Je l’ai déjà raconté dans ces colonnes, j’ai un lourd passif avec Nintendo. Et si avant sa sortie, la Switch ne m’avait pas convaincu que notre relation allait s’améliorer, 5 minutes sur Arms en janvier dernier ont fait naître une lueur d’espoir à l’horizon. Sur le moment, je n’ai pas essayé d’analyser mon intuition. Je n’ai pas mis le doigt sur ce qui avait réussi à rendre cette micro expérience à ce point excitante, sinon, qu’à l’époque, un truc me semblait évident : j’avais secoué des manettes devant un écran et j’avais pris mon pied. À quoi tenait ce sentiment ?
Le motion gaming est une vieille marotte du jeu vidéo, qui remonte à 1981 et au « Stick » que Datasoft avait tenté d’adjoindre sans succès à l’Atari 2600. Il a fallu attendre 2006 pour que la Wii popularise ce système et le mette dans tous les foyers. Avec ses 9 millions de machines vendues dès la première année – et le spectre transgénérationnel du public touché – la Wii a profondément marqué l’industrie de son empreinte foireuse. Forts de ces conclusions, les analystes et responsables de labos de R&D se sont passés le mot : pour réussir à vendre des consoles en 2006, il fallait passer au motion gaming, quitte à ce que celui-ci soit prématuré, inadapté, bâclé… En effet, si agiter sa manette pour lancer une boule de bowling permettait aux silver gamers de passer des soirées animées, les joueurs un peu plus exigeants, eux, n’y trouvaient pas leur compte. Ainsi, les plus belles ambitions – de Red Steel à Mad World en passant par No More Heroes 2 – se sont évanouies sur l’autel de la Wiimote, et toutes les idées grandioses se sont finies à la manette.
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Il fallait encore que le jeu vous laisse l’occasion de reprendre votre bonne vieille manette à deux mains. Nintendo affirmait alors haut et fort que le futur serait « motion » ou ne serait pas, et on doutait alors que tous les jeux, même un peu anciens, puissent bénéficier de ce lifting salutaire. Il suffit d’avoir joué à Pikmin ou Okami (deux jeux ayant eu droit à des remakes en motion gaming) pour constater que non, il n’était pas possible de coller du mouvement partout. Okami aurait pu être kiffant si le joueur avait pu dessiner ses sorts correctement avec une Wiimote. Hélas, la technique était tellement boiteuse qu’elle transformait l’expérience de l’un des meilleurs jeux de sa génération en cauchemar à se taper la tête contre les murs. Pikmin, de son côté, n’a jamais souffert la comparaison avec son modèle manette. Pas de doute, ça ne marchait pas.
Pourtant, obnubilés par la perpective de croquer une part du gâteau, Microsoft et Sony ont décidé de se lancer à leur tour dans la course avec des outils qui ont été rapidement abandonnés par la suite, même s’ils ont pavé la voie de la réalité virtuelle – qui, à en croire cette navrante histoire commerciale, technologique et industrielle, n’aura sans doute pas une longue espérance de vie.
Si le Kinect de Microsoft a toujours eu un petit truc en plus, la tentative de Sony de se placer sur le marché du motion gaming a été une catastrophe en bonne et due forme. Au mieux, leur Playstation Eye et leur Playstation Move étaient nuls. Au pire, ils étaient l’incarnation de la vanité pitoyable du constructeur, tentant de se hisser à la hauteur d’une concurrence elle-même peu flamboyante. Résultat des courses : en 2011, quand Microsoft pouvait se targuer d’inspirer certains développeurs (salut le Kinect Fun Lab, impayable laboratoire d’improbabilité vidéoludique), Nintendo trimait pour redorer le blason de la Wiimote aux yeux de joueurs rapidement blasés par la manette moche et désagréable. Sony, quant à lui, tentait de faire croire à quelques enfants naïfs que l’Eye Pet en réalité augmentée aurait une vie longue et riche. RIP.
Déjà à l’époque, le dérisoire de la situation était évident : la communauté attendait de l’industrie qu’elle admette son erreur et enterre aussi vite que possible cette aberration vidéoludique qui avait vécu trop longtemps. Mais parce qu’on avait savamment monté la hype en sauce, après la Wii, le Kinect et le Playstation Eye, Microsoft s’était engagé dans la technologie jusqu’au cou. Faire marche arrière aurait été un terrible désaveu. Il fallait continuer à faire croire que toute cette entreprise n’avait pas été motivée par le désir de gratter autant de millions de dollars que Nintendo avec sa console démodée, ses expériences moisies et ses disques de démo à 5 balles.
