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LE NUMÉRO DES AVANT-POSTES DU CRIME DE MASSE

Reviews

BLACK LIPS, Arabia Mountain : Ce mois-ci, mon supérieur hiérarchique Marco Polio a testé sur moi un trick de management sans doute appris au contact de la partie la plus anglo-saxonne

BLACK LIPS

DEATH CAB FOR CUTIE

TY SEGALL

EDDIE VEDDER

TUM TUM

Dallas

D.C.C./Dirty South Rydaz

En général, les mecs qui rappent comme s’ils étaient perpétuellement énervés contre quelque chose de très énervant ont tendance à me faire autant chier qu’un clavier qwerty. Dans le cas de Tum Tum, c’est tout le contraire ; il pourrait continuer à râler pendant encore un millénaire, je trouverais ça OK. Parfois, les ramasses texanes avec lesquelles il rôde en tee-shirt blanc quintuple XL lui font des beats corrects, et là, le « OK » se métamorphose en fulgurance qui propulse mon cerveau blanc dans une nouvelle dimension où gagner beaucoup d’argent et rouler lentement en voiture américaine deviennent ce pour quoi la vie vaut la peine d’être vécue. J’en ai rien à foutre de vivre ma vie, soit, mais si je devais dépenser les quelques ­millilitres de sérotonine qu’il me reste dans un truc hyper con, j’aimerais vivre comme Tum Tum.

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JIMMY MORE HELL

On devrait légiférer sur la décence en musique et punir pénalement les hommages, les exercices de style, les clins d’œil et les mecs qui sortent des concept-albums qui réunissent les trois à la fois.

Plot

 : ce mec ressort

Illmatic

, sauf que c’est lui qui rappe à la place de Nas. Il reprend ses phases, intonations, gimmicks, pour s’amuser, amuser les autres et par « amour du rap », et Dieu sait si personne ne devrait « aimer » le rap parce qu’il en a rien à foutre de vous, lui. C’est quoi cette non-idée putain ? On dirait la bande-son des lundis de Pentecôte. C’est

Les Enfants de la télé

du rap.

JIMMY MORE HELL

WESTERN TINK

Hard to Keel Vol.1

Western Tink & L.W.H

Ce style de « rap nuageux » devient gros dans les sphères digitales et chez tous les gens qui sont en passe de comprendre qu’Internet vient de tuer et de régénérer trente années de rap en même temps. Je crois que j’aime mon nouveau statut de vieux qui ne comprend pas trop ce qui se passe mais qui anticipe de loin l’impact que pourrait produire une nation entière de gangsta-rappers intelligents, produits par oOoOO et qui n’ont jamais écouté de la musique autre part que sur des fichiers informatiques. La puissance de ce truc s’apprête à irradier la planète Terre depuis les limbes de la technologie domestique, et le devenir de ce que l’on appelait autrefois le « hip-hop » semble une nouvelle fois infini.

MAÎTRE VIEUX

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WILEY

100% Publishing

Big Dada

Pourquoi Internet ne m’avait pas dit que Wiley c’était encore bien ? Au lieu de ça, j’ai reçu des centaines de mails de la part d’agences de communication spécialisées dans la lingerie fine, lu des milliers de blogs écrits par des étudiants précaires, j’ai compris ce que le mot « /b » signifiait et j’ai eu droit à un accès virtuel illimité de culture que j’ai oubliée encore plus vite que mes cours de phonétique en langue anglaise. Merci à l’agence Ping Pong pour avoir renoué avec le réel et m’avoir envoyé ce disque à mains nues avec un communiqué de presse imprimé en noir et blanc ; c’est un disque vrai, cartésien et rationaliste, un disque 100 % publisher.

KELLY SLAUGHTER

Depuis ses premiers morceaux avec Ford, et surtout depuis leurs mixtapes communes qui étaient de véritables pièges à rates, on avait bien compris que Daniel Lopatin avait renoncé à devenir le nouveau James Ferraro et qu’il avait furieusement envie de piner ces nerdettes qui commençaient à liker tous les trucs qu’il postait sous ses quinze avatars dans toutes les régions de Tumblr et Youtube. On ne se doutait pas que ces deux mecs timides iraient aussi loin, jusqu’à s’imaginer en nouveaux Chromeo régnant sur un Miami virtuel et désert reconstitué en VHS et peuplé d’images mentales de rates hispaniques dansant au ralenti.

