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Comment le métier de chef m’a rendu complètement accro au sexe

Ceci est le témoignage d’un ancien chef londonien de 33 ans, qui souhaite garder l’anonymat.

Dans le monde de la restauration, c’est connu, chaque cuisine est soumise à son propre micro-climat : l’air se concentre dans un brouillard humide et épais essentiellement composé d’un mélange de fumée, d’émanations de gras et de l’odeur âcre que rendent les vestes blanches imbibées de sueur. Quelle que soit la température extérieure, traverser une cuisine en plein milieu de service c’est comme prendre le métro l’été en pleine heure de pointe.

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J’appartiens à cette catégorie d’hommes chez qui les beaux jours et les premières chaleurs agissent comme une véritable madeleine de Proust. Je me soigne mais aujourd’hui comme à l’adolescence, la vision de toute cette chair féminine réveille en moi les instincts les plus lascifs. Mon sang ne fait qu’un tour à la vue de toutes ces jambes, ces clavicules et ces nuques de femmes enfin mises à nu.

Le bruit du tonnerre provoque chez certains une impression de froid qui descend tout le long de la colonne vertébrale. Chez moi, ce sont les fortes chaleurs qui déclenchent ce genre de sensations et avec elles, une excitation sexuelle soudaine. La transpiration, le rougissement de la peau, les gémissements las, il y a quelque chose de très animal dans la façon dont le corps réagit à la chaleur. Ça serait un peu abuser d’affirmer que je suis devenu accro au sexe — d’après mon propre diagnostic — uniquement à cause de cette ambiance hyperchaude qui régnait sur mon lieu de travail. Mais force est de constater qu’elle y a beaucoup contribué.

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Accro au sexe : c’est le mal qui me ronge. Avant de travailler dans la restauration, j’étais un étudiant en design studieux qui ne jurait que par la weed et les bouquins de chez McSweeney’s. Ma vie sexuelle était tout ce qu’il y a de plus normal ; J’entends par là que j’avais une sexualité saine, épanouie, parsemée de rapports sexuels plutôt fréquents avec des filles que j’aimais bien et que j’avais à cœur de satisfaire. Mais cette période de ma vie n’a pas duré longtemps. Bientôt, j’allais renoncer à l’idée de faire carrière dans le design pour me lancer à corps perdu dans une autre passion (qui me prenait beaucoup plus aux tripes) : la cuisine.

Je travaillais à cette époque seize heures par jour. Je me levais, je descendais deux expressos, je partais bosser, je rentrais chez moi tard le soir et m’endormais tout habillé. Six jours par semaine.

J’ai décroché mon premier boulot dans un restaurant très couru du quartier de Soho, à Londres. Et j’avais tout sauf le temps pour mater les serveuses. J’étais chef de partie, préposé au taillage des carottes — par cagettes — et à la préparation des carrés d’agneau — par plateaux entiers. Je travaillais à cette époque seize heures par jour. Je me levais, je descendais deux expressos, je partais bosser, je rentrais chez moi tard le soir et m’endormais tout habillé. Six jours par semaine. C’est à peine si je levais la tête pour parler aux autres membres de la brigade. Quant à ceux qui bossaient en salle, je ne leur ai jamais adressé la parole. Mon corps était poussé quotidiennement dans ses retranchements les plus extrêmes : à un certain stade, j’ai porté des gros pansements bleus sur chacun de mes dix doigts et une sale brûlure à la hanche laissait entrevoir ma chair. Mais malgré tout, j’aimais mon boulot. Travailler dans le monde de la restauration — et cerise sur le gâteau : être payé pour ça— c’était vivre mon rêve.

C’est quand j’ai commencé mon deuxième taff — jeune sous-chef dans un autre restaurant très en vogue de Londres — que les choses ont commencé à se gâter. Tous les chefs vous diront la même chose : tant que vous n’avez pas accumulé assez d’expérience pour pouvoir ouvrir votre propre restaurant et bosser aux horaires qui vous plaisent, vous n’aurez aucune vie. L’idée même d’envisager une relation amoureuse devient alors complètement débile. J’ai essayé, pendant un temps : je voyais mes copines en coup de vent, le soir après minuit ou juste pour quelques heures le week-end. Mais vous voyez à ce rythme, les relations ne tiennent pas. Alors, quand les rapports sexuels (ou n’importe quel type d’interaction humaine rapprochée) deviennent de plus en plus rares, vous commencez à envisager d’autres alternatives.

Je ne pense pas que c’est si bizarre d’affirmer que, en tant qu’homme, faire l’amour (régulièrement) est plus qu’une nécessité ; Une petite branlette sous la douche avant d’aller bosser ne fait plus l’affaire. J’ai besoin de sentir l’odeur des cheveux d’une femme, l’odeur de sa peau et de pouvoir imaginer tous les détails de son anatomie. Je ne prends aucun plaisir à me soulager tout seul.

C’est dans le contexte de ces longues heures de travail chaudes et humides que j’ai réalisé que je n’avais jamais eu autant envie de baiser de ma vie. En réaction, j’enchaînais les conquêtes parmi les serveuses. À la fin du service, je restais toujours au bar à raconter de la merde sur les clients un peu trop chiants avec les barmans et puis, de fil en aiguille, je me suis retrouvé à baiser régulièrement avec toutes les filles qui bossaient en salle. Non pas l’une après l’autre, mais toutes en même temps. La vérité c’est que tout le monde couchait avec tout le monde. D’ailleurs dans le restaurant où je bossais, les serveuses se sont tapées tous les membres de ma brigade, sans exception. Je leur tire mon chapeau.

