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Anton Ondrus, le Beckenbauer de l’Est

Cet article est publié dans le cadre du partenariat avec Footballski.

Solčany, vous connaissez ? Non ? Pas d’inquiétude, c’est normal. Autant le dire tout de suite, Solčany n’est pas vraiment l’endroit le plus touristique de la Slovaquie. Petit village situé dans la région de Nitra, Solčany n’a rien de plus que toute autre bourgade slovaque ou française. Des magasins, restaurants, écoles, quelques usines ou encore une église. Rien de bien passionnant. Malgré tout, la réputation de ce village comptant un peu plus de 2 500 habitants vient surtout des diverses familles qui ont pu faire l’histoire du patelin. Passant ainsi de la famille princière Odescalchi, originaire d’Italie, aux footballeurs Anton Švajlen et Anton Ondruš. Et c’est principalement ce dernier qui va nous intéresser aujourd’hui.

Bien que né à Solčany, le père d’Anton, ancien gardien de but du club local, doit rapidement quitter le village natal pour rejoindre l’actuelle capitale slovaque après avoir décroché un emploi au sein d’un ministère. C’est ici, avec ses parents, que le jeune Ondruš grandit et fait ses premières rencontres avec le monde du ballon rond. Petite précision, il habite dans la même rue que le Tehelné Pole, stade légendaire du Slovan Bratislava qu’il fera sien quelques années plus tard. De quoi forger une vocation : l’amour pour un club et un maillot.

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« J’ai grandi à partir de mes deux ans dans la rue Vajnorska, a raconté le joueur à Pravda. D’un côté, il y avait le stade du Slovan, de l’autre celui de l’Inter, le Pasienky. Le Tehelné Pole était plus proche de chez moi, apparemment c’est ce qui m’a décidé à aller là et à porter le maillot Belasi à mes huit ans. Mes parents ne m’ont pas forcé, mais ils étaient heureux que je passe mon temps libre à faire du sport. Mon père a joué au football à Solčany, là où je suis né. L’éducation rigoureuse de mon père et mes éducateurs ont été des facteurs décisifs dans le fait que j’accomplisse quelque chose. »

Portant le maillot du Slovan Bratislava pendant plus de vingt ans, Anton Ondruš a su au fil des années et des saisons s’imposer comme l’une des plus grandes légendes du club. Symbole d’une époque bénie pour le football tchécoslovaque.

Si pour certaines personnes, en France, l’année 1969 a été érotique, à Bratislava, ça a été l’extase. Emmené avec brio par l’un des plus grands entraîneurs slovaques de l’histoire, Monsieur Michal Vičan, le Slovan Bratislava sa affronté cette année-là le grand FC Barcelone en finale de la Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe. Une équipe savoureuse, douée, faite de joueurs qui écriront à jamais l’histoire du football tchécoslovaque comme les frères Čapkovič, l’intelligent et unique Karol Jokl, le délicieux Ladislav Móder, le rugueux Alexander Horváth ou encore l’infranchissable Alexander Vencel, père de, dans les cages slovaques. Une génération symbole d’une bande d’amis, jamais les derniers sur la picole ou les cigarettes, mais qui donnait tout sur le terrain. Leur entraîneur Michal Vičan leur interdisait de fumer. Cependant, « il ne m’a jamais pris en flagrant délit », s’en amuse Jozef Čapkovič sur le site Slovakronik, alors que son jumeau Ján tournait à dix cigarettes par jour depuis ses 14 ans. Qu’importe, il était le chouchou du coach. Cette génération a eu l’honneur d’écrire les premières lignes européennes du football tchécoslovaque, et plus généralement est-européen. Une génération dans laquelle Anton Ondruš a baigné une bonne partie de sa carrière de footballeur.

Anton Ondrus. Photo me1976.szm.com.

Bien qu’il n’ait pu connaître ce sacre européen, le jeune Anton se rattrape très rapidement en étant pris sous l’aile de Vičan, puis de Ján Hucko et surtout d’un autre grand entraîneur slovaque, le Docteur Jozef Vengloš. Évoluant tout d’abord au poste d’attaquant puis repositionné pour le plus grand bonheur du football tchécoslovaque en tant que défenseur central, Ondruš s’est peu à peu imposé à ce poste avant d’exploser totalement en 1973 sous la houlette de ce formateur hors pair qu’est Vengloš.

