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Après 40 ans à se dire « fiers de ne rien faire », les Olivensteins sortent enfin leur premier album

Se méfier d’une millième reformation d’un groupe de vieux briscards du punk devrait être un devoir civique ; néanmoins il convient de ranger un instant ses doutes quand il s’agit des Olivensteins, un groupe rouennais qui a remué plus de boue avec un unique single sorti en 1979, « Fier De Ne Rien Faire », que beaucoup de formations de l’époque à la longévité plus heureuse.

Pourquoi les ranger, ses doutes ? Parce que les frères Tandy (Gilles au chant et Eric, parolier) ont tout simplement accouché chez SMAP records du meilleur album français de power-pop énervée de l’année, avec le savoir-faire mélodique propre à cette époque où The Jam ou les Buzzcocks visitaient régulièrement la Normandie, point obligé de diffusion du genre pour toute la France de par sa position géographique de port de débarquement des hordes de britons cloutés.

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Pour les deux du fond qui auraient raté la réédition en 2011 de leur single agrémenté d’inédits live et de maquettes chez Born Bad, voilà le contexte : les frères Tandy et leurs srabs commencent à jouer vers 1978 sous l’égide de Dominique Laboubée des Dogs, qui leur passe une salle de répétition et les encourage à jeter des boulettes dans le dos des profs, des psys, de la France qui a peur et de la nostalgie facile.

« Pétain, Darlan, c’était le bon temps » : voilà la marque d’un groupe qui prophétiquement se gausse déjà de la tendance pathologique actuelle à révérer le passé aveuglément. Claude Olievenstein, psychiatre médiatique choisi comme cible par le duo en raison de ses diatribes télévisuelles contre les mœurs de la jeunesse, n’entend pas se laisser crotter dans les Weston par ces mômes mal élevés. Alors que le groupe décroche un contrat chez Barclay grâce à Lionel Hermani, gérant du magasin Mélodie Massacre, le bon docteur fait pression via les RG sur les salles de concert qui accueillent le groupe (le Palace en tête), envoie une lettre glaciale au père d’Eric et Gilles – qui se trouve être lui-même psy – fait capoter les relations avec le label en refusant que son nom soit utilisé, et le groupe jette l’éponge avant même de profiter du deal en major qui aurait pu voir leur carrière exploser, après un ultime concert rouennais en 1980.

Desproges n’en est pas encore à défoncer en alexandrins le tout aussi médiatique cancérologue Léon Schwartzenberg sur scène, à l’époque – et ça joue beaucoup. Que voulez-vous ; on n’attaque pas la toute-puissance de la Science impunément, surtout quand elle s’installe régulièrement sur les sièges rembourrés des plateaux télé.

Noisey : As-tu fait écouter l’album à Barclay ?
Gilles Tandy : C’est la première fois qu’on prend tout en charge, en fait. On n’avait pas de label, aucun plan. Tout ce qu’on voulait faire, c’était aller en studio pour enregistrer ces morceaux. J’ai arrêté de faire de la musique en 1996, je me suis retiré des voitures. Depuis, les circuits de distribution ne sont plus les mêmes, les rapports non plus. La plupart des disquaires qu’on connaissait ont fermé ; il y a 30 ans tu ne vendais pas tes disques aux concerts… Tout ça fait qu’on découvre comment les choses se font.

J’ai l’impression que les jeunes groupes ont appris à prendre tout ça en charge, beaucoup mieux que ce qu’on faisait à l’époque. On était toujours dépendant de quelqu’un : d’un label, d’un tourneur, d’un éditeur… Leur sens de l’organisation, leur initiative m’étonne. Ça marche comme des petites entreprises – ce que les Olivensteins n’ont jamais été, et ne seront jamais [Rires]. Nous n’avons pas vraiment le sens des affaires.

Résume-nous ce que tu as fait depuis tout ce temps. Tu n’as pas chômé, il y a vraiment eu un après Olivensteins.
Oui, Lionel Hermani, qui avait produit le 45 tours a aussi produit les Gloires Locales. Avec Les Rythmeurs on a sorti un truc chez New Rose en 1983. C’est ce label-là qui a également sorti mes disques solo vers 1986, et il y a eu Les Rustics au début des années 90. Enfin ça rejoint ce que je disais : quand on allait en studio, on savait qu’il y avait un label. Pour l’album d’aujourd’hui, c’était vraiment pas le cas.

Quel souvenir tu gardes de ces relations troublées avec Barclay justement ?
C’était à l’image du business de l’époque. 79-80, c’est la période où à la tête des maisons de disques se trouve cette génération de vieux requins formés à l’école de la grande variété, qui viennent du baloche. Avec du recul, c’est totalement logique que ça ait foiré. Sur le coup, bien sûr, il y a eu de la frustration ; mais c’est la logique d’une époque.

