Photos : Nicholas Pomeroy
Je me souviens d’un sketch de Chris Rock où il explique sa certitude que les Indiens d’Amérique sont en passe de disparaître ; selon lui, c’est parce qu’on n’en voit jamais deux en même temps. Là où j’habite – à Londres – je n’en vois jamais, mais je trouve que sa théorie peut aussi très bien s’appliquer aux gothiques. C’est notre peuple disparu, nos pandas si on veut.
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Mais ils doivent bien se retrouver une fois de temps en temps, non ? Où, ces guerriers de l’ombre, se rassemblent-ils pour décompresser ? Ça fait longtemps que je me pose cette question mais, depuis le temps, je dois bien avouer que je sèche.
Un de nos stagiaires, Oz, s’est ramené en disant qu’il pesait dans les milieux gothiques de Londres et qu’il pouvait me faire entrer au Slimelight, un club de goths implanté à Islington depuis les années 1980. J’y suis donc allé avec un photographe pour voir de quoi il en retournait.
Le truc avec les gothiques, c’est qu’ils se méfient des gens extérieurs à leur scène. Oz m’a dit que si on voulait se mêler à eux, on allait devoir se déguiser. Mon trench-coat en néoprène étant au pressing, j’ai dû me contenter d’un tee-shirt Tool (que j’ai bien entendu emprunté à un ami).
En réalité, notre look ressemblait plus à celui des mecs qui travaillent là-bas qu’au style des gothiques endurcis par des années de moqueries et de mise à l’écart, et c’est sûrement pour cette raison que la fille derrière nous avait l’air méfiante avec sa bouteille de cola premier prix sous le bras. T’en fais pas, zoulette ! Je ne suis peut-être pas capable de rejouer une scène de The Crow avec toi mais j’ai de bonnes connaissances en matière de faux Coca et de pauvreté.
Malgré les pires breakdowns d’EBM que crachait l’imposant soundsystem, ce fêtard épuisé a réussi à glaner quelques minutes de sommeil. Je ne sais pas qui est cet homme mais ses chaussures de sécurité et sa ceinture en tissu professionnel m’ont laissé à penser qu’il s’agissait d’un flic en civil bourré. Je suis prêt à parier que tous les gothiques présents lui auraient joyeusement dessiné sur la gueule s’ils n’avaient pas eu peur de le réveiller et de se prendre une grosse décharge de taser.
Ouais, c’était pas évident de prendre des photos. Après avoir ébloui deux ou trois types avec le flash, l’un des organisateurs s’est rué sur nous. Je m’attendais à ce qu’un videur vienne éclater mon appareil photo par terre avant de me virer dans la plus pure tradition passive / agressive mais, en réalité, les gothiques sont pacifiques. Il nous a juste demandé de nous en tenir aux toilettes pour les photos (chelou) et nous a précisé que « les gens présents » avaient aussi des « vies professionnelles. Ils doivent donc préserver leur image ». Peut-être mais bon, je n’avais pas l’impression d’être en compagnie de fonctionnaires sympas qui se lèvent pour aller travailler dans un bureau tous les matins. Quand vous vous trimballez avec des dreads rose bonbon et que votre septum nasal est doublement percé, il y a des chances que votre mère/patron/femme soit déjà au courant de votre vie parallèle.
C’est lors de notre exil dans les chiottes qu’on a rencontré Kyle et Fiona qui prétendaient être un duo de clubbers mère/fils. Est-ce que c’est un peu mignon ou un peu bizarre que ces deux tracent en boîte ensemble ? Bien sûr que c’est complètement baisé, c’est ta mère mec, peu importe ton mode de vie ou ta subculture. Mais je suppose que quand ta mère possède aussi des dreadlocks violettes, la seule façon de se rebeller est d’écouter Sting à un volume ridiculement bas dans sa chambre pour – peut-être – espérer s’en prendre une.
Dans le coin fumeurs, on a rencontré l’un des seuls steampunks présents. Ash a fui les persécutions de son pays, l’Iran, pour rejoindre les joies débiles du monde occidental, et ainsi pouvoir se siffler autant de Guinness que possible en se sapant comme s’il vivait à une époque où toutes les machines étaient truffées d’engrenages et de ressorts inutiles.
