Le label-référence en France en matière de terreur sonore se mue en freak show ambulant le temps de trois représentations exclusives à Paris (le 14 mai), Strasbourg (le 15) et Genève (le 16). Si vous êtes intrigués par cette zone trouble qui relie punk, hardcore, metal et esthétique de fin du monde, alors vous êtes déjà forcément familier d’au moins quelques-unes des sorties des Rennais. Sinon, jetez une oreille aux derniers Cowards ou Plebeian Grandstand pour comprendre l’étendue du désastre : deux exemples parfaits de la vitalité d’une scène qui cherche plus que jamais le moyen d’aller tutoyer les extrêmes. Pour l’occasion, Mathias Jungbluth, boss de Throatruiner et chanteur de Calvaiire a répondu à nos questions.
Noisey : Salut Mathias. Qu’est-ce qui motive un mec seul en 2015 à sortir tous ces trucs tordus ?
Mathias Jungbluth : À peu près les mêmes raisons qui m’ont fait mettre le pied à l’étrier il y a cinq ans ; ça fait toujours un peu cliché à dire hein, mais j’arrive pas à me reconnaître dans des registres plus légers, j’aime bien les trucs qui laissent un arrière-goût de sang dans la bouche. Sans tomber dans la rengaine « la musique c’est toute ma vie », ces trucs tordus m’ont aidé à canaliser et purger pas mal de choses que je n’aimais pas trop chez moi, et quelque part, j’avais besoin d’y contribuer à mon petit niveau histoire de leur rendre la pareille.
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Tu estimais qu’il y avait un manque à combler en France dans ce registre ?
Mes premières vraies marottes, ça a été tout ce qui se trouvait dans la zone grise entre hardcore/punk et metal. Je ne me suis jamais totalement retrouvé dans l’un ou dans l’autre, il y’avait toujours quelque chose qui me chagrinait, donc j’avais tendance à prendre juste ce qui m’intéressait. Du hardcore, le côté viscéral et la mentalité, du metal, le côté noir, lourd et ambiancé. En cette lointaine époque qu’était la fin de la décennie dernière, je ressentais pas mal de frustration en voyant la gueule de tout ce qui buzzait dans ce genre-là alors que les groupes que j’affectionnaient galéraient à mort. J’aurais pu étaler mes lamentations à longueur de tweets, mais au final j’ai préféré prendre au mot le « si t’es pas content, fais le toi-même ». L’un des postulats de base c’était aussi de travailler un maximum pour faire circuler les sorties en dehors des frontières françaises, d’où le taf de promotion, d’où le téléchargement gratuit, histoire de montrer un peu partout qu’on disposait d’une scène qui méritait d’être reconnue.
Quand a eu lieu le déclic ?
Ça a vraiment coïncidé avec une phase où je me suis rendu compte que malgré mes efforts je n’étais fait ni pour les études, ni pour un boulot normal, ni pour une vie sociale très développée – toute tentative en ce sens me semblait stérile et terriblement vaine. Du coup, j’ai lâché tout ça pour essayer de faire quelque chose qui me plaisait – je venais de choper un taf de pion de nuit qui m’assurait du temps pour apprendre et de quoi payer le loyer, et le peu de thunes que j’avais ramassé pour payer mes études est parti dans les premières sorties.
Il y a clairement une patte Throatruiner. Même si les groupes que tu sors ont leur identité propre, il y a une ligne directrice : sale, métallique, torturée… T’as pas peur de te laisser enfermer dans une idendité immuable ?
C’est vrai qu’au final on est toujours plus ou moins dans l’équilibre – ni vraiment punk/hardcore ni vraiment metal, ni trop bovin, ni trop péteux, ni joué à l’arrache, ni trop propre… C’est une question que je me suis souvent posée ; celle de savoir où situer la frontière entre asseoir une identité et devenir son propre cliché. J’ai déjà décliné des propositions de groupes hyper cools parce que c’était trop proche d’albums que j’avais déjà sortis, et dans le même temps, je ne me vois pas taffer avec un truc aux antipodes juste histoire de dire « hey, vous ne m’attendiez pas là, hein ? » Je serais même plutôt du genre à attendre que le shoegaze et le grunge redeviennent ringards pour en sortir. Après, j’imagine que d’un point de vue extérieur, le catalogue doit sembler quelque peu consanguin, mais j’aime à croire que chaque groupe a développé une patte qui les distingue du tout-venant, bien qu’ils aient souvent des backgrounds communs. Et même si je reste à l’affut de ce qui se fait en la matière, je n’écoute plus autant ce type de musique, parce qu’aussi prétentieux que ça puisse paraître, la plupart des disques récents du genre qui me parlent, eh bien c’est ceux que j’ai sortis. Et au rythme où on recycle le passé, Throatruiner est quand même hyper bien placé pour profiter du revival Hydra Head qui devrait pointer d’ici 2018 !