« J’ai été aidé par le fait de jouer en attaque. Je savais prédire comment l’adversaire aillait réagir, réfléchir plus rapidement que mon adversaire », expliquait ainsi Anton à Sme au sujet de son repositionnement en défense par Jozef Vengloš. Au côté de Čapkovič et de la nouvelle génération du Slovan formée par Ondruš, le défunt Koloman Gögh ou encore Ján Pivarník, le club et son entraîneur se dotent alors de la future grande défense de la sélection tchécoslovaque. Un groupe de joueurs slovaques qui s’impose comme le cœur de la sélection. Des joueurs qui terroriseront les terrains tchécoslovaques en remportant championnats et coupes avant de venir terrasser l’Europe entière lors d’une longue nuit belgradoise.

Tchèques et Slovaques, unis, ensemble. La génération dorée tchécoslovaque de 1976 incarne aujourd’hui un doux parfum d’antan. Ce temps où le football tchécoslovaque avait une carte à jouer dans le monde du football. Où les joueurs n’en avaient cure des origines. Où le collectif primait sur le reste. Un savant mélange entre la rigueur slovaque et la folie tchèque. Une époque bénie pour tous les amoureux de ce football, de ces pays et de ces joueurs qui ont su marquer de leurs empreintes l’histoire du football mondial. Une bande d’amis qui, bien qu’outsiders, ont su se hisser vers les sommets et faire naître une coexistence fraternelle entre Tchèques et Slovaques malgré les rivalités existantes entre les différents clubs du championnat de l’époque.

Anton bichonne sont trophée. Photo me1976.szm.com.

« Il régnait une vraie sérénité, un vrai esprit de solidarité. Il y avait toujours eu une petite distance entre Tchèques et Slovaques, par exemple durant les préparations ou à table pour les repas : les Tchèques d’un côté, les Slovaques de l’autre. Mais c’était vraiment le contraire en 1976. C’était un vrai groupe, qu’on soit Tchèque ou Slovaque, cimenté par Tonda Ondruš (Anton Ondruš, ndlr). C’était une personnalité leader de cette équipe. Donc l’ambiance était vraiment super, il n’y avait pas de différences entre les Tchèques et les Slovaques. Je crois que c’était la même chose sur le terrain et que cela s’est vu au niveau des résultats », expliquait ainsi le grand Panenka à la télévision tchèque, dans des propos relayés par Radio Praha. « À ce moment-là, personne ne se souciait du nombre de Slovaques et de Tchèques dans le onze. Nous voulions principalement gagner. Jamais nous ne subissions des conflits entre nous », rajoute le slovaque Karol Dobiaš dans NasTrencin.

Loin d’être désigné comme le favori de cet Euro 1976, la Tchécoslovaquie, emmenée par le duo Václav Ježek et Jozef Vengloš sur le banc de touche, appréhende se tournoi en toute décontraction pour faire chuter ces géants que sont les Pays-Bas de la génération Cruyff, le champion du monde et d’Europe en titre, l’Allemagne de l’Ouest d’un certain Beckenbauer, ou encore le pays hôte, la Yougoslavie. Car oui, si l’Euro s’est joué avec seulement quatre équipes, autant vous dire que le niveau, lui, a bien été au rendez-vous avec de telles sélections.

Malgré tout, la Tchécoslovaquie est incroyable et terrasse les meilleurs. Dans la revanche de Spartak Trnava – Ajax Amsterdam de 1969, la Tchécoslovaquie affronte les Pays-Bas d’un certain Johan Cruyff en demi-finales. Et comme face à l’Ajax dans le match retour en Tchécoslovaque, les hommes de Vengloš sortent un match parfait. « Cette année-là, l’équipe était très homogène, car composée d’excellents joueurs mais pas de stars. Nous étions extrêmement soudés. En demi-finale, Johan Cruyff n’avait pas touché un ballon. Il n’avait rien pu faire », se remémore Jozef Čapkovič, toujours pour Slovakronik. Un match face aux coéquipiers de Cruyff où le capitaine tchécoslovaque se met en évidence rapidement en reprenant un coup franc d’une superbe tête à la 19e minute. Avant que ce même Ondruš remette les deux équipes à égalité après une reprise de volée gagnante dans ses propres buts. Qu’importe, cette Tchécoslovaquie a des ressources et va chercher sa qualification dans la prolongation en inscrivant deux buts salvateurs.