Les règles qui encadraient les rapports sexuels entre les gens du restaurant étaient claires et respectées par tous : pas d’engagement ni de déclarations d’amour enflammées — mais la garantie d’un rapide coït chaud et torride à la fin du service, plus l’assurance de passer la nuit en bonne compagnie.

Ce schéma a perduré pendant quelques années. À chaque fois que j’arrivais dans un nouveau restaurant et que je commençais à grimper dans la hiérarchie, je me retrouvais systématiquement à coucher avec toutes les serveuses. En parallèle, mes pensées devenaient de plus en plus salaces. Quand une nouvelle fille débarquait, je l’accompagnais faire le tour du propriétaire, je l’observais et j’essayais d’imaginer ce qui l’excitait au pieu. Parfois, je verbalisais ces pensées avec les autres membres de la brigade. Croyez-moi, le genre de trucs qui se disent dans ces arrière-cuisines — surtout quand elles sont composées exclusivement d’hommes remontés à bloc — sont pour la plupart du temps épouvantables. C’est une surenchère permanente à qui sera le plus grossier, même si en vrai on n’assume pas la moitié de ce que l’on balance. C’est fantastique à observer.

Et puis un beau jour (ça faisait huit ans que je bossais dans le milieu), l’homme que j’étais devenu a fini par me dégoûter. Avec du recul je sais maintenant, malgré mes compétences et mon expérience, que j’avais peur de me lancer dans le grand bain en ouvrant mon propre restaurant ou en acceptant d’avoir plus de responsabilités. Et dieu sait que j’avais des propositions. J’ai même refusé un poste à la tête d’un deux étoiles servi sur un plateau. Pour quelle raison ? Parce que ma vie de tous les jours était confortable. J’aimais que ma vie se résume à embaucher le matin, n’avoir aucune relation amoureuse qui me raccroche à la réalité et en contrepartie baiser énormément.

J’étais pour ainsi dire complètement accro à ces putains de serveuses.

J’avais atteint le point de non-retour où je me comportais comme un gros obsédé sexuel. Je lançais des remarques salaces aux serveuses, chose que je n’aurais jamais osée auparavant et je matais leurs seins et leurs culs comme un gros lourd quand elles passaient devant moi dans le restaurant. Je priais pour que nos mains s’effleurent quand elles venaient chercher les assiettes sur le passe-plat. C’était devenu aussi ridicule que ça.

J’ai été élevé par des femmes dans une famille où la figure du « mâle » à proprement parler n’existait pas. Mon père, un musicien itinérant blasé, s’est barré quand on était super-jeunes. Ma mère et mes deux sœurs aînées m’ont inculqué de sérieuses notions de respect envers les femmes. Du point de vue de l’éducation, aucun signe avant-coureur ne laissait donc présager de cette relation particulière que j’allais entretenir avec les femmes à l’âge adulte. Je n’ai jamais vu mon père se comporter mal avec ma mère ou même n’importe quel homme se comporter mal avec n’importe quelle femme en général. En fait, je n’avais jamais vu de mecs se comporter tout court.

Encore une fois, il serait trop facile de dire que je suis devenu accro au cul (ne nous voilons pas la face, c’est bien de cela dont il s’agit) uniquement parce que j’ai exercé le métier de chef. J’ai évidemment tout un tas d’autres problèmes de type « peur de l’engagement » et « peur de l’attachement » qui viennent peser dans la balance et sur lesquels je travaille avec le psy que je vois actuellement. Mais d’un point de vue purement chronologique, mon environnement de travail a clairement contribué à révéler le pire qui était en moi.

Les seules relations que j’avais se déroulaient dans une semi-obscurité et uniquement avec des femmes qui partageaient le même délire du « Je-veux-juste-tirer-un-coup-rapidos. »

Une fois le rideau du restaurant baissé, la vie de chef me permettait de me livrer à des moments d’intimité prompts à assouvir mes besoins physiques. Ces moments me confortaient dans l’idée qu’il n’était pas possible pour moi de vivre autrement, que c’était ce que j’avais envie de faire, que j’étais doué pour ça et que je devais en profiter au maximum. Mais au final, les seules relations que j’avais se déroulaient dans une semi-obscurité et uniquement avec des femmes qui partageaient le même délire du « Je-veux-juste-tirer-un-coup-rapidos. » Je pensais que c’était OK, mais évidemment, ça ne l’était pas. Je crois que c’était la façon que j’avais trouvée pour refouler cette peur terrible que j’ai toujours eu d’être abandonné.

J’ai démissionné de mon poste de chef de cuisine au début de l’année dernière après m’être enfin décidé à aller consulter un psy. J’y suis allé sur les conseils d’une fille que j’avais vaguement essayé d’embobiner en faisant usage de ma routine habituelle ridicule. J’ai pris énormément sur moi et puis un jour, entre deux services, j’ai sauté dans le premier métro et je suis allé voir un mec dans le nord de Londres qui m’a confirmé noir sur blanc que le comportement que j’avais était vraiment malsain. Selon lui, j’ai besoin de trouver quelqu’un capable d’assouvir mes « pulsions sexuelles » tout en m’apportant de la stabilité, de la douceur, de l’affection, de la complicité, ce genre de choses. Jusqu’à présent, je m’étais convaincu que cela ne pouvait pas exister.

J’ai pris conscience à quel point pendant tout ce temps j’avais agi comme un petit adolescent mal dans sa peau, obsédé par le cul et incapable d’exercer le moindre contrôle sur sa bite. Aujourd’hui j’essaie de reprendre le cours d’une vie normale : je fais un peu de graphisme en freelance et je suis retourné voir un psy qui m’aide à contenir mon côté « je suis excité en permanence et j’ai tout le temps envie de baiser. » Car quand je rencontrais la femme de ma vie, je veux être capable de pouvoir m’engager entièrement.