Un jour ils peuvent être en train de boire le champagne avec des mannequins et des acteurs hollywoodiens, et le lendemain se faire engueuler par des « rednecks » convaincus que Paris se trouve en Italie. La Belge Nina* (26 ans) et son copain Aaron* (38 ans) naviguent toute l’année comme capitaine et chef sur les yachts de luxe les plus opulents des Caraïbes et de la Méditerranée. Nous avons dû modifier les prénoms car leurs contrats stipulent que « ce qui se passe sur le yacht reste sur le yacht. » Et bien sûr, il va de soi que plus le bateau est gros, plus le blanchiment d’argent est important.
Aaron : Je travaille depuis environ douze ans sur des yachts en tant que matelot ou capitaine. J’ai parfois travaillé gratuitement, mais également pour 8 500 euros par mois. Et je ne suis pas obligé de payer d’impôts, car ces bateaux sont exempts d’impôt. Il y a environ un an, j’ai rencontré Nina dans un café de marin à Majorque.
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Nina : Je ne travaillais pas depuis longtemps dans ce petit monde. Aaron a été le premier à avoir quelque chose d’intéressant à dire. Après deux jours, j’ai emménagé avec lui. Depuis lors, nous travaillons parfois ensemble et parfois séparément. J’ai toujours grandi dans un restaurant et je voulais travailler sur un bateau. Je me suis donc inscrite comme chef à Majorque. En faisant la cuisine, j’ai gagné entre 3 000 et 8 000 euros par mois au cours de l’année écoulée. Mais ce dernier montant était une aberration car j’avais reçu deux pourboires incroyables : un de 1 500 euros et un de 2 000 euros. En plus, vous ne dépensez rien pendant votre séjour, car vous dormez et mangez sur le bateau. Pourtant, c’est tout sauf une vie de luxe. Vous travaillez parfois vingt heures par jour.
Aaron : Si vous avez de bonnes relations avec vos patrons, vous pouvez profiter de leur style de vie. Nous sommes donc allés rendre visite à une de mes boss à Monaco.
Nina : Elle nous a servi de la nourriture étoilée au guide Michelin et a ouvert une bouteille de champagne très chère.
Aaron : Quand je travaillais pour elle, c’était comme ça tous les jours. Je suis devenu allergique au champagne tellement j’en buvais. Mais avoir une si bonne relation avec son patron, ça peut vite devenir dangereux. Les membres de l’équipage se comportent alors comme si c’était eux les propriétaires du bateau.
Nina : C’est le syndrome du capitaine. De nombreux capitaines commencent à faire la fête, deviennent paresseux, perdent leur emploi et font faillite, car ils veulent vivre une vie qu’ils ne peuvent pas se payer.
« Certains propriétaires n’ont absolument rien contre les membres du personnel qui se droguent, car ils le font aussi et se fournissent même par l’intermédiaire de leur équipage. »
Aaron : En tant que membre de l’équipage, vous avez accès au style de vie d’une rock star. Si vous n’avez pas un mental en béton, il est très difficile de ne pas se laisser happer. Beaucoup de jeunes à bord en sortent avec des problèmes d’alcool ou de drogue. C’est parfois très fatigant, car les gens sont souvent défoncés quand vous travaillez avec eux. Vous n’êtes alors pas sûr de pouvoir compter sur eux. Dans les clubs et les cafés, je devais dire aux serveurs qu’ils n’étaient pas autorisés à servir des boissons à certaines personnes. J’ai conseillé à un ami d’aller en clinique de désintox. J’en ai même déposé un autre à l’aéroport et appelé ses parents pour les prévenir qu’il rentrait à la maison. Certains propriétaires n’ont absolument rien contre les membres du personnel qui se droguent, car ils le font aussi et se fournissent même par l’intermédiaire de leur équipage.
Nina: Mais l’utilisation des drogues varie en fonction du bateau. La plupart du temps, on fume de la weed sur les bateaux à voile, et les drogues festives sont plus souvent utilisées sur les bateaux à moteur. Les Américains pour qui nous avons récemment travaillé étaient vraiment constamment dans le cirage parce qu’ils prenaient énormément de médicaments. Ils pensaient d’ailleurs que Paris se trouvait en Italie et que vous pouviez prendre un train pour aller de la France à Majorque. Et ils ont aussi insinué que nous avions volé des draps de lit.
