a dit « C’est bon, tu es réveillé ? C’est vraiment Don Was à l’appareil, on fait vraiment un disque sur les Beatles, et on veut vraiment que ce soit toi qui chante les parties de John Lennon. Est-ce que ça t’intéresse ? » J’ai répondu « Carrément ! ». Un groupe génial, mec ! J’ai souvent dit que si Pete Best avait aussi bien joué que Dave Grohl, les Beatles auraient été un autre groupe.

2. Do To The Beast (2014)

Là, c’est du 100%, du début à la fin, de A à Z, les dix morceaux, j’adore. Il pourrait facilement être numéro un. Un de mes disques préférés, de toute ma carrière. J’en serai fier à tout jamais. Il te suffirait de claquer des doigts pour que je joue n’importe quel des dix morceaux avec plaisir. Il n’y a rien à changer. C’était une magnifique façon de retrouver John Curley. C’est un groupe différent de celui des années 90. Et je crois que c’était nécessaire.

En quoi la perte de Rick McCollum a changé le groupe ?
Rick était une énorme difficulté en studio. Depuis toujours. Il avait la hantise du voyant rouge. La meilleure façon de décrire ça, c’est de dire qu’il peut être un grand musicien. Mais quand le voyant d’enregistrement s’allumait, il flippait et devenait incapable de jouer. Si ça n’enregistrait pas, il pouvait jouer toute la journée. Il y avait un truc avec le voyant rouge qui le faisait vriller. Ça nous prenait des heures et des heures pour obtenir une bonne prise. Quand on a commencé, j’écrivais beaucoup de morceaux avec Rick, et il y en a plein qui font partie de mes préférés. C’était marrant d’écrire avec lui, mais avec le temps… Je l’ai déjà dit de nombreuses fois, mais je ne connais absolument pas plus Rick McCollum aujourd’hui que le jour où je l’ai rencontré. Tu finis par connaître les gens, par devenir ami avec eux, mais lui, je ne le connais pas du tout. C’était mon coloc, on avait un groupe ensemble, et je n’ai aucune idée de qui il est. Et après son départ, les choses sont, d’un coup, devenues beaucoup plus faciles.

J’adorais jouer avec lui, et je lui souhaite le meilleur, mais mec, on n’arrivait à rien avec lui. Je n’arrive pas à gérer les gens qui sur-analysent tout en permanence et n’arrivent pas à lâcher prise. Il avait ses propres façons de faire, à tel point que ça empiétait sur les miennes. Je suis une force de la nature. Tu m’apprécies ou tu ne m’apprécies pas, mais moi je sais où je vais. Tout ça pour dire que moi, j’étais libre. Les problèmes de Rick en studio ont énormément contribué à la fin de la première version du groupe.

Est-ce que c’est vrai que c’est votre concert avec Usher au South By Southwest qui vous a donné envie de retourner en studio ?
Quand on a fait la tournée de reformation, en 2012, on était un peu sur la même longueur d’ondes que Malkmus quand Pavement se sont reformés : « On fait ça, et basta. » Et on a fait, je sais pas, 80 concerts, dont un concert d’adieu à Cincinnati pour le nouvel an, et c’était plié. J’étais en Australie, entrain d’enregistrer avec Steve Kibley de The Church, et mon manager m’appelle et me dit « Tu veux faire le South By Southwest ? » Et je réponds « Absolument pas. » Alors il fait « Et si vous jouiez avec Usher au South By Southwest ? » Là je lui dis « Vas-y, tu m’intéresses… » Alors il m’a dit que Usher avait besoin d’un groupe de rock, et qu’il avait entendu notre reprise de « Love Crimes ». Andy Cohn, du Fader, a donc organisé une rencontre. Et puis Usher m’a appelé, on a discuté, et ça m’a paru cool. On est partis au Texas sans Rick, et on a mis le concert avec Usher en place en 2 jours. C’était un truc vraiment spontané. Ça m’a vraiment rappelé l’époque où on était gamins et qu’on devait organiser un concert super vite. Quand Usher est arrivé au studio, il était prêt à bosser. Il était là avant qu’on arrive. Quand on est entrés dans la pièce, il était entrain de jouer de la basse. C’était juste un putain de mec cool. Et on a réfléchi à ce qu’on voulait faire. Il allait chanter un de mes morceaux, et j’allais chanter certains des siens. On a fait environ cinq ou six chansons, et on s’est éclatés.

