Tous les jours c’est Hustlin

Le 93, c’est la même chose qu’Atlanta ou Houston. Des groupes cramés qui sont déjà superstars dans le ghetto sans avoir été exposés. Pendant que Chamillionaire vendait ses albums «out the trunk», les membres du Ghetto Fabulous Gang ont envahi les Puces de Clignancourt. L’album d’Alpha 5.20

Vivre et Mourir à Dakar

s’est déjà écoulé à 13 000 exemplaires, et des milliers de mixtapes du GFG inondent les marchés parallèles tous les mois.

Partir à la rencontre d’Alpha 5.20, c’est pas compliqué. Son stand est situé entre une boutique de t-shirts 2Pac et un vendeur de masques africains. J’arrive donc là-bas, rencontre Alpha, accompagné de son général O’Rosko Raricim. On parle un peu politique, O’Rosko est persuadé de la victoire de «la femme» à la prochaine élection présidentielle. J’essaie de faire l’interview dans la foulée, mais Alpha refuse pour deux raisons. La première: «Mon frère, c’est Ramadan, j’suis fatigué» se tient autant que la seconde: «En plus, y’a pas tous mes gars. Viens, on fait ça bien la semaine prochaine.»

Entre temps, je me renseigne un peu en checkant sa bio. Extrait: «On découvre dans ses lyrics d’aujourd’hui une âme partiellement meurtrie, avec plus de profondeur qu’auparavant». Et en exemple, des passages tirés de ses textes: «Mon coeur est fermé, froid comme un glaçon ». Ou encore: «Tant de haine à cracher que Satan s’étonne ». C’est parfait. Rendez-vous dans un studio à Fontenay-sous-Bois.

Vice: Comment expliquez-vous cette mode du 93?

Alpha 5.20: Les émeutes, ça a créé un truc qui a rendu le 93 encore plus stylé. Les gens aiment bien s’identifier à des mecs street, et ça a renforcé l’image, mais nous on est que ce qu’on est, on n’a pas attendu les émeutes pour être de la rue.

D’où vous est venue l’idée de vendre vous-même vos disques?

J’ai toujours été à la Rick Ross. Everyday I’m hustlin. Mais, ça veut pas dire qu’il y a que la drogue, t’as vu. Je veux une voiture, je la bikrave. Je veux une moto, je la bikrave. Tous les jours, c’est hustlin. Je bikrave tout ce qui passe, de la canette de coca à la drogue. Je peux tout faire, sauf que je donne pas dans la prostitution, mon négro. Mais si tu veux un bon bikraveur, t’as tapé à la bonne porte. Tout est né dans la bikrave. Avant, je faisais un peu dans les stups. J’allais à New York pour ramener des sapes, mais tout le monde connaît mon histoire, en tout cas, les vrais savent qui je suis. J’ai pas à me vanter de ça, le truc dont je suis le plus fier, c’est de faire des choses légales avec mes négros. Nous on est là et on sort des disques. On veut prostituer la Fnac, on veut prostituer cette entreprise. Grâce à Dieu, on a été aidé par le ciel. Aujourd’hui les Puces vendent plus que la Fnac. Mais nous on est pas jaloux, on veut maquer aussi Virgin, la soeur de la Fnac, pendant que les négros s’occupent de leur cousine Carrefour.

Et pourquoi les gens vont se déplacer acheter un disque aux Puces plutôt qu’à la Fnac?

C’est dû à la médiocrité des produits, mon frère. C’est inaudible ce qu’il y a la Fnac, c’est de la grosse merde, mon frère. Les gens essayent de rapper South, mais ils savent même pas rapper tout court. Ils essaient d’être gangsta et ils sont pas gangsta. Y’a rien de bon là dedans, mon frère. Ils font du copier-coller. J’ai même eu des gens qui sont venus me voir pour qu’on fasse des clashs interposés. Moi je tombe pas dans ces bassesses, c’est ridicule. Sérieux, va faire des études, va faire charpentier, menuisier, va faire boucher, mais ne sort pas de la musique de merde.

Pourquoi avoir fait le clash contre Booba «La Duchesse de Boulogne»?

Je suis l’ambassadeur des Puces, et y’a pas besoin de dire mon nom. Si tu parles des Puces, tu parles de moi. Quand des mecs disent : «Fuck le rap français», on se sent pas concernés parce qu’on est pas des rappeurs. Quand Rohff dit : «Je fais asseoir le rap français sur une bouteille», ça nous touche pas. Nous, on est des mecs de la rue avant tout, on est pas que dans le rap. Mais n’insulte pas les Puces. N’insulte pas 93, parce que là c’est nous que tu insultes.

Mais la rime de Booba c’était: «On me duplique au marché Malik, me clique sur Internet», y’a rien contre vous la dedans…

Ça c’est ambigu, parce que si tu parles des Puces, c’est nous les plus présents. Il a pas dit notre nom, comme ça si on se croise, il dira : «Mais non, c’est pas vous les gars». Mais faut pas dire du mal des Puces, sinon je vais te répondre, comme tout vrai gars du 93 se doit de répondre si on parle mal du 93. De toute manière, les mecs font de la musique pour serrer des meufs à Châtelet. Alors que la musique, c’est un truc qui vient du cœur.

Et toi qu’est ce qui t’as motivé à faire de la musique?

Moi ce qui m’a motivé, c’est le magot.

Un truc qui vient du cœur quoi…

Attends, j’t’explique, tu vas capter. Moi, j’ai un message, j’aurais pu rapper avec des meufs et rapper des trucs faciles. Avant moi personne ne connaissait Dakar et mon quartier sur la carte. J’ai fait plus de 300 freestyles, mais à la fin je dois faire mon billet. Et je fais ça avec mes gars, c’est de l’amour de faire du magot. Mieux vaut être pauvre avec ses négros que riche tout seul.