Il en sera de même pour les coéquipiers du Kaiser lors de la finale qui sacre cette bande de joyeux drilles tchécoslovaques au panthéon du football national et international. « Dans le vestiaire, j’ai dit aux gars dans la douche qu’ils se souviendront de ce jour comme le plus grand succès jamais atteint en Europe de l’Est, ces 30 dernières années. C’est encore vrai aujourd’hui », racontait Ondruš dans Pravda. Un succès qui a vu naître la Panenka, le couronnement de cette génération dorée et, au passage, un échange de maillot symbolique entre Ondruš et Beckenbauer. Quand l’élève dépasse le maître le temps d’une soirée. Deux hommes qui, malgré cet affrontement épique, restent encore en contact aujourd’hui. En souvenir de ce bon vieux temps où des défenseurs pouvaient rayonner dans le football mondial et concurrencer les joueurs offensifs au classement du Ballon d’or.

Franz Beckenbauer et Anton Ondrus. Photo Sandra Behne / Bongarts / Getty Images

Nommé au panthéon des joueurs tchécoslovaques et classé au sixième rang de l’élection du meilleur joueur européen de l’année 76, Ondruš reste encore à ce jour le plus grand défenseur slovaque de l’histoire.

« Le Bayern Munich, Stuttgart et Mönchengladbach étaient intéressés par mon profil. C’est la seule chose que je regrette. Je n’avais pas le droit d’aller jouer dans un club étranger non socialiste », expliquait Ondruš dans une interview pour Sme Sport. Amer, le joueur n’a connu le haut niveau qu’à travers son club de toujours le Slovan, qu’il ne quittera que pour le Dukla Banská Bystrica, afin de passer son service militaire obligatoire, puis, la trentaine passée, pour le FC Bruges, puis la France et le CS Thonon, alors en deuxième division. Un choix de carrière qui rappelle celui de Zdeněk Nehoda (autre légende du football tchécoslovaque, ndlr), lui aussi passé par la Belgique, puis par la France et Grenoble. Ou encore Ján Kozák, l’actuel sélectionneur slovaque, passé par Seraing avant de rejoindre le FC Bourges. Loin des fins de carrière actuelles. La faute à un pays où les frontières étaient fermées et où les joueurs ne s’exportaient que très rarement dans la force de l’âge.

L’équipe du CS Thonon, période Ondrus. Archive personnelle de Daniel Fillon

Interrogé par nos soins, Daniel Fillon, ancien portier du club durant de nombreuses années, plonge dans ses souvenirs. « J’avais 18 ans quand il est arrivé en 1983, donc je ne le connaissais que de nom à son arrivée. Mais on a très vite compris que c’était un grand joueur. Il avait une prestance sur le terrain. Un vrai meneur d’hommes, avec du caractère. Un peu à l’ancienne, comme ça ne se fait peut-être plus maintenant. C’est un gars qui est droit, avec des valeurs humaines, nous a expliqué Fillon, tout en ajoutant : c’était une armoire. Grand, élancé, costaud. Rugueux sur l’homme avec un bon pied droit. Il relançait bien. C’était une référence. » Ondruš a également eu l’occasion de découvrir le poste d’entraîneur avec le club de Thonon. Son ancien coéquipier toujours : « Ce n’est pas pour rien qu’il est devenu entraîneur-joueur en remplaçant Michel Plumereau sur la fin. Bien qu’il fût entraîneur, il n’aurait laissé sa place sur les terrains pour rien au monde. Il aimait jouer, être au coeur de l’équipe. Quand un joueur faisait des écarts, ou si ça n’allait pas sur le terrain, il n’hésitait pas à le dire. Et à haute voix. »

Si le CST a connu par la suite des années de galère, Ondruš, de son côté, a raccroché les crampons non loin de la quarantaine passée avec une dernière pige au FC Biel, en Suisse. Une région où il a eu l’occasion de fonder une famille, s’installer près du lac Léman, loin de sa Slovaquie natale et de son Slovan Bratislava qui ne l’oubliera jamais. Lui, ce capitaine symbole d’une génération dorée et du miracle de Belgrade.