(*La ballade des pendus gallois)

INTERVIEW: BRUNO BAYLEY, ILLUSTRATIONS: LAURA PARK

Bridgend a acquis une renommée internationale en 2008 quand une jeune fille de 17 ans, Natasha Randall, a été retrouvée pendue peu de temps après le réveillon du Nouvel An. La mort photogénique de cette fille a capté l’attention des médias anglais, suffisamment longtemps pour qu’ils réalisent que ce cas n’était pas isolé dans cette ville brumeuse. Un bon ami de Natasha, Liam Clark, avait mis fin à ses jours peu de temps auparavant. En tout, vingt-trois jeunes gens se sont donné la mort dans la région en un an et demi. Pratiquement tous se sont pendus, parfois chez eux, sinon dans des parcs ou dans des locaux désaffectés.
Nous sommes allés à la rencontre de Darren Matthews, directeur de l’organisation des Samaritans à Bridgend, pour parler de l’explosion du nombre de suicides dans son patelin.
Vice : C’est quoi ce boxon ?
Darren Matthews : Pour autant que les journaux se soient emparés de cette affaire, tout a commencé en janvier 2007, quand un jeune homme de 18 ans, Dale Crole, s’est pendu dans un entrepôt en ruine. Mais ce genre de drame a toujours eu lieu ici. Dans le mois qui a suivi, on a eu plusieurs autres cas de suicide, certains d’entre eux étaient des amis de Dale. On a observé un boom du nombre de morts. Puis, en janvier 2008, il y a eu une morte, Natasha Randall. Après qu’on l’a retrouvée, il semblerait qu’il y ait eu une augmentation du nombre de décès dans la région. Peu de temps après, on pouvait lire en une de je ne sais plus quel journal : « Le culte du Suicide. » Et là, les médias se sont emballés.
Ouais, en effet. Au total, combien de personnes sont mortes ?
Selon les chiffres officiels, vingt-trois personnes font partie de ce que les médias ont décidé d’appeler « les suicides groupés », mais il y a certaines morts dans le coin à cette période qui n’y sont pas affiliées. Je crois qu’on peut y ajouter deux ou trois décès, mais ils devaient être trop âgés pour que les journaux en fassent état.
Les journaux s’en sont donné à cœur joie sur les cultes et les réseaux de suicide. Franchement, quel est le fil conducteur qui relie ces morts entre elles ?
Selon le juge d’instruction et la police, il n’y a aucun lien entre ces décès. Mais il est de notoriété publique que certaines de ces personnes se connaissaient. Tout dépend de ce que l’on entend par lien. Il y a des gens qui étaient les amis des amis de ceux qui se sont tués. On sait que certaines des personnes décédées ont partagé des appartements à un moment de leur vie. Trois des garçons ont habité la même rue. Le plus jeune avait 15 ans. Sa tentative a échoué et il a fini maintenu en vie artificiellement. Alors qu’il était à l’hôpital, sa cousine, qui avait 20 ans, s’est donné la mort. Lui, il a cessé de vivre quelques jours plus tard. Ils habitaient à quelques mètres l’un de l’autre.
Je trouve ça plutôt louche. Mais Bridgend a toujours eu taux de suicide élevé, n’est-ce pas ? On a une explication pour ça ?
Dans le sud du Pays de Galles, la région des Vallées, le taux de suicide a toujours été plus élevé que la normale, c’est même le plus haut de toute la Grande-Bretagne, à vrai dire. Si vous cherchez des facteurs d’explication, cela dépendra beaucoup de la personne à qui vous vous adressez. On sait qu’on a pas mal de défavorisés dans cette région. Les taux de chômage et de maladie sont très élevés. Les facteurs socio-économiques peuvent rentrer en compte dans certains suicides, mais pas nécessairement dans les cas qu’on évoque.
Donc c’est quoi ? Pourquoi tant de morts en si peu de temps dans une si petite région ?
Il n’y a rien d’inhérent à Bridgend là-dedans. On envisage la théorie de la contagion.
C’est quoi ça, le suicide serait contagieux ?
En janvier, personne ne voulait en entendre parler. Mais, en mars, les gens ont commencé à adhérer. La théorie de la contagion est plus connue sous le nom de la Fièvre werthérienne, d’après le roman de Goethe Les Souffrances du jeune Werther. À la fin du livre, le héros met fin à ses jours, mais selon un rite spécifique, dans son habit bleu et or. Après publication dans les années 1800, le livre a été interdit, il avait lancé une mode : les gens imitaient Werther et se donnaient la mort. Lorsque l’un des membres de la communauté attente à ses jours, cela semble légitimer le suicide aux yeux des autres, et ils font de même : du moins c’est ce qu’il semble.
Quel est le rôle des médias dans tout ça ?
Les médias jouent un rôle crucial, ils font passer le mot à la communauté. Nous leur conseillons de choisir un angle sobre, de s’en tenir aux faits. Les gens n’ont pas à connaître quelqu’un pour que son suicide les affecte.
Qu’est-ce qui pose problème avec les médias ?
Si quelqu’un a vent des problèmes d’autrui, ça peut être dangereux. Prenons une personne endettée qui décide de se pendre. Si les journaux s’en emparent et qu’ils le font bien, ça va. S’ils s’étalent sur les détails, les circonstances, la façon de faire, ça peut conduire quelqu’un d’endetté et de déprimé à abandonner tout espoir, et à mettre également fin à ses jours.
L’idée peut germer, donc.
Je ne peux pas affirmer que les comptes rendus dans les médias ont entraîné des décès. Il n’y a aucun lien de cause à effet. Tout ce que je peux dire, c’est que l’on sait que les méthodes et les agissements des médias peuvent affecter la population, notamment quand ils publient les photos des suicidés. Cela alimente les colonnes de la presse quasiment tous les jours. Imaginez voir encore et encore en une des photos de vos défunts, réimprimées à chaque anniversaire… Ça a un effet très négatif sur la famille et la communauté. Certains gros titres tels que « Suicideville » laissent franchement à désirer.
Pas classe !
Et puis les histoires de culte macabre ont fait leur apparition sur le web. Ça a occasionné pas mal de remous. La ville est encore sous le choc.
Qu’avez-vous pensé de l’accusation lancée contre certains réseaux sociaux virtuels ?
Il n’y a aucune preuve. J’entends par là que oui, beaucoup de défunts avaient leur profil en ligne, tout comme beaucoup de gamins et de jeunes adultes en Grande-Bretagne. Ces pages web, aujourd’hui, ne sont rien de plus qu’un livre ouvert de condoléances, que la grand-mère de n’importe qui aurait pu signer.
Et les effets à long terme sur les gens du coin ?
Il y a quelques côtés positifs, comme cette façon qu’ont les gens de parler ouvertement du suicide, désormais. Avant, c’était un sujet tabou. Il est problématique qu’au Pays de Galles, les jeunes hommes, notamment, se refusent à parler de leurs problèmes. Ils voient ça comme une faiblesse, ce qui est un tort.
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