Aaron: C’était vraiment deux weirdos. Ils n’avaient aucune notion du temps ni de la distance, et ils pensaient même que la mer Méditerranée n’était pas plus grande que la carte sur leur iPhone. Ils faisaient ce tour uniquement pour pouvoir s’en vanter auprès des autres. Nous avons navigué sur quasiment l’ensemble des côtes espagnoles, françaises et italiennes, mais en général ils n’ont même pas quitté le bateau. Ils appelleraient alors leurs amis: « Nous sommes sur la côte amalfitaine, nous sommes à Capri ! »
Nina: Parfois, il vous arrive de croiser un visage familier. Une fois, j’ai travaillé pour une actrice britannique hollywoodienne qui était invitée sur une île privée à côté d’Ibiza. Cette île a été louée uniquement pour fêter son anniversaire. Elle était super sympa. Je peux vous dire que les PDG d’une marque de café que vous buvez sans doute tous les jours sont également des gens très gentils.
Aaron: La plupart des propriétaires de yachts ne sont pas des célébrités qu’on reconnaît facilement, mais plutôt ceux qui travaillent en coulisse. J’ai une fois bossé pour un homme d’affaires libanais bien connu et pour un propriétaire d’une énorme quantité de plates-formes pétrolières en Norvège, et aussi pour un Américain dont la famille possédait presque toutes les licences d’importation de bières étrangères aux États-Unis. Ces personnes sont incroyablement riches, mais elles ne sont pas célèbres, donc pas reconnaissables. Comme ce sont souvent des hommes et des femmes autodidactes, ils ne font pas trop de manières.
Nina: Même s’il y en a d’autres. Le propriétaire d’une marque de jeans américaine bien connue m’a un jour demandé de lui cuisiner un plat léger, alors j’ai préparé un curry avec une petite salade thaï bien fraîche. Il m’a dit: « Non, je ne mange pas de crème. » Je lui ai répondu qu’il n’y avait que du lait de coco et que c’était très léger. « Non, m’a-t-il encore répondu, je n’en veux pas, je veux du fromage. » Heureusement pour moi, j’étais allée au marché à Palma de Majorque ce matin-là. J’avais acheté des fromages locaux en prévision, car on n’est jamais sûre de rien avec ce genre de personne. Je lui fais donc une petite assiette de fromage avec des toasts moelleux, du miel, des truffes et de la confiture. Un truc hyper raffiné avec de très bons produits. Je me ramène avec ça et le type me renvoie encore. « Je ne veux que du fromage français. » Le lendemain, j’ai donc acheté les meilleurs fromages français, mais sans surprise, il n’a rien mangé.
Aaron: Un soir, nous avions réservé une table pour eux et leurs invités dans un restaurant hyper classe, le truc presque inaccessible. Même si on leur avait réservé la meilleure table, on a tout de suite vu à leurs têtes à travers nos jumelles que ce n’était pas suffisant. Ils ont immédiatement été parlementer avec le serveur.
Nina: Il y a également des propriétaires qui tiennent énormément à leur vie privée. Ils arrivent dans une voiture de luxe et sont aidés par un membre du personnel pour en sortir. Ensuite, on doit tous faire la queue pour les accueillir et les saluer. Après ça, tout le monde retourne à son poste. Il n’y aura plus aucun contact, ou alors très très distant.
« Les moins riches sont les plus audacieux. Ils ne savent pas comment se comporter dans un environnement six étoiles. »
Aaron: L’entourage d’un tel propriétaire, c’est un melting-pot de personnalités et de caractères différents. Une fois à bord, vous sentez immédiatement quelle est la hiérarchie parmi les invités. Les invités les plus riches savent qu’ils peuvent toujours tout avoir et c’est pourquoi ils ne sont pas toujours hyper demandeurs. Les moins riches sont les plus audacieux. Ils ne savent pas comment se comporter dans un environnement six étoiles. Ils dépassent les limites, ils deviennent impolis. Pour eux, des vacances comme ça sur un yacht, c’est une opportunité unique. Ils veulent en tirer le plus possible.
Sur ce genre de bateaux, ils se lâchent complètement. Un groupe de Russes pour qui je travaillais est revenu avec une bande de « copines » après une soirée à Ibiza. J’ai été les chercher dans le port et j’ai navigué vers une côte assez retirée, où ils ont débarqué pour continuer leur fête sans avoir à se soucier du bruit qu’ils faisaient. Le lendemain, j’ai dû larguer les prostituées rapidement sur le quai et les payer parce que mon patron avait oublié.
Habituellement, le capitaine reçoit une somme d’argent, disons 100 000 euros, qui est dépensée petit à petit tout au long du voyage. Je pense que beaucoup de propriétaires ne vérifient même pas les achats. Tant que l’argent continue de couler. Beaucoup de ces bateaux appartiennent à des sociétés offshore. Au lieu d’être taxées, ces entreprises transfèrent de l’argent dans leur deuxième entreprise : le yacht. Et tous ces yachts ne font que devenir de plus en plus imposants pour pouvoir blanchir tout cet argent. Les rentrées sont alors attribuées au bateau, mais cette activité ne génère bien sûr pas autant que sur le papier. Ce ne sont au final que de grosses machines à blanchir de l’argent.
*Les vrais noms sont connus de rédaction.
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