Je n’ai pas vu beaucoup d’interactions entre les steampunks, les cybergoths et ceux qui ressemblaient à des mecs de Bauhaus. Même s’ils n’iront pas jusqu’à se balancer des chaises à la gueule, ces types ne s’adresseront probablement jamais la parole de leur vie.
Il y avait deux soirées dans la boîte ce soir-là ; dans la salle d’à côté, il y avait une soirée house pour hipsters. Le contraste était saisissant. On a déploré aucun jet de bière mais les deux scènes se sont regardées en chiens de faïence pendant toute la soirée ; Nine Inch Nails et les dubplates de Kassem Mosse formaient un mash-up contre-nature dans le no man’s land séparant les deux salles.
Ce mec s’appellait « Addz » et il m’a dit qu’il jouait dans l’un des plus gros groupes de la scène indus : Grendel. J’avais un peu honte de ne pas connaître son groupe. Un peu comme une grand-mère qui aurait fait la connaissance d’un « type très sympa du nom de Waka Flocka quelque chose » aux Source Awards.
Le truc cool avec cet endroit, c’est qu’il collait parfaitement à l’ambiance. Ça m’était déjà arrivé de passer devant ce genre de soirées drum and bass improvisées dans des backrooms sordides ou des pubs qui sentent la tôle et la pisse. Là, le club était vraiment miteux et, de loin, on aurait dit le pire Laser Quest de Grande-Bretagne. Ce qui correspond exactement à l’esthétique gothique, une esthétique perdue entre un passé industriel et une vision du futur inspirée des années 1980.
Ce mec s’est pointé sapé en Adam Ant époque prince charmant, ce qui est en soit plutôt cool, mais si vous voulez coller la frousse aux autres gothiques, ce n’est clairement pas de cette époque dont il faut s’inspirer. Il vaut mieux se ramener rasé à blanc et les yeux vitreux comme Adam Ant aujourd’hui, et braquer le bar avec un pistolet à billes en hurlant puis en parlant tout bas alternativement.
C’est dans notre camp retranché, les toilettes, que nous avons rencontré Simon. Et avant que des connards de votre genre se mettent à rédiger des commentaires suggérant à Sim’ de faire un peu de muscu s’il tient tellement à ce haut en cotte de mailles, vous devriez d’abord savoir que Simon est une transsexuelle en cours de transformation. Même si je dois dire que si je changeais de sexe, je ne choisirais pas un prénom comme Simon. Ce n’est pas que c’est un mauvais prénom ou quoi que ce soit, mais si j’avais l’opportunité de repartir à zéro, je m’appellerais plutôt « Rocky », ou « Fabio », ou un autre pseudonyme un peu festif rappelant l’été et les morceaux de terre volcanique perdus au milieu de l’océan.
On dit des gothiques qu’ils sont chiants, et les stéréotypes voudraient qu’ils impliquent la poésie ou le sado-masochisme dans la majorité de leurs blagues. Mais même eux ne pouvaient pas résister à cette blague facile. Et qui peut leur en vouloir ? Le mot « balls » entraîne des « lolz » dans toutes les cultures.
On comptait aussi quelques gens normaux parmi la foule. Cette petite rate ressemblait à un lapin à la lumière des stroboscopes, mais elle était loin de faire tâche dans l’enceinte du Slimelight. Les vrais goths avaient l’air de l’accepter, peut-être était-ce d’ailleurs une ancienne goth revenue pour l’occasion, parce que c’est toujours marrant de picoler et d’esquisser quelques pas de danse sur « Boys Don’t Cry ». Et pour être tout à fait honnête, au point ou j’en suis, j’en demande pas beaucoup plus en matière de clubbing. À ce moment de la soirée, je me sentais de plus en plus à mon aise.
En revanche, j’ai détesté ce mec depuis le début. Le combo veste en cuir/veste camo est déjà assez salé en lui-même, mais avec une perruque par dessus ? Sérieux gros, c’est encore plus ridicule que l’idée que se fait un mauvais scénariste de sitcom d’un goth. Lorsque j’ai croisé son regard, j’ai su que, comme moi, il était déguisé, et à la manière de deux prisonniers de guerre en terre ennemie, on s’est échangé un petit signe de tête.