JULIEN CRACK

DIGITALISM

I Love You, Dude

V2

L’autre jour un gamin de bonne famille tout mignon m’a demandé son chemin, il cherchait le Jardin des Plantes, et j’ai bien peur de lui avoir mal indiqué la route (j’ai un sens de l’orientation catastrophique), et je me dis qu’il s’est probablement égaré, qu’il a paniqué, qu’il s’est même peut-être fait engueuler, et qu’il ­développe depuis une haine des types apparemment fiables dans mon style, haine qui le poussera bientôt à se défouler en écoutant des disques atroces, spécialement destinés à ce type de besoin des préadolescents, comme ce nouvel album de Digitalism.

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ÉTIENNE MINOU

AFRICA HITECH

93 Million Miles

Warp

Nom de merde, certes, mais faut excuser Mark Pritchard (ex de plein de groupes, dont mes idoles de jeunesse Jedi Knights) et Steve Spacek, ils ont bien 100 ans à eux deux. Visiblement les vétérans anglais des

nineties

arrivent parfois à ne pas trop faire n’importe quoi quand ils s’attaquent aux styles des jeunes, puisqu’on a vu l’an dernier MJ Cole mettre une grosse pression UK Funky, et cette année c’est le juke et d’autres sous-courants de la bass music qui se font customiser par ces deux anciens « touche-à-tout électroniques ». Franchement, je vais pas vous raconter que ce disque est parfait, qu’il fait faire un grand voyage ou que c’est un album charnière, mais écoutez juste « Out in the Streets », « Glangslap » ou « 93 Million Miles » : tension perpétuelle à swag énorme, aucun relâchement, des petites ­machineries en mouvement autonome, allégories d’une civilisation d’agitation ­stagnante. Mais ouais.

DADDY MORILLES

À la question « y a-t-il encore de la place pour tous ces groupes qui ont pris la house à piano beaucoup trop au sérieux ? », la réponse est souvent « j’en ai rien à cirer », ce qui est un point de vue largement défendable quand vous n’êtes pas journaliste ou musicologue – ou DJ Shadow. Le vrai truc que l’on cherche à savoir, c’est « y a-t-il encore de la place pour la house à piano dans les soirées annuelles chez Al Batard en plein

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coke bust

pendant qu’une partie fine entre potes nés avant 1975 s’organise dans la pièce du fond ? », ce à quoi la réponse a toujours été « oui, surtout si vous aimez Donna Summer et n’êtes pas réticent à l’idée de partager votre femme avec votre meilleur ami dans une ambiance de convivialité un peu forcée qui se soldera par un sentiment d’embarras, de doute puis d’autodétestation lorsque vous croiserez votre regard dans le miroir dans le courant du lendemain après-midi ».

DIEU

CHAD VALLEY

Equatorial Ultravox

Loose Lips

Alors que si j’avais eu un minimum d’intelligence spatiale, cet enfant en teddy se serait vite retrouvé dans le Jardin des Plantes, grisé par les lumières, les différentes nuances de vert, les parfums rassurants, les petites biches de la ménagerie, et que de retour chez lui, l’esprit baladin, il aurait demandé à sa grande sœur qui sort avec un DJ chillwave le nom de l’artiste qu’elle était en train d’écouter, et que sa vie, à partir de ce disque moyen mais satisfaisant de Chad Valley, n’aurait alors été qu’une longue succession d’épiphanies psychiques qui auraient fait de lui un être raffiné mais affable, généreux et susceptible d’inventer chaque week-end de nouveaux pas de danse.

ÉTIENNE MINOU

MOTOR CITY DRUM ENSEMBLE

DJ-Kicks

!K7 Records/La Baleine

J’ai pas trop suivi le catalogue !K7 depuis que j’ai arrêté de m’acheter des disques chez Urban Music et OCD le samedi après-midi, et j’ai décroché de l’intrigue de DJ-Kicks quelque part entre Nightmares on Wax et Tiga, et pourtant je me suis fait avoir. C’est cette même combinaison de temps lourd, pluie continue, mardi après-midi et résignation lucide qui me conduit parfois à me faire des McDo en solitaire qui m’a fait apprécier ce disque. Ce mix est indansable, il est pas envoûtant une seconde, il est lent et épais, et par ­moments il sent même le bitume mouillé, il contient du dub et autant de surprises qu’un épisode de

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Friends

mal ficelé, et pourtant il est très bien.

JULIEN CRACK

Ah ! Un nouvel album de Ty Segall ! J’aime beaucoup Ty Segall. Y’a pas longtemps, il a sorti un disque de reprises de T-Rex qu’il a appelé « Ty Rex ». J’ai trouvé ça très drôle. Là, il met une photo de chien fripé en couverture. Ça me fait déconner. Et il y a une chanson où il se plaint que sa copine veuille acheter des meubles ! C’est vrai, un rien m’amuse, mais que voulez­-vous ? Que je vous dise « mmm ce son psychédélique semble comme hébété par rapport à son précédent opus, du ­garage rock sous insolation parfaitement adapté à l’alternance festivalière de canicules et d’orages » ? Non. On n’a pas besoin d’arguments pour aimer Ty Segall.