Les ayant-droits du doc vous foutent la paix ?
[Rires] Oui, ça se passe bien ! Il y a un petit cousin qui nous a contacté via Facebook, c’est tout. Rien de bien méchant. Et à part toi, tout le monde a oublié l’affaire ! Peut-être qu’ils ne la connaissent même pas.

Vous l’aviez croisé à un concert, où il était venu se documenter…
C’est Eric qui l’avait croisé, oui. Le nom du groupe vient de sa présence au Gibus à un concert de Johnny Thunders. On l’a dit plusieurs fois, mais il représentait tout ce qu’on détestait à l’époque. Le discours paternaliste, les rengaines sur « les jeunes »… Et sa description des premiers punks : « ils prennent encore plus de drogues que les hippies ». Nous on buvait de la Valstar à l’époque, c’est tout. Il n’y avait pas encore… hem, d’autres choses.

Vous avez vraiment un côté sales gosses, toi et ton frère. Le coup des fausses annonces, c’est vrai ?
[Ricane comme un cancre] Oui oui ! C’est le premier truc qu’on a fait, aux tout débuts du groupe. On envoyait des fausses dates de concerts à Rock & Folk dans des bleds qui n’existaient pas. On se régalait de voir ces conneries publiées tous les mois. Je sais pas si c’est « punk » – ça n’a rien d’exceptionnel, mais on était comme ça.

Bon, plus sérieusement, pourquoi attendre 40 ans ?
Les seuls trucs que je faisais en musique, depuis la fin des années 90, c’était des concerts épisodiques. Un truc à Sète avec Tony Truant [ex-Dogs, Wampas], un concert hommage à Dominique Laboubée… Et puis on a été contactés pour faire un one-shot à la Ferme Electrique en 2013. Pourquoi pas… On savait que si on reprenait, ça ne serait pas que pour ça. On avait déjà un répertoire, entre les morceaux enregistrés, ceux qui devaient sortir sur l’album. Et puis on s’y est collés, pour un disque. C’était le moment. En fait, cette distance ça nous a permis de ré-aborder la musique d’un autre œil. Avant, on avait la vie et le monde devant nous [Rires], et là on arrive à faire la part des choses. On n’en attend pas les même choses… On n’a pas pensé une seconde au contexte dans lequel on avait fait le groupe 35 ans avant. On était comme n’importe quel groupe qui répète, qui démarre.

Il y a ce truc, à Rouen, avec le caractère éphémère des groupes. À part les Dogs, les gens de votre bande à l’époque démarraient un nouveau truc tous les 6 mois.
Oui, carrément. J’ai l’impression que par rapport à d’autres villes, il manquait un ciment. À Rennes, Lyon, Bordeaux, c’était carré, organisé. Rouen, c’était difficile. Le manque d’une structure qui aurait supervisé tout ça, ça s’est ressenti. Et ça se tirait pas mal dans les pattes.

La couleur de l’album prolonge, j’ai l’impression, toute la démarche des groupes dans lesquels tu t’es retrouvé. Il y a une digestion évidente d’influences 60’s -comme avec Les Rythmeurs par exemple.
C’est sûrement dû à la Rickenbaker de Vincent [Rires]. On cherche pas un style, on sort les chansons comme ça… Mais ça remonte à tout ce qu’on a toujours écouté. Il y a des choses qui restent, il faut croire… Avant les punks, j’écoutais déjà des trucs, et je ne les ai jamais reniés. J’étais fan des Byrds autant que des Stooges.

À l’heure où justement on fout le punk dans les musées, on aimerait faire croire à un cadre défini du truc : ça c’est punk, ça non…
Voilà, tous les groupes de l’époque, de Generation X aux Clash, reprenaient des trucs 60’s sur scène. Il y a une image du punk qu’on fait coller à la deuxième ou troisième génération, avec les crêtes et toutes la panoplie. Mais pour nous, c’était déjà plié.

Et puis sur le disque, on retrouve le côté très « bricole » du jeu de guitare de Vincent, avec ses effets bruitistes, ça vous colle à la peau.
Il a très tôt eu ce goût-là. Utiliser des samples, bricoler des boucles avec un lecteur de mini-cassettes en court-circuit… En 78 on était aussi à fond dans Père Ubu, Devo… Pour nous, tout ça c’était la même chose ! Il n’y avait pas de barrières tant que c’était nouveau.
Si j’avais 20 balais aujourd’hui, je n’écouterais pas de rock. Ca tourne vachement en rond… Même si je suis pas vraiment au fait de ce qui se fait maintenant [Rires].


Inavalable est disponible ici.

Iris de Saint-Aubin d’Aubigny est vraiment fier de ne rien faire sur Noisey.