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Ouagadougou, Burkina Faso, 2018.
Culture

En virée avec le shérif et les cowboys de Ouagadougou

Depuis 2016, le photographe Aurélien Gillier suit Don Carlos, le shérif du quartier populaire de Ouidi, et les jeunes qui se baladent à cheval dans la capitale du Burkina Faso.

« Ne vous inquiétez pas, vous êtes sous la protection du shérif ! » Dans ce petit bar du quartier populaire de Ouidi, à Ouagadougou, l’ambiance est mi-tendue, mi-éthylique en cette soirée du 15 janvier 2016. À cinq bornes de là, dans le centre-ville de la capitale du Burkina Faso, des terroristes attaquent un autre bar, le Taxi Brousse, le restaurant Cappuccino, et l’hôtel Splendid. Mais apparemment, ici il n’y a rien à craindre, grâce à simple présence de « Don Carlos », shérif auto-proclamé du coin. « Bon, en fait sa présence était totalement fortuite, il voulait simplement se faire payer des clopes et quelques bières », remet le photographe français Aurélien Gillier, présent dans le bar ce soir-là. 

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Ouagadougou, Burkina Faso, 2016.

Don Carlos, qui se balade à cheval avec chapeau de cowboy et étoile de shérif fièrement poinçonnée sur le plastron, est un personnage du quartier, qui trotte entre fiction et réalité. Shérif « non-violent », l’homme qui approche la soixantaine est devenu au fil des années une sorte de figure d’autorité traditionnelle, sans réel pouvoir, dans ce quartier qui borde le Barrage numéro 2. Aurélien Gillier avait déjà entendu parler de la légende du shérif avant d’arriver à Ouagadougou. « Je savais donc qu’un jour ou l’autre je finirai par tomber sur lui. » Lors de leur première rencontre, dans cette soirée tragique pour le pays où 30 personnes ont été tuées, le photographe prend deux photos de Don Carlos. Puis passe un peu à autre chose, tout en gardant le shérif dans un coin de sa tête.

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Don Carlos. Ouagadougou, Burkina Faso, 2016.

Un an plus tard, en revenant à Ouagadougou, Gillier retombe sur Don Carlos et naît chez lui l’idée de documenter sa vie, ainsi que celles des jeunes « cowboys » burkinabés qui s’occupent des chevaux et galopent dans le quartier. Pendant plusieurs années, le photographe va suivre ce monde du cheval burkinabé jusqu’à aboutir à sa série (toujours en cours) Les cowboys sont toujours noirs, pour laquelle il a reçu le prix Zoom du public au Salon de la photo 2020. 

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Don Carlos. Ouagadougou, Burkina Faso, 2016.

Parce qu’au Burkina Faso, le cheval est une histoire sérieuse : les armoiries du pays sont composées de deux chevaux blancs, les joueurs de l’équipe nationale de foot sont surnommés les Étalons, la capitale accueille un festival international des arts équestres et le PMU B (le PMU local) est une véritable institution, où les Burkinabés viennent jouer sur les courses qui se tiennent à Vincennes ou Cagnes-sur-Mer. 

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Ouagadougou, Burkina Faso, 2018.

Puis il y a le roi culturel local, le Mogho Naaba, qui se fait accompagner chaque vendredi de centaines de chevaux lors de processions. Pour les mariages, des cavaliers ouvrent la marche pour les mariés – où il n’est pas rare de retrouver le shérif en tête de cortège. Il y a aussi les courses de chevaux du dimanche après-midi à 15 heures pétante à l’hippodrome de la ville (que le photographe a aussi saisi sur papier glacé). Les jeunes du coin tombent dans le cheval comme ça, en devenant jockeys. « On leur promet un avenir radieux où ils vont faire des courses tous les dimanches. Puis dès qu’ils dépassent les 12 ans et qu’ils font 500 grammes de trop, ils sont remplacés par d’autres jeunes plus légers. » Pour rester un peu dans le monde équestre, certains peuvent alors s’occuper des chevaux chez Ali Faso. 

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Ouagadougou, Burkina Faso, 2018.

Ali Faso, de l’écurie Faso Symbole, s’occupe des chevaux des riches personnalités du coin, et prend donc sous son aile des jeunes du quartier, qui peuvent s’occuper des chevaux. « Puis avec un peu de chance, certains deviennent entraîneurs », décrypte Gillier. Sinon, les jeunes gèrent à cheval les boeufs ou autres bêtes qui vivent dans les pâturages bordant le Barrage numéro 2, comme de véritables cow-boys de l’Ouest américain. 

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Ouagadougou, Burkina Faso, 2016.

Covid oblige, Aurélien Gillier n’est pas retourné au Burkina Faso depuis quelques temps, mais compte bien y remettre les pieds sous peu. Don Carlos, dont l’étoile de shérif aurait été remise – selon ses dires – par l’ambassadeur des États-Unis dans le pays, aurait écrit une idée de film en tête, et qu’il aurait même écrit un scénario sur sa vie. Accompagné d’une amie scénariste, le photographe souhaite retomber sur Don Carlos pour peaufiner ce scénario, qui mêlera fiction et réalité – comme sa vie. 

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Ouagadougou, Burkina Faso, 2016.

Le travail d’Aurélien Gillier est accessible sur son site et son compte Instagram.

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