Le seul label à qui on pourrait te comparer, c’est Deathwish. Ça te fait chier ?
Ouais le côté sous-Deathwish géré par un mec qui fait du sous-Jacob Bannon dans un sous-Converge c’est le genre de trucs sur lesquels on se vanne régulièrement – c’est loin de me faire chier surtout que bon, c’est pas comme si c’était complètement à côté de la plaque, et c’est quand même plus cool que d’être comparé à Back Ta Basics et Rick Ta Life, par exemple. Deathwish sont derrière une bonne partie de mes disques de chevet, et même si quelques groupes qu’ils sortent me parlent moins, il y a quand même une consistance assez dingue à tous les niveaux avec un très gros travail pour proposer de beaux objets à des prix abordables. Birds In Row ont testé nos deux structures et au final, il n’y a pas de différences fondamentales avec un label comme le mien en terme de fonctionnement, ils ont juste cent fois plus d’expérience et de disques cultes au compteur. C’est aussi l’impression qu’ils renvoient lorsque je traite avec eux, les mecs sont bien à la fraîche et arrangeants, très loin du côté grosse machine/business qui pourrait caractériser n’importe quel autre label de leur envergure.
Qu’est-ce que tu retires de ces 5 ans ? Prêt à en faire 5 de plus ?
Déjà, ça m’a permis de me sentir compétent et légitime dans un domaine. Je me suis creusé un trou, il intéresse peut-être pas grand monde, il est pas bien vaste et il pourra pas l’être beaucoup plus, mais c’est le mien. Avec le recul, j’ai accompli des choses qui m’auraient auparavant semblé démesurées, j’ai fait quelques choix un peu perraves, mais dans tous les cas, j’en ai tiré des enseignements. C’est pas forcément ce qui doit ressortir le plus des interviews – sans en tirer une quelconque gloriole, je suis hyper fier des groupes avec qui je bosse – mais c’est un gros apprentissage de l’humilité à tous les niveaux.
C’est bosser des semaines en amont à fignoler la sortie d’un disque tout en ayant à revoir ses attentes toujours plus à la baisse, c’est devoir composer avec de plus en plus de facteurs externes qui font que presser et vendre du vinyle est toujours plus ruineux et galère, c’est cravacher pour se distinguer de la masse alors que d’autres vont passer derrière pour repomper sans vergogne toutes tes manières de faire. Après, ce qui m’évite d’être trop aigri c’est de foutre ces aspects chiants sur le bas-côté et de me concentrer sur le positif – au bout du compte, même si les choses se développent rarement aussi vite que ce que j’aimerais, le simple fait de réussir à durer, concept quelque peu caduc dans le punk, est une sacrée récompense. Donc j’espère rempiler sans soucis pour un autre quinquennat, minimum.
Pour finir, tu peux nous expliquer le choix du line-up et des trois dates de cet anniversaire ?
En fait Matthieu, batteur d’Elizabeth, me tannait depuis pas mal de temps pour faire une soirée comme ça sur Genève. Ca m’emmerdait un peu de faire ça en Suisse sans proposer la même chose en France, surtout que je savais que le Glazart était motivé, mais ils ne pouvaient accueillir la date que l’avant-veille. Donc on a calé une étape à Strasbourg au milieu. Pour le line-up, ça a été du bricolage en fonction de plusieurs facteurs – les disponibilités des groupes, à quand remontait leur passage dans telle ou telle ville, s’ils avaient un disque récent sous le coude… C’est un assez gros bordel à mettre en place, certes un peu ambitieux pour une première, mais au final c’est pas plus mal, ça me force à sortir un peu de ma zone de confort.
La programmation complète est à retrouver sur http://store.throatruinerrecords.com/fest et le catalogue du label ici.
Iris a refusé cette zone de confort que constitue Twitter.