Reconnaissons tout de même qu’au sommet de sa gloire, le motion gaming aura offert quelques grands moments aux joueurs. Pas sur la Wii, même si elle aura vaguement permis à quelques fans de Zelda de hurler de joie en brandissant l’épée légendaire de Link dans Skyward Sword. C’est bien sur Kinect que le motion gaming aura connu ses heures les plus flamboyantes grâce à des jeux qui bénéficiaient d’un atout majeur : le motion gaming servait un projet de jeu concret, sensé et cohérent, pas un vague concept glissé vite fait dans une boîte à idée accrochée à côté de la machine à café du QG de Microsoft. Child of Eden, Once Upon a Monster, Fantasia, Crossboard 7 (oui, j’aimais bien ce jeu) ou même Rise of Nightmares (survival boiteux, mais kiffant quand même) laissaient imaginer qu’il y avait bel et bien de quoi s’amuser en bougeant devant sa télé. Face à la version motion de Steel Battalion, ou Fighter Within – catastrophes atomiques – ces jeux permettaient de voir le bon côté de la médaille de bronze.
Des joueurs qui ne méritaient d’ailleurs peut-être pas d’être initiés au motion gaming puisque l’un des meilleurs jeux sortis sur Kinect – Dance Central – s’est fait voler la mise par l’un des plus nuls sortis sur Wii – Just Dance. Tandis que le premier prenait en compte l’intégralité du corps du joueur pour lui offrir des séances encore plus éreintantes qu’une session de cross fit, le second lui demandait simplement d’agiter une manette en suivant des chorégraphies débiles. Aujourd’hui, Just Dance est toujours un hit. Dance Central, lui, est retourné dans les cartons du studio Harmonix.
C’est peut-être grâce à ces années d’échecs et de déceptions qu’aujourd’hui, Arms arrive à se montrer convaincant. A l’instar des meilleurs motion games, c’est un jeu extrêmement bien conçu, et il est techniquement au point. Un argument qui demeure relatif du fait d’un gameplay qui mise, quoi qu’il arrive, sur une forme d’aléatoire. Mais qu’importe puisque les sensations, elles, sont là. Arms permet de passer une heure de franche rigolade à mimer des combattants armés de poings montés sur ressorts avant de ressasser une défaite amère ou de célébrer une victoire aussi éclatante qu’improbable. Ainsi, Arms arrive à rendre jouissive une partie de motion gaming à 1, 2, 3 ou 4. C’est d’autant plus inattendu qu’on le joue sur Switch, armé de ses fameux Joycon.
Contrairement à la Wii, la Switch est une invitation au gameplay modulaire qui permet d’arrêter de s’agiter quand on en a envie et d’attraper une manette un peu plus consistante qu’un « stick » grossièrement taillé et conçu. Quand bien même vous voudriez jouer à Arms assis, avec un Joycon dans les mains, le jeu serait toujours plus agréable qu’avec une Wiimote.
A force de jouer et d’y prendre du plaisir, debout ou assis, j’ai même fini par me demander si le Joycon n’était pas au cœur de la réussite de cette expérience, voire qu’il assurerait le succès futur de Nintendo sur le terrain du motion gaming. On peut reprocher à la nouvelle manette d’être un tantinet minimaliste quand l’heure est venue de cracher des carapaces sur Mario Kart. Cependant, elle est de loin l’accessoire le mieux pensé pour ce type de jeu : assez petite pour l’oublier, assez fournie en boutons de toutes sortes pour satisfaire un réac comme moi. J’ai beau regretter de devoir me déplacer en inclinant mes poignets dans Arms, je suis ravi de pouvoir sauter, dasher ou déclencher mes ultra aux boutons quand je me bastonne debout devant ma télé.
C’est précisément le gameplay hybride qui manquait à toutes les expériences de motion gaming précédentes – le PS Move de Sony aurait pu s’y prêter, mais aucun jeu convaincant n’est jamais sorti pour ce support – et que le Joycon permet enfin de concrétiser. La victoire est ainsi double pour la petite tablette qui devient, de fait, un compagnon de jeu privilégié et complice. Un sentiment que n’avait jamais fait naître la Wiimote, aussi joliment décorée fut-elle, ou le Kinect aux boutons absents.
Il aura fallu plus de 10 ans à Nintendo pour sortir une expérience de motion gaming digne des joueurs, fidèles à Nintendo, qui à la sortie de la Wii croyaient encore que le constructeur avait quelque chose à dire avant de déchanter complètement. Aujourd’hui, la victoire de Arms n’est pas celle du motion gaming (s’il meurt demain pour de bon, personne ne le pleurera, et Arms aura signé un très beau chant du cygne), mais celle de Nintendo, qui a réussi, en un jeu digne de son histoire, à convaincre ceux qui avaient décidé de quitter le navire que ceci n’était peut-être qu’une mauvaise passe. Une mauvaise passe un peu longue. Mais aussi, une mauvaise passe qui pourrait enfin appartenir au passé.