DENNIS WHOPPER

K-HOLES

S/T

HoZac

Ce mois-ci, mon supérieur hiérarchique Marco Polio a testé sur moi un

trick

de management sans doute appris au contact de la partie la plus anglo-saxonne et

content-oriented

de ce vaste groupe de médias, et qui consiste à me donner carte blanche pour une de mes chroniques. Peut-être croyait-on alors que j’allais explorer quelques Blogspot à la recherche d’un nouveau groupe à la con sortant un nouveau LP à la con, acceptant en silence que le dernier disque des Black Lips ne soit pas chroniqué. Eh bien NON ! Regardons enfin les problèmes dans les yeux, je vous prie. Adressons bien franchement la question du déclin supposé d’un groupe fondateur et des conflits d’intérêts qui mettent à l’épreuve notre éthique journalistique. Je vais les résoudre pour vous : on s’en branle.

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DICK GÊNÉ

Le problème de K-Holes, c’est que leur musique peut facilement déclencher le recours aux termes « bayou hanté », « déchets toxiques », « saxophone hurlant » et de manière générale à tout un lexique échappé d’une traduction pourrie de Lester Bangs comme « cradingue » ou « hypnotique ». Or ça, ça me tape sur les nerfs. Rien qu’à l’écrire je commence à transpirer et à serrer les dents. Je me sens envahi par le besoin de jeter sur-le-champ une canette de bière au visage d’une figure d’autorité – ce qui est une bonne chose, parce que c’est tout ce que j’attends d’une écoute de K-Holes : une honnête colère ­cathartique vite résolue dans l’alcool.

CORMAC McPARTY

Avant d’écouter cet album, je suis tombé sur des critiques qui soutenaient que Royal Bangs transcendait tous les genres. J’appréhendais donc l’effort d’exégèse que j’allais devoir fournir, mais comme avant d’échouer dans ce magazine j’ai un jour déchiffré un évangile apocryphe, je me pensais capable de m’en tirer. Et de fait, les bloggeurs doivent nager en plein ­désarroi postmoderne s’ils ne savent pas ­reconnaître le genre de ce truc : cette bande d’intellectuels idiots ne transcende rien, c’est juste qu’ils n’ont aucune idée de ce qu’ils sont en train de faire depuis qu’ils ont, par hybris, déchaîné un torrent de power rock qui leur échappe. C’est-à-dire que c’est DE LA MERDE. Voilà à quel type de sereine analyse servent les valeurs.

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MAURICE BARBÈS

DEATH CAB

FOR CUTIE

Codes and Keys

Atlantic

C’est un peu cruel de faire un album introspectif et intransigeant en forme de bilan envoûtant de son parcours quand on réalise que le son qu’on a essayé d’imposer tout au long de ces années n’a servi qu’à faire des bandes-sons de séries télé de deuxième division, des campagnes marketing pour l’iTunes store et un tremplin inespéré pour Arcade Fire.

KARIM BENZEDRINE

FRIENDLY FIRES

Pala

XL Recordings

À une époque où l’histoire de la musique aurait encore suivi une vague direction, où elle aurait encore été animée par un quelconque souffle téléologique, j’aurais volontiers avancé l’idée, pour éviter toute méchanceté gratuite, que ce disque riche en bouillie tropicalisante indie FM et en détails d’écriture et de production gerbants aurait peut-être des chances de devenir, qui sait, une sorte de curiosité musicale dans dix ou vingt ans. Malheureusement, maintenant que nous évoluons dans une sorte de zone grise de la pop music, la seule issue envisageable pour cet album reste l’immense club des « on n’en aura jamais plus rien à branler de tout ça ».

BRANDADE & MONICA

EDDIE VEDDER WITH CAT POWER & GLEN HANSARD

Ukulele Songs

Monkeywrench/Universal

Depuis la séparation des Smiths et les compromissions du New Labour avec le rouleau compresseur du mondialisme néolibéral, on avait un peu perdu de vue la classe ouvrière anglaise et sa jeunesse désœuvrée. Si l’on se fie à Wu Lyf, elle noie son ennui en buvant quelques bières et en chantant gentiment sur un ­orgue, et tous ces trucs vraiment véner comme les répliques du drame du Heysel, la montée de l’English Defence League et les crispations identitaires qui font le lit de la guerre civile à venir dans des villes du ventre postindustriel du Royaume-Uni genre Slough ou Lutton ne sont que des fantasmes d’esprits chagrins.

