Lorsqu’il a débarqué à 19 ans avec La Bombe H, on va être honnête, on n’était pas pleinement convaincu. Surtout, on priait pour que les recettes de sa soudaine reconnaissance (les rimes multi-syllabiques, l’indépendance, l’ambiance cafardeuse) ne soient pas seulement un one shot, qu’elles soient récupérées par des labels avides de crédibilité et de rentabilité financière. Dès Flaque de samples, en 2008, on a compris que l’on avait tort de se méfier à ce point-là. Il est comme ça Hugo Boss, il a ce sens de l’underground ancré en lui. Il n’y qu’à voir : le mec du 18ème refuse systématiquement toute exposition médiatique, ne montre jamais son visage, insiste pour que les billets de ses concerts ne dépassent jamais 10 euros, ne veut pas faire de merchandising et a l’intelligence de sortir des albums sans matraquage orchestré par une maison de disques ou faux indépendantisme – en gros, faire mine de tenir la liberté pour la plus élevée des valeurs avant d’aller parader chez Ruquier. Al’Tarba, avec qui Hugo TSR a collaboré par le passé, notamment sur « Piège à loup », produit une analyse similaire : « Hugo, c’est quelqu’un d’assez indépendant dans sa façon de se comporter. Certains peuvent le prendre pour quelqu’un de très fermé, mais on peut aussi y voir l’inverse et se dire qu’il ne fera pas de featuring juste pour en faire de manière hypocrite ou qu’il n’ira pas parler à un magazine qui se fichait de lui il y a quelques années et qui souhaite aujourd’hui l’interviewer parce qu’il est plus que jamais suivi par un public. »
Cette attitude, on peut le dire franchement, pose un homme et la conclusion qui en découle : après tout, s’il y a une chose avec laquelle Hugo TSR ne rigole pas, c’est bien son rap, intransigeant, mélancolique, brut, âpre, réel et tout un tas d’autres adjectifs qui ne font que renforcer l’admiration que l’on porte à ce rappeur du 18 ème arrondissement parisien, digne héritier de la Scred Connexion, notamment pour cette façon de ne pas rapper uniquement pour la beauté du verbe, mais aussi pour raconter et interpréter le monde. Poser une vision, en quelque sorte. Comme le précise Al Tarba : « Au final, il dit tout dans ses textes et c’est précisément pour ça, je pense, qu’il ne donne pas d’interview. Il n’a pas besoin d’en dire plus, tout l’univers urbain dans lequel il évolue est décrit dans ses morceaux. »
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« Bienvenue en France, terre d’asile psychiatrique. »
Il suffit d’écouter ses différents projets pour le comprendre : Hugo TSR est de ceux qui pratiquent le rap pour sa puissance poétique et son éloquence, ne visent ni un hypothétique succès commercial, ni les colonnes littéraires, préférant à cela rapper le désespoir des quartiers parisiens, la monotonie des vies passées en bas des tours et la mélancolie de cette population qui écume les nuits par manque de repères. Pas pour rien, finalement, si le projet le plus reconnu et le plus abouti d’Hugo TSR s’appelle Fenêtre Sur Rue. La référence à Fenêtre Sur Cour d’Alfred Hitchcock est jolie, on l’a tous compris, mais elle serait vaine si Hugo TSR ne profitait pas de ce disque pour raconter ce qu’il se passe à côté de chez lui avec une honnêteté brutale, bien moins moralisatrice et faux-jeton que n’importe quel film avec Jamel.
Forcément, ça parle de racisme ambiant (« ils parlent du bruit et des odeurs, les plus polis parlent d’exotisme »), de déterminisme social ( « sans piston parental, rêve pas d’château à part en sable ») et d’horizons bouchés (« malgré les paraboles, dur de voir plus loin que l’pas d’ta porte/On a la dalle, pas celle qu’on enlève avec une Pasta Box/Bas Lacoste, trop à l’ancienne, j’ai pas la côte/Voyager c’est cher, pour voir les Seychelles faut que j’m’envoie par la poste »). Même si on regrette parfois un flow statique, que ne rafraîchit même pas le choix des featurings (majoritairement issus de son collectif, Chambre Froide), Hugo TSR parvient souvent à frapper juste, avec une vision musicale affirmée, des choix tranchés et un sens de l’observation qui trahit forcément un certain jusqu’au-boutisme en studio. Al Tarba a déjà eu l’occasion d’en parler avec l’intéressé. Voilà ce qu’il en a retenu : « À vrai dire, il cherche constamment à atteindre l’excellence dans une catégorie de son qui est la sienne. Lors des soirées chez I.N.C.H., ça nous ait arrivé d’écouter de tout, mais dès qu’il s’agit de son univers, il est intransigeant. Il ne va pas changer de style juste pour « varier ». Il fait simplement ce qu’il a envie et passe beaucoup de temps à retravailler ses morceaux pour que chaque son, chaque texte et chaque couplet soit calculé au millimètre. »
Au ras du pavé
À l’écoute de Tant qu’on est là, son nouvel album, rien de réellement étonnant donc. Enfin, si, il y a l’instru un peu bancale de « Autour de Moi », mais ce dernier ainsi que « Là-Haut », sorti il y a plus d’un an, aborde une nouvelle fois le même thème : le Paris des délaissés, arpenté de préférence la nuit (le moment idéal pour s’atteler à sa deuxième passion, le graffiti) et raconté depuis le point de vue d’Hugo TSR, posté au sommet de la Butte Montmartre (« Sur une toiture, j’ai la trentaine mais toujours une voix crue ») ou au ras des trottoirs – forcément sales : « Dans mon 18 que des cowboys, ni indiens ni totems/Les p’tits font la cuisine pour les crackers, pas pour gagner Top Chef (…) Mate dans les caves, tu crois pas aux fantômes mais y’en a plein l’tier-quar/Pour retirer leur maille, ils veulent pas d’cartes, ils veulent un pain d’C4 ».
Sur « Autour de moi », on retrouve aussi ce qui caractérise Hugo TSR depuis ses débuts : les samples de films ou d’acteurs placés en intro. Cette fois, c’est Jean-Pierre Mocky, mais La nuit des masques, La ligne verte ou Old Boy y ont déjà eu le droit également. Après tout, le MC est un cinéaste à sa manière, procédant d’une grande précision de mise en scène, racontant son sujet dans les moindres détails. Avec Paris comme décor : mais pas le Paris javellisé par des bars à concept trop chers ou par les branchés adeptes des soirées Concrete. Ici, la capitale française, et particulièrement le 18 ème, est encore une terre sauvage – celle narrée dans les premiers textes de Renaud ou certains films de Jean-Pierre Melville, par exemple. Pourquoi ? Parce que, de « Rei » à « Couleur Miroir », chaque texte est ancré dans la réalité urbaine, raconté avec une plume au ras du pavé et à destination des « insolvables et des insomniaques ». Bon, ça tombe parfois à plat ( « À mon art qui reste un tas d’torts, j’ai la cervelle de Malcolm/Le talent de Dewey et les pulsons de Francis et Reese » sur « En Marge », « J’fais le reporter, mais j’raconte pas l’histoire de Tintin » sur la chanson-titre), les sujets tournent parfois en rond (la défonce, les propos anti-flics, la critique du hip-hop bling bling), mais Hugo TSR, sa capuche sur la tête et son shit sous les ongles, n’en reste pas moins essentiel. Après tout, ils sont rares les rappeurs/beatmakers à représenter une esthétique et une histoire profondément parisiennes.
Tant Qu’on Est Là est disponible depuis le 22 septembre.
Maxime Delcourt est sur Noisey.