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Le noyau de la Terre renferme des structures non identifiées

Les scientifiques ont passé au peigne fin près de 30 ans de données sur les tremblements de terre pour sonder d'énormes et mystérieux objets logés au cœur de la Terre.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Brouillard sur les îles Marquises
Brouillard sur les îles Marquises. Image : Tom Patterson

Les scientifiques ont découvert une vaste structure faite de matière dense, logée à la frontière entre le noyau externe de la Terre et le manteau inférieur, une zone située à environ 3 000 kilomètres sous nos pieds.

Les chercheur·ses ont utilisé un algorithme (développé à l'origine pour analyser les galaxies lointaines) afin d'enquêter sur ce mystérieux phénomène qui se produit au plus profond de notre planète, selon un article publié dans Science.

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Une de ces énormes structures, située sous les îles Marquises, n'avait jamais été détectée auparavant, tandis qu'une autre, placée sous Hawaii, s'est avérée beaucoup plus importante que ce qui avait été estimé précédemment.

Les scientifiques dirigés par Doyeon Kim, sismologue et chercheur à l'université du Maryland aux États-Unis, ont alimenté un algorithme appelé Sequencer avec des sismogrammes capturés lors de centaines de séismes survenus entre 1990 et 2018. Alors que les études sismologiques ont tendance à se concentrer sur des bases de données relativement petites et sur l'activité sismique locale, Sequencer a permis à Kim et à ses collègues d'analyser 7 000 mesures de tremblements de terre – chacun d'une magnitude d'au moins 6,5 sur l'échelle de Richter – qui ont secoué le monde souterrain sous l'océan Pacifique au cours des trois dernières décennies. « Cette étude est très spéciale car, pour la première fois, nous avons pu consulter une base de données beaucoup plus importante qui couvre en fait plus ou moins tout le bassin Pacifique », explique Kim. Bien que les scientifiques aient déjà cartographié des structures au plus profond de la Terre, cette étude représente une rare opportunité de « tout rassembler et d'essayer d'expliquer ces structures dans un contexte global », ajoute Kim.

Les tremblements de terre créent des ondes sismiques qui traversent l'intérieur de la Terre, où elles sont dispersées et déformées par les structures situées au plus profond de notre planète. Ces déformations sont saisies dans des sismogrammes, qui sont des enregistrements de l'activité des ondes à l'intérieur de la Terre, et permettent aux sismologues d'avoir un aperçu rare de ce monde inaccessible.

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L'équipe s'est concentrée sur les sismogrammes produits par les ondes secondaires (S) qui se déplacent le long de la frontière entre le noyau de la Terre et la partie inférieure du manteau qui l'entoure. Ce sont des ondes plus lentes qui se produisent après les secousses initiales d'un tremblement de terre, qu'on appelle ondes primaires (P), et qui produisent généralement des signaux plus clairs. « Nous aimons généralement utiliser les ondes S parce qu'elles sont de plus grande amplitude et que les données sont plus ou moins claires parce qu'il y a moins de trafic d'ondes P », dit Kim. L’équipe cherchait avant tout des ondes secondaires se diffractant le long de la frontière entre le noyau et le manteau. « Comme les ondes se diffractent le long de la surface, c'est une excellente phase pour observer ces structures au-dessus de la limite du noyau », poursuit Kim.

« Les méga-ULVZ sont des structures intrigantes non seulement en raison de leur taille, mais aussi parce qu'elles peuvent être composées de matériaux exotiques qui remontent à une époque où la Terre n'avait pas de Lune »

Lorsque des ondes secondaires frappent ces structures, elles produisent un type de signature sous la forme d'un écho appelé « postcurseur » (on trouvera des chiffres utiles sur ce processus sur le site de Kim). Ces échos indiquent la présence d'anomalies dans les profondeurs de la Terre appelées zones à ultra-basse vitesse (ULVZ), qui sont des plaques denses à la limite du noyau.

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Personne ne sait exactement comment les ULVZ sont formées ni de quoi elles sont faites, mais il est évident qu'elles ont un diamètre d'une centaine de kilomètres et qu'elles sont suffisamment denses pour ralentir les ondes qui les traversent.

En passant des milliers de sismogrammes dans Sequencer, Kim et ses collègues ont découvert que les signaux postcurseurs les plus forts de leur base de données émanaient de sous Hawaii et des îles Marquises. C'est une preuve convaincante de l'existence de deux « méga-ULVZ », des zones qui s'étendent sur environ mille kilomètres, voire plus.

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Bien que la structure hawaïenne ait été partiellement cartographiée dans des études précédentes, l'équipe de Kim a constaté que ses dimensions sont beaucoup plus grandes qu'attendu. En attendant, la méga-ULVZ détectée sous les îles Marquises représente « une anomalie de vitesse de l'onde localisée, ce qui n'avait jamais été identifié », selon l'étude.

Les méga-ULVZ sont des structures intrigantes non seulement en raison de leur taille, mais aussi parce qu'elles peuvent être composées de matériaux exotiques qui remontent à une époque où la Terre n'avait pas de Lune. Ces énormes structures anormales pourraient être issues de matériaux partiellement fondus et antérieurs à la formation de la Lune (formation que les scientifiques pensent être due une gigantesque collision entre la Terre primitive et un objet de la taille de Mars il y a plus de quatre milliards d'années). « C'est très intéressant car cela pourrait indiquer que les méga-ULVZ sont spéciales et peuvent héberger des signatures géochimiques primitives qui ont été relativement peu mélangées depuis le début de l'histoire de la Terre », explique Kim.

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La nouvelle étude présente également des applications pour des algorithmes similaires à Sequencer, qui utilisent un processus spécifique appelé « apprentissage non supervisé », pour traiter des bases de données complexes comme celles que l'on trouve en astronomie, en sismologie et dans d'innombrables autres domaines scientifiques. Contrairement aux algorithmes d'apprentissage supervisé, qui sont formés pour classer les informations en fonction d'étiquettes connues, les algorithmes non supervisés sont censés trouver des informations dans des bases de données non supervisées.

« Et si on ne savait pas vraiment ce qu'il fallait chercher dans la base de données ? explique Kim. C'est la question typique à laquelle nous aimerions réfléchir car le manteau inférieur, la cible de notre étude, comporte encore tant d'inconnues. Il n'est pas vraiment surprenant de trouver presque rien dans le manteau inférieur car nous ne pouvons pas vraiment y aller et le regarder de nos propres yeux. »

« Lorsque vous utilisez un séquenceur, il trouve en fait des informations supplémentaires cachées dans ces bases de données », poursuit-il. « Ce que nous avons fait ici, c'est trouver un agencement optimal dans la base de données elle-même. Nous ne modifions pas vraiment la base de données ; nous ne faisons que la réorganiser. C'est ce que fait Sequencer. »

L'équipe prévoit de continuer à développer de nouvelles méthodes d'investigation de la Terre en examinant les ondes à haute fréquence, qui peuvent fournir des détails plus précis sur les structures énigmatiques à la limite du noyau. Les chercheur·ses espèrent également étendre leur base de données aux sismogrammes produits sous l'océan Atlantique.

« Nous espérons que Sequencer pourra nous permettre d'utiliser toutes ces bases de données diverses et de les rassembler pour rechercher systématiquement ces structures du manteau inférieur, conclut Kim. C'est notre vision de l'avenir, pour répondre à plus de questions sur le manteau inférieur en général. »

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Cet article a été publié sur VICE US.