Les seuls types franchement mal sapés de la soirée, c’étaient ces cybergoths. La tenue gothique « traditionnelle » possède un certain charme, c’est certain. Ces gens en revanche, sont certains de repousser les limites en terme de tolérance sociale et d’excentricité. Ils n’ont pas l’air de comprendre que ce type d’accoutrement futuriste a perdu tout intérêt lorsque la PS2 est sortie. Écoutez les mecs, arrêtez d’essayer de lancer cette mode. La house progressive n’a jamais marché, la Chine a un taux de croissance supérieur à celui du Japon, et le film Final Fantasy est un putain de navet. On sait très bien que vous n’êtes pas nés dans le futur, et on sait surtout que vous êtes bloqués dans les années 1990, ou que vous avez passé votre adolescence en Finlande, ce qui est à peu près la même chose.
J’ai toujours détesté ces piscines à boules. Elles ne sont jamais assez profondes, leur fond est collant, et la plupart des enfants pissent dedans. Et même si je pense que la piscine du Slimelight était pleine de fluides corporels, j’étais tellement bourré que je me suis retrouvé à rejouer des scènes de Matrix dedans avec un sosie de Nick Cave. Et c’est sans doute la fois où je me suis le plus amusé depuis la sortie de Matrix.
Ce mec a remporté le titre de plus gros creep de la soirée haut la main. On ne lui a pas demandé de poser comme ça, il a eu cette attitude toute la soirée. Il agrippait son sac tel un touriste méfiant. Il est resté scotché à ce coussin rouge, scrutant la foule derrière son masque de Kabuki à la manière d’un personnage issu de la pire troupe de théâtre expérimental de l’univers. Je me suis demandé pourquoi il portait ce masque, et la seule théorie qui m’est venue à l’esprit est la suivante : il s’agit d’un joueur de foot qui ne tient surtout pas à ce que ses coéquipiers découvrent sa seconde vie. Mais c’était peut-être simplement un type sans charisme qui essayait de faire peur aux gens avec ce masque de sociopathe nul.
En attendant que la fille de l’entrée nous imprime nos notes de frais, on a vu ce mec qui portait un manteau de la poste. Je ne sais pas si c’était un véritable facteur qui se faisait juste chier avant le début de sa tournée ou si c’était plutôt quelqu’un qui n’a jamais eu la moindre idée de sa vie. Dans les deux cas, la poste et les gothiques ont plus de liens qu’on pourrait le penser. Ce sont tous les deux des organismes vieillissants qui doivent faire face à un net déclin dans leurs effectifs, un manque d’intérêt de la part du public, une phobie de la lumière du jour et les deux sont vivent dans la dèche la plus totale. Aux États-Unis ces deux populations sont les plus susceptibles d’être à l’origine de meurtres de masse mais, en Europe, ces doux rêveurs se contentent de noyer leurs problèmes dans l’alcool, ou de voler des colis Amazon.
La soirée battait son plein, et entre le bruit et le taux d’alcoolémie toujours plus élevé, il était devenu impossible de demander à des gens de les prendre en photo. Dommage, parce que je commençais vraiment à m’amuser là-dedans.
Dans le « paysage de la nuit » toujours changeant, il est de plus en plus rare de voir des soirées continuer plus d’une saison et encore plus des soirées comme celles du Slimelight, qui existe depuis 1987. Une scène qui arrive à traverser la Black Parade et à en ressortir indemne ne peut que forcer le respect. Alors bien sûr, il existe des éléments risibles, mais dans un monde envahi par les pré-ventes Digitick, les stabs infernaux de la Swedish House Mafia et les contrôles de sécurité de plus en plus poussés, c’est rafraîchissant de voir des trucs aussi fun que le Slimelight perdurer. C’est une scène qui est « alt » pour de vrai.
Bon et je le répète : j’emmerde les cybergoths. Ces connards sont plus infernaux que les virus pour Windows 98.
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