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L’homme qui s’apprêtait à vivre dans un phare hanté

Afin de sensibiliser les Français à l'abandon du patrimoine, Marc Pointud va habiter le rocher de Tévennec, lieu qui se traîne une réputation des plus sombres.

Marc Pointud sur le phare

Marc Pointud n'est pas un grand malade. C'est même plutôt l'inverse. À 64 ans, ce Breton expert en objets d'art, navigateur depuis bien longtemps, s'apprête à vivre 60 jours seul dans l'un des endroits les plus terrifiants de France : le phare de Tévennec. Situé sur un îlot inhospitalier, au large de la pointe du Raz dans le Finistère, l'endroit traîne une réputation des plus sombres. Pour cette raison et pour son accès réputé difficile, plus personne n'y habite depuis 1910, année de son automatisation.

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Allumé en 1874, le phare a vu se succéder 22 gardiens après Henri Guézennec – le premier qui y a séjourné, et le premier à y être devenu complètement taré. Les légendes perdurent encore aujourd'hui. Un naufragé serait resté bloqué sur le rocher, condamné à appeler désespérément à l'aide, avant de finalement mourir. Des gardiens auraient sombré dans la folie. D'autres seraient morts dans des circonstances suspectes – notamment en tombant sur des couteaux. Un bébé y serait mort né. Ainsi, le phare de Tévennec n'a rien à envier à son voisin Ar-Men, sobrement surnommé « l'Enfer Des Enfers » en raison de ses conditions difficiles.

Marc Pointud connaît bien les phares du pays. En 2002, il a fondé la Société nationale pour le patrimoine des phares et des balises. En 2011, lui et ses amis ont obtenu l'aval de l'État pour occuper et rénover Tévennec. À terme, leur projet est d'en faire une résidence d'artistes. Mais cette année, pour sensibiliser au sort de l'îlot maudit et célébrer dans le même temps le 140ème anniversaire de son phare, Marc Pointud a décidé d'y passer 60 jours seul, à l'automne prochain. Ces derniers jours, il a lancé une campagne de crowdfunding intitulée « Lumière sur Tévennec » sur le site MyMajorCompany, qui doit probablement essayer de se faire pardonner d'avoir signé le chanteur Grégoire en oeuvrant désormais pour le patrimoine. J'ai appelé Marc afin d'en savoir plus sur son projet et sur l'histoire du phare.

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Le phare de Tévennec dans le Finistère ; photo de Charles Marion publiée avec l'aimable autorisation de la Société nationale pour le patrimoine des phares et des balises

VICE : À quelques mois de l'échéance, vous sentez-vous prêt à passer 60 jours dans un phare hanté ?
Marc Pointud : Je prépare ça depuis maintenant longtemps. C'est devenu un vrai projet poussé par l'association. La réhabilitation du phare de Tévennec en maison d'artistes est toujours d'actualité.

Si ce sera ma première expérience dans un phare, j'ai pas mal navigué. Je suis déjà parti en mer pendant de longues durées, parfois avec un équipage – ce qui peut être plus dur car il faut non seulement s'occuper de soi, mais aussi s'occuper des autres.

Vous faites ça pour sensibiliser le public sur la nécessité de rénover certains phares. Mais pourquoi ces 60 jours en solitaire ? Ne serait-ce pas justement la solitude qui a rendu fou les anciens gardiens du phare ?
Là est tout l'intérêt. La solitude est la tradition des gardiens de Tévennec. De 1874 à 1910, il y a quasiment eu un gardien par an tellement personne ne tenait. Néanmoins, il faut rappeler que c'était une autre époque. Les mentalités n'étaient pas les mêmes. Aussi, il n'y avait pas de communication avec l'extérieur. Il n'y avait que les cormorans avec qui parler. Moi, je serai tout le temps en contact avec les médias et l'association.

Le phare est-il toujours décemment habitable pour cette durée, sans le moindre aménagement particulier ?
Absolument pas. Il n'y a aucun mobilier, c'est complètement laissé à l'abandon. Je ne vais ramener qu'un lit, une chaise, une table, des vivres et de quoi écrire. Ça reviendra à vivre comme un prisonnier. Le phare est complètement automatisé ; je ne viens donc pas pour l'opérer, je viens juste pour le patrimoine. Il n'y a pas d'eau courante, pas d'électricité, pas de chauffage – réhabiliter tout ça coûterait une fortune, et c'est aussi pour ça que je mène ce projet.

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Vous en êtes venu à cette expérience pour sensibiliser le public sur l'abandon des phares. Que fait l'État ?
Rien. On ne reçoit aucun soutien, ni de l'État ni du département ni de la région. L'État est seulement là pour la maintenance des phares. Tous les soirs, tous les feux de France s'allument. Mais rien n'est fait pour le patrimoine…

Avez-vous peur de ne pas tenir les 60 jours ?
On va tout faire pour que tout se passe bien. Néanmoins, bien sûr, je pourrais être victime de problèmes médicaux ou psychologiques. Mais de nos jours, s'il y a un souci, je n'aurais qu'à passer un coup de fil et, en 15 minutes, un hélico sera là. On ne meurt pas sur Tévennec comme à l'époque. Mais il n'y a aucune raison que ça se passe mal. Je suis encore en forme.

Pourquoi autant de légendes tournent autour de Tévennec ?
Bien avant le phare, Tévennec était le lieu de résidence de l'Ankou [la personnification de la mort dans les légendes bretonnes]. En fait, quand vous naviguez sans moteur dans le raz de Sein, le courant vous emporte automatiquement sur le rocher de Tévennec. Beaucoup de marins sont morts et c'est ainsi que le rocher a gagné cette réputation. Quand l'État y a installé une maison-phare – et non un vrai phare cylindrique – de sorte à éviter ces accidents, des gars seuls y étaient envoyés. Ce n'était pas une bonne idée. Là, pendant une tempête, les vagues passent par dessus la maison – la toiture a d'ailleurs été arrachée à trois reprises en 100 ans. Tout le monde finissait par craquer. Mais aujourd'hui, je n'y vais pas dans les mêmes conditions.

Vous croyez aux fantômes ?
Non. Je n'y crois pas mais je suis respectueux des croyances, et je ne ferme la porte à rien. Des morts, il y en a eu partout et pas qu'à Tévennec. Quand on achète une maison d'occasion, quelqu'un est probablement déjà mort dedans. Mais qu'est-ce qu'un fantôme ? Est-ce vraiment une âme errante ou est-ce juste la manifestation de la solitude ? J'aurai peut-être des surprises. En tout cas, si je rencontre un esprit, je l'écrirais dans mon livre et j'essaierais de prendre une photo.

Merci Marc, et bon courage.

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