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Le Mundaneum, le Wikipédia des années 1900

Plus qu’un système d’indexation désuet, le Mundaneum est une preuve avant-gardiste du pouvoir de l'information.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Une image montrant les archives et une femme devant une sélection de tiroirs
À gauche : une section de l'archive. À droite : Delphine Jenart, directrice adjointe du musée. Photos de l'auteur

Dans la ville de Mons, en Belgique, un bâtiment Art déco blanc abrite un témoignage de la soif de connaissances de l’humanité. Le Mundaneum, un centre d’archives conçu à Bruxelles à la fin du XIXe siècle, visait à rassembler et classer tous les savoirs du monde, près d’un siècle avant que des moteurs de recherche comme Google et des sites comme Wikipedia permettent l’accès à ces données via un signal Wi-Fi.

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Créé à l’initiative de Paul Otlet et Henri La Fontaine, deux juristes belges aux idées futuristes, le centre s'inscrivait dans la continuité de leurs efforts précédents pour créer le système de classification parfait. Leur système de classification universelle décimale (CUD), toujours utilisé dans plus de 150 000 bibliothèques aujourd’hui, a amélioré et élargi le système de classification décimale de Dewey en classant méthodiquement toutes les connaissances humaines en groupes et sous-groupes afin de faciliter la recherche d’informations. À l'aide de ce système, le duo lance son projet Répertoire Bibliographique Universel (RBU) en 1895, qui vise à réunir toutes les connaissances du monde dans un même lieu.

Si aujourd’hui toutes ces connaissances peuvent tenir sur une clé USB, à l’époque, cette entreprise avait besoin d’un vaste espace physique. Capitalisant sur les efforts de reconstruction menés après la Première Guerre mondiale, Otlet et La Fontaine ont convaincu l’État belge de leur fournir une aile dans les locaux du gouvernement à Bruxelles ainsi que le financement nécessaire pour faire de leur activité de collecte et de catalogage une institution fixe.

Avec l’aide d’un réseau international de collègues, d’universitaires et d’informaticiens, Otlet et La Fontaine ont commencé à recevoir des publications à l’endroit qu’ils ont surnommé le « Palais Mondial » ou « Palais du Monde ». Mais ils ne recevaient pas seulement des livres, des recherches et des journaux. Le Mundaneum cataloguait également des plaques photographiques en verre, des films, des enregistrements audio, de la pornographie, etc. Pour chaque nouvelle pièce, le personnel du Mundaneum rédigeait une fiche index CUD correspondante avant d’archiver l’original. Au fil du temps, le catalogue a atteint 18 millions de fiches.

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Cette collection n'était pas destinée être stockée. Les créateurs du Mundaneum étaient d’avis que le savoir devait être partagé avec l’homme du peuple. C’est dans cet esprit que le duo a ouvert au public un musée de 150 salles qui présentait divers objets d’importance historique et des illustrations provenant des archives. Moyennant une somme modique, les curieux pouvaient consulter le catalogue et recevoir des informations par télégramme, une sorte de LexisNexis plus lent.

Dans les années 1930, les nombreuses tentatives de catalogage d’Otlet et La Fontaine, désormais désignées collectivement par le terme de « Mundaneum », se sont installées dans une succursale de La Haye. Elles y sont restées pendant la Seconde Guerre mondiale et ont survécu à l’occupation nazie de Bruxelles. Certains objets ont toutefois été détruits lors du remplacement de l'exposition par des œuvres d'art du Troisième Reich pendant l'occupation. Dans les années 1970, après un nouveau déménagement dans un bâtiment délabré où une partie des archives a été endommagée par la moisissure et l’eau, la collection du Mundaneum a finalement été transférée dans son emplacement actuel, à savoir un ancien grand magasin de Mons qui fait désormais office de musée pour la vision utopique d'Otlet et La Fontaine.

A view of the Mundaneum's atrium

Les trois étages du bâtiment, bordés des tiroirs d’origine contenant 12 millions des 18 millions de fiches originales, représentent plus qu’un mausolée pour un système de stockage de supports obsolète. Comme l'explique Delphine Jenart, directrice adjointe du musée, les archives souterraines du Mundaneum sont peu à peu numérisées par une poignée de volontaires et, comme personne ne sait vraiment ce qu'il y a dans les rayons, la collection est une bombe à retardement d'importance historique.

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« Certains livres indexés dans le RBU n'existent plus, ou bien nous ne les avons pas encore trouvés, déclare Jenart. Nous avons également un index des organisations internationales qui n'existent plus et dont personne n’a jamais entendu parler, il sera donc intéressant de voir sur quoi nous allons tomber. »

Bien que les archives du Mundaneum aient été compilées par des intellectuels persévérants, elles sont néanmoins des produits de leur époque et tous les trésors enfouis sous le bâtiment ne sont pas agréables à découvrir. Jenart m’explique que le projet initial reposait sur la collecte de tous les documents disponibles et qu’un certain nombre d’entre eux sont considérés comme immoraux, sexistes ou problématiques par rapport aux normes actuelles. Cela dit, Jenart loue les « valeurs anticolonialistes fortes » des créateurs du Mundaneum, notant qu'elle « n'a rien trouvé de raciste » ou d’antisémite dans le processus de numérisation, la seule exception étant la section des affiches de propagande de la collection.

« Ils avaient ce souci de partager des connaissances, mais dans le but de faire progresser l’humanité, explique Jenart. Tout ce qu’ils collectionnaient devait servir cet objectif. »

Otlet et La Fontaine n’ont pas vécu assez longtemps pour voir se concrétiser leur vision d’une Terre connectée au savoir, décédant respectivement en 1944 et 1943, et il est peu probable qu’ils eurent été ravis des inconvénients dystopiques de l’ère de l’information. Mais leur « moteur de recherche papier », reconnu pour son importance historique par l'Unesco en 2013, a ouvert la voie à la facilité d'accès au savoir que nous tenons pour acquise aujourd'hui et que nous considérons de plus en plus comme un droit de l’homme fondamental.

« Les gouvernements tyranniques et antidémocratiques n'aiment pas que les gens soient trop au courant, trop cultivés, trop éduqués », dit Jenart à propos de la désapprobation du parti nazi à l'égard du Mundaneum. « L'information, c'est le pouvoir. La connaissance, c’est le pouvoir. Et le grand projet du Mundaneum était d’étendre ce pouvoir au monde entier. »

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