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WU LYF JEAN

VETIVER

The Errant Charm

Sub Pop

Quelle est cette musique des îles qui colore l’atmosphère de ses rythmes pastel alors que des parents en chemise de lin concoctent sur leur mobilier de jardin des cocktails aux ingrédients très frais à l’aide d’un livre de recettes ? Celle d’un groupe dont le nom rappelle une huile essentielle exposée à côté de fontaines zen faites d’un bambou, un galet et un circuit d’eau chez Nature & Découvertes et qui, comme elles, n’est qu’un accessoire discret au service du tiède désir « d’être bien », une idée du bonheur proche de celle que je me fais de la tristesse.

MARGUERITE DU RADE

AUSTRA

Feel it Break

Domino

La chanteuse rejoint directement Björk, Karin Dreijer Andersson et Lizzie Bougatsos dans la catégorie des chanteuses pop et cérébrales

overpowered

casse-couilles rescapées des Beaux-Arts qui hurlent leur émancipation et leur ­hypersexualité trouble dans des vibratos souples et castrateurs. Mais un peu comme The Knife et Gang Gang Dance, la voix qui en fait des tonnes marche assez bien avec des prod electro éloquentes qui en font des tonnes et masquent leurs influences disco avec le moins de subtilité possible. Après, le risque de ce genre de position c’est de faire du Crystal Castles à écouter chez soi, c’est d’ailleurs une menace qui plane sur tout le disque avec la présence inquiétante d’une récession économique ou d’une fusion au cœur d’une centrale nucléaire.

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OTTO VON BEATMARK

Le mec de Pearl Jam met sa voix débile au service d’une entreprise débile qui consiste à chanter un très grand nombre de ballades accompagné d’un ukulélé et de Cat Power. J’ai tenté d’imaginer la raison qui avait pu convaincre quiconque que cette blague sur « quel est le comble pour un survivant de l’ère grunge ? » méritait de devenir réalité, avant de me souvenir que cette génération qui n’est pas la mienne a depuis longtemps cessé de se demander « pourquoi ? » quand elle peut si confortablement se contenter de « pourquoi pas ? ».

MARÉCHAL T-PAIN

ZACH HILL

Lil Scuzzy

Sargent House

Je capte rien à ce hardcore qui se transforme en breakbeat et en Bomb The Bass avant de se transformer en drone puis en pyramide de sable ou en robot-­léopard, à part que ça défonce et que c’est le son qu’a dû faire le 104 quand des ­inspecteurs de la Cour des comptes ont commencé à le critiquer.

KARIM BENZEDRINE

TINARIWEN

Tassili

V2/Coop

RELIGIOUS KNIVES

Smokescreen

Sacred Bones

Il est question de couteau rituel dans le nom du groupe parce que, s’ils mettent beaucoup d’orgue dans leurs chansons, ce stoner rock répétitif vient quand même moins des cathédrales élevées à la gloire du Jésus de l’Église officielle que des ruines de pyramides noires abritant les tombes de civilisations englouties par une jungle obscène où ces hippies sont vraisemblablement partis en expédition à la recherche de

Salvia divinorum

à la suite d’une lecture intensive des fondamentaux de l’anthropologie française dans leur colocation de Brooklyn. Y croiseront-ils les lances du crépuscule ? Tomberont-ils dans le ravin de la lente dissolution de leur conscience de soi par le mezcal ? Qui peut le dire ? Pas moi. Bon album.

KLAUS KINKY

Après les vagues « Îles du Pacifique » et « Musiques indigènes d’Amazonie », ça fait quelque temps que des blogs pourvoyeurs de mediafire de type « Mutant Sounds » et « Awesome Tapes from Africa » essaient de nous convaincre que l’Afrique est la nouvelle frontière de l’érudition indie. Ça a d’abord été la Corne de l’Afrique anglophone avec le « garage éthiopien » et le « rock soudanais » et maintenant le grand ouest saharien avec ce « blues touareg ». Malgré les ponts que j’essaie de construire sur les ruines de mes préjugés, ces injonctions à danser la danse de l’autre me laissent aussi indifférent que ces affiches colorées pour des prêches de chantres ou des concerts du « Vieux Gazeur » qui couvrent les murs des quartiers cosmopolites de Paris. Je m’excuse sincèrement avec la contrition infinie des Blancs auprès des peuples dont c’est la culture et qui peuvent en être légitimement fiers et auprès de Radio Nova, mais mes oreilles ont encore des murs.