Nous, humains, nous faisons une fierté d’enterrer nos morts, espérant ainsi nous distinguer du commun des créatures qui mangent, défèquent, naissent et meurent au même endroit. Nous nous livrons ainsi à des rites funéraires très compliqués censés nous assurer une certaine dignité après le trépas, mais aussi avant : offrir une belle cérémonie funéraire à ses ancêtres s’assortit d’un certain prestige social.
Si nous nous félicitons de ne pas être des insectes nécrophages dégueulasses en achetant à papi un cercueil en acajou massif qui coûte trois mois de salaire, le fait est que les pratiques funéraires modernes font des ravages sur l’environnement. De nombreux fluides d’embaumement contiennent du formaldéhyde, un cancérigène reconnu. Les éléments métalliques intégrés aux cercueils ne sont pas biodégradables, et les pierres tombales en béton sont fabriquées à partir de ressources naturelles qui se raréfient. Enfin, les cimetières sont généralement entretenus à l’aide d’herbicides très agressifs.
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Fort heureusement, les enterrements plus simples, moins coûteux et plus écologiques sont à la mode, et l’industrie funéraire commence à changer ses pratiques. L’idée de planter un arbre au-dessus des restes d’un proche décédé est également en train de faire son chemin, puisqu’elle a le double avantage de situer précisément l’emplacement du corps dans l’espace, de composter l’être cher, et de verdir agréablement les lieux funéraires. Mais comment faire pour enfouir agréablement un cadavre si vous n’avez pas de jardin à disposition ? Pire : que se passera-t-il si le philodendron qui a poussé au-dessus de tante Marguerite ne passe pas l’hiver, vous privant ainsi du lien affectif et symbolique que vous aviez maintenu avec elle grâce à la plante ?
Pas d’inquiétude. Si la mort vous enlèvera un jour tous ceux que vous aimez, le marketing, lui, ne vous laissera pas tomber. L’entreprise Bios Urn, connue pour ses urnes biodégradables, a créé ce que son PDG Roger Moliné appelle “un pot de fleur intelligent” destiné à recueillir les cendres de toutes les tantines chéries du monde. Le Bios Incube – c’est son nom – est fait en matériaux recyclés et accueille un petit arbuste coriace qui peut vivre en intérieur en se nourrissant des nutriments qui permettaient autrefois à tante Marguerite de rire, vivre, marcher.
Alors oui, c’est un peu bizarre. Mais pour Moliné, c’est très sérieux : “Au lieu d’abandonner le corps des gens que vous aimez dans un cimetière, où vous ne les visiterez qu’une ou deux fois par an maximum avant de ne plus y aller du tout, ici, vous les gardez près de vous dans un lieu familier.”
L’Incube, qui exhibe un design sobre est élégant, est un appareil “intelligent” et connecté, qui vient fièrement rejoindre les rangs de l’Internet des objets. Un capteur placé dans la terre mesure l’exposition de la plante à la lumière, la température, l’humidité, la conductivité électrique. Le système comprend de lui-même de quelle quantité d’eau a besoin la plante à tel ou moment, et s’occupe de l’arrosage. Toutes ces données sont ensuite transférées sur votre téléphone via l’application Bios Urne.
“C’est extrêmement pratique”, déclare Elizabeth Rodriguez, 66 ans. Elle a pré-commandé l’Incube pour sa mère récemment décédée. “Quand nous voyageons, nous pouvons la laisser chez nous, pas besoin de l’arroser tous les jours. C’est l’idéal.”
Lorsque le père de Rodriguez est décédé, dix ans auparavant, l’épreuve a été terrible, explique-t-elle. Parce que le reste de sa famille habitait à Porto Rico, tandis qu’elle vivait en Californie, elle a dû prendre ses dispositions pour envoyer la dépouille à l’étranger. Quand sa mère est morte à son tour, elle a voulu essayer une nouvelle méthode pour rendre hommage à son enveloppe terrestre. L’Incube semblait être une solution pertinente, parce qu’elle n’avait pas accès à un espace vert privé.
“Je ne peux pas le planter dans un jardin, mais au moins, j’ai un patio”, explique-t-elle. “À chaque fois que je quitte la maison, je passe devant et je pense à ma mère.”
L’Incube coûte 450$, ce qui en fait une option bien moins onéreuse qu’un enterrement en bonne et due forme. Moliné et son frère Gerald (co-fondateur de l’entreprise) espèrent que plus le produit sera populaire, plus la technologie sur laquelle il repose pourra être améliorée.
“Grâce à nos données, on sait qu’il y a 300 Incubes en fonctionnement à Oakland, par exemple”, explique-t-il. “On sait également quelles espèces de plantes s’épanouissent le mieux sur un Incube.”
Elizabeth Rodriguez et son épouse refusent d’être enterrées après leur décès. “Nous ne savons pas ce que fera notre fille à ce moment, où elle en sera dans la vie. Pour elle, ce sera plus commode d’utiliser un Incube. C’est moins d’investissement, moins de soucis. Ça nous rassurerait.”
Les représentants de Bios Urn ne nous ont pas dit ce qu’il adviendrait de la plante funéraire en cas de coupure d’électricité, en l’absence de son propriétaire. Tant mieux, ne ne voulons pas y penser.