On ne pourra pas dire qu’on ne l’avait pas vue venir, cette épidémie de COVID-19 qui avançait comme une vague menaçante sur la carte du monde derrière un·e présentateur·ice relativement détaché·e. On la voyait venir mais on ne s’en souciait pas vraiment. Difficile, absurde même dans un premier temps, d’imaginer que ça nous arriverait, à nous aussi, les images de rues désertes, d’hôpitaux surmenés, de montagnes de PQ et de supermarchés dévalisés. Ça fait maintenant une semaine que nous sommes tou·tes assigné·es à résidence, comme une grande partie de la planète. Une semaine de confinement et déjà, on navigue dans un florilège de marches à suivre et de tutoriels good mood pour qu’il se passe au mieux. Moins d’une semaine et déjà, j’éprouve l’horrible impression et la culpabilité tenace d’avoir plus ou moins raté le mien.
Ça aurait pu bien se passer. Si on laisse de côté le fait que les fractures habituelles de la société se trouvent indéniablement exacerbées par cette quarantaine forcée, on aurait pu se dire qu’on avait enfin la possibilité de profiter sereinement dans notre canapé, fagoté·e n’importe comment en regardant le plafond tout en s’envoyant sans le moindre effort des torrents de chips dans le gosier. Mais dans le monde du confinement privilégié qu’est le mien, est très (trop ?) vite apparue la monstrueuse propagande de la quarantaine « efficace », présentée comme la seule issue possible. Et je suis sidérée de voir à quel point cette notion de « rester chez soi » stimule une toute nouvelle forme de pression sociale, dont, pour être honnête, on se passerait bien. Sérieusement, c’est déjà assez difficile comme ça, non ?
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« Regardez comme mon confinement est mieux que le vôtre » est le nouveau « regardez comme ma vie est mieux que la vôtre ».
Quand je scrolle sur mon téléphone, vautrée dans mon lit ou tout autre espace moelleux et confortable, j’en arrive même à me sentir coupable. Coupable de ne pas tirer le meilleur de cette période de quarantaine. De ne pas la romantiser, de ne pas tenir un mielleux journal du confinement dont tout le monde se fout, de ne pas me mettre à étudier mon permis de conduire, de ne pas me lancer dans de tristes séances des gym acrobatique ou des cours de yoga derrière l’écran de mon ordinateur, de ne pas ranger ma cave, de ne pas aller courir 1h par jour, de ne pas faire des vidéos comiques, de ne pas me cultiver, de ne pas essayer d’arrêter de fumer, de ne pas me lancer dans un grand projet personnel, de ne pas me mettre à l’aquarelle, à la céramique ou au scrapbooking. Coupable de passer mes journées à jouer au Solitaire, manger du chocolat, fumer à la chaîne et rester hébétée devant le 13h, comme devant un accident de la route qu’on ne peut s’empêcher de regarder même si on n’a pas vraiment envie de voir.
Ces « spécialistes » qui envahissent les réseaux sociaux en proposant des activités, des astuces, des playlists sur mesure, des apps de personal training ou des recettes détox ne font qu’accroître l’angoisse que le virus et ses statistiques continuent jour après jour de propager en moi. La croix sur mon cercueil reste les « programmes types d’une journée de confinement réussie », rédigés de main de maître par des entrepreneuses hyperactives ou des papas influenceurs zen. Oh god, apparemment, ne rien faire, dans le sens le plus pur du terme, c’est socialement interdit, en fait. Ne pas gérer son confinement comme un·e pro aussi. Et s’ennuyer tranquille, ah ça non, surtout pas de ça ici. Non, il faut se trouver un créneau, une nouvelle passion, bien la taffer et surtout montrer le résultat à l’ensemble de la population, jour après jour.
Y a-t-il meilleure façon de nous plonger encore un peu plus profond dans les abîmes de la déprime, nous les fainéant·es, les végétatif·ves, les vers de canapé ?
« Regardez comme mon confinement est mieux que le vôtre » est le nouveau « regardez comme ma vie est mieux que la vôtre ». Ma main à couper que les photos avant/après vont envahir les réseaux sociaux quand tout ça sera derrière nous, à coup d’hashtags #confinementglow. D’ailleurs, vers quel nouveau monde post-quarantaine se dirige-t-on à toute allure ? Un monde où votre pote vous dira qu’iel « a renoué avec son vrai soi » comme s’iel revenait d’un trip chamanique, un monde où les parcs se retrouveront envahis de joyeux·ses joggers et de couples rieurs tout droit sortis d’une publicité pour compléments vitaminés ?
Y a-t-il meilleure façon de nous plonger encore un peu plus profond dans les abîmes de la déprime, nous les fainéant·es, les végétatif·ves, les vers de canapé ? Toute la presse répond en cœur que oui, on peut faire encore mieux, à coup de « comment ne pas prendre 10 kilos en confinement », « 3 étapes pour sauver son couple de la quarantaine », « doit-on passer tout son confinement en jogging ? » Hé les happy confiné·es, et quoi si je prends 5 kilos ? Et quoi si j’en perds 7 ? Et quoi si en juillet je ne ressemble toujours à rien ? Et quoi si je prends le soin d’enfiler un jeans ou si je décide de passer mon confinement à poil ? Et quoi si mon couple prend un petit coup sur la tête ? Ce n’est pas parce que je ne peux plus sortir de chez moi que j’ai fatalement envie de faire du sport comme une athlète olympique, de baiser plus pour soulager les tensions sentimentales inhérentes à la proximité forcée, de faire des efforts pour tenter de parvenir à un idéal de super-moi formaté par une presse qui s’ennuie et ne le supporte pas.
Le confinement n’est pas une course, ni un concours, encore moins le Club Med ; c’est juste une obligation de réduire ses contacts sociaux au strict minimum. Lâchez-nous la grappe. Les injonctions quotidiennes à la discipline, à la restriction et à la maîtrise de soi sont déjà assez envahissantes comme ça en temps normal, pas besoin de rajouter un culte de la performance ès confinement sur le tas.
Le confinement n’est pas une course, ni un concours, encore moins le Club Med ; c’est juste une obligation de réduire ses contacts sociaux au strict minimum. Lâchez-nous la grappe.
Pour les chanceux·ses dont je fais partie, celleux qui possèdent le luxe de décider de la forme que prend leur confinement, franchement, on n’a pas le droit de se laisser aller sans se faire constamment rappeler à l’ordre ? D’expérimenter la pleine mesure de l’ennui ? De penser à tout ça, ou de ne penser à rien ? De vider des paquets de bonbons et de laisser traîner la vaisselle sale ? De trouver le temps long ? De continuer à vivre sans ambition ? De rester perdu·e dans notre esprit, notre corps, notre sexualité ? D’accepter la peur des journées à venir, le doute et les coups de blues ?
Au final, est-ce qu’on a vraiment besoin de faire du confinement un camp d’entraînement duquel chaque être humain ressortira en une super version de lui-même ? Je ne pense pas. Mais peu partagent mon avis, visiblement.
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