Et puis le même soir, John Curley et moi on est allés manger, et il m’a dit « Tu sais quoi mec, peut-être qu’on devrait faire un autre disque. » Et j’ai dit « Ouais, ça pourrait être cool. » On est partis à la Nouvelle-Orléans, et ça a été un des disques les plus rapides à faire de ma vie. Tout le truc a été bouclé en six petits mois – du niveau zéro à un produit complètement fini. Rien que ça, ça a été genre « Wow, en fait on peut faire ça comme ça. » Et puis on s’est mis en route, on est partis en tournée, à jouer neuf chansons sur dix tous les soirs, et les gens ont adoré. J’ai toujours dit que si on était amenés à se reformer, il me faudrait un nouvel album. Je suis content qu’on ait fait la tournée de reformation, mais même là, on avait quand même deux nouvelles reprises à jouer. Grâce à ces deux morceaux, je continuais à être intéressé par le groupe.

1. Black Love (1996)

Pourquoi est-ce que c’est ton préféré ?
On devait donner une suite à Gentlemen et on avait donc pas mal de pression. J’étais capable de conceptualiser ce que je voulais faire. Je lisais beaucoup de romans policiers. Je bossais avec des réalisateurs, sur quelques idées. J’avais une image visuelle de ce que je voulais entendre. Je sais que ça peut paraître bizarre, mais je voulais raconter une histoire. Je pense que mon amour indéfectible pour Pink Floyd m’a donné envie de faire un concept-album. J’ai commencé à faire des trucs dont je n’avais fait que rêver auparavant. J’ai amené des cordes, on avait un nouveau batteur, après le départ de Steve Earle, ce qui était une bonne chose. C’était un super batteur, mais j’avais un peu de mal avec lui, il refusait d’essayer des trucs nouveaux et n’avait aucune envie de repousser ses limites. Donc ça m’a libéré. J’avais commencé à jouer plus de piano. J’avais le sentiment de connaître un pic créatif. Je pense aussi qu’à cause de certaines réactions à sa sortie, je suis devenu très protecteur avec ce disque. J’ai le sentiment que Black Love a été mal compris. J’ai l’impression qu’avec le temps, ma foi et ma croyance en sa qualité ont été validées. Quand on a fait la tournée de reformation, on jouait Black Love quasiment en entier. Il y a certaines de mes chansons préférées sur cet album. Et je pense que c’est l’album préféré des gens qui sont vraiment fans du groupe. Il y a une magie dans Black Love que je n’arrive pas à expliquer. Et je ne veux pas qu’on me l’explique.

Vous avez quitté Elektra après ça. Quelle a été la réaction du label à cet album ?
Il n’y avait pas vraiment de single sur ce disque. J’en étais conscient, et je les avais même prévenus pendant nos réunions. Là encore, faire des réunions pour des albums de rock’n’roll, ça revient à jouer le jeu. C’est là où le jeu s’est compliqué. Il y avait eu un changement de régime chez Elektra. Tous les gens qui avaient bossé sur Gentlemen avaient été virés. Je pense que personne ne savais quoi faire de nous. Et honnêtement, je les comprends. Si tu essaies de vendre une paire de chaussure que seule une certaine partie des gens vont porter, autant passer aux Air Jordan. Ils considéraient l’album comme une marchandise, et le groupe comme un produit.

À cette époque, tu as fait la musique du film Beautiful Girls, qui est un de mes films préférés de tous les temps. Comment tu t’es retrouvé à faire ça ?
Ted Demme était un de mes meilleurs amis. Je l’ai rencontré par le biais de mon ex-copine, qui était au lycée avec lui, à Long Island. On s’est rencontrés, et retrouvés sur plein de choses ; on est instantanément devenus amis. C’est lui qui a réalisé le clip de « Going To Town » de Black Love, et un an plus tard, j’ai joué dans son film La Loi du Sang, et j’ai composé la chanson du générique de fin pour lui. Et il est mort cinq ans plus tard. Je suis dans deux de ses films et il y a mon nom dans un troisième. J’ai supervisé la musique de Beautiful Girls aux cotés de sa femme, Amanda, qui a fait les photos pour Do To The Beast. C’est une photographe géniale, vraiment incroyable. Ted m’avait mis au défi de faire une reprise de Barry White, alors on a fait « Can’t Get Enough Of Your Love, Babe ». J’écoutais beaucoup de soul de Memphis, et on a repris « Be For Real » de Frederick Knight, que Leonard Cohen avait aussi reprise. J’ai amené quelques morceaux de Satchel, Howlin’ Maggie et Ween. Ça a été vraiment marrant à faire, je trouve que c’est un film très cool. Je vais te dire un truc, mec. Tous les ans, entre Thanksgiving et Noël, je reçois des messages de gens qui me disent « Mec, tu passes à la télé ! », et à chaque fois, je sais qu’ils passent Beautiful Girls. Ça a été le cas tous les ans depuis la sortie du film.


Cam Lindsay est sur Twitter.