Quand la dépression vous éloigne de vos amis
Illustrations d'Ashley Goodall

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Santé

Quand la dépression vous éloigne de vos amis

Dépressif depuis des années, j'ai beaucoup de mal à ne pas me sentir coupable lorsque je fais subir les pires tourments à mes proches.

La dépression vous prendra tout. Votre temps, vos pensées, votre amour-propre. Avant toute chose, elle vous prendra aussi vos amis.

À l'inverse du suicide – franc, brutal, sonore – la dépression agit lentement, dans un vrombissement indolent. Les gens oublient très souvent ce que peut être une longue descente aux enfers. Les amis ne savent plus comment interagir socialement avec un être dépressif et épuisant, en particulier si son mal-être s'éternise.

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En ce qui me concerne, l'alliance entre mon trouble de la personnalité borderline et ma dépression équivaut à une capsule de cyanure soluble que je conserve précieusement entre mes dents à chaque fois que j'entame une relation sociale. Logiquement, au fil des semaines, cette dernière va fondre pour libérer toute sa toxicité.

Je comprends mes amis. Je comprends les gens de mon entourage qui décident de rompre les liens avec quelqu'un qui n'est jamais de bonne humeur et qui semble se complaire dans son égocentrisme, son imprévisibilité. Il est d'autant plus facile de couper les ponts avec un ami lorsque ce dernier a cessé de vous parler en premier.

Je connais l'histoire suivante par cœur – sans doute parce que je n'en suis pas le protagoniste. L'un de mes meilleurs amis – un écrivain talentueux, un mec génial – a commencé à se renfermer sur lui-même. Il a supprimé tous ses amis sur Facebook, a arrêté de répondre aux messages et aux appels puis s'est mis à vivre en ermite. Nous savions tous qu'il se passait quelque chose. Mes potes n'arrêtaient pas de m'envoyer des messages : « Tu as vu X ? Est-ce que X va bien ? On devrait aller voir X. »

Aucun d'entre nous n'est allé voir X. C'était il y a deux ans. Depuis, personne n'a reparlé ou revu X. Il n'est pas mort, mais il est parti. Il vit reclus dans les méandres de son esprit.

L'année dernière, j'ai replongé dans ma dépression et ai commencé à imiter ce comportement. En gros, je me suis isolé de tout le monde. En six mois, j'ai perdu autant d'amis qu'en une vie entière.

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Une telle hibernation n'est pas forcément volontaire. Lorsque votre esprit se sent faible et que vos journées ne sont qu'une répétition incessante d'inactions et de pensées désespérées, il devient difficile de trouver la force de vous lever pour assister au concert d'un ami, prendre un café ou même répondre à un message. La maladie est si sournoise qu'elle parvient à vous convaincre de votre méchanceté. Au final, vous en venez à vous dire que l'éloignement est une bonne chose pour vos amis.

Vous vous plongez dans un mutisme de peur que vos gémissements internes ruinent la bonne humeur des autres.

Les dépressifs portent leur culpabilité comme un fardeau. La dépression est un cataclysme, une enclume qui vous écrase et emporte au passage la plupart de vos relations sociales. Vos proches – auparavant remplis d'entrain et de bienveillance à votre égard – sont peu à peu lessivés, érodés jusqu'à devenir aussi lisses et insensibles qu'un galet de bord de mer. Personne ne veut donner de l'amour à une personne incapable d'en rendre.

J'ai déjà dit à des potes que leur présence me filait la gerbe, à mes parents que mon cerveau était malade de par leur faute, et à la personne que j'aimais que je lui avais fait perdre son temps – tous se sont sentis coupables.

Illustrations d'Ashley Goodall

Je n'ai jamais su remercier proprement les gens. J'ai senti à de nombreuses reprises ma langue enfler et chanceler lorsque j'essayais de lâcher un simple « merci ».

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En effet, il m'est difficile de dire à ma copine que sa présence à mes côtés pour regarder des dessins animés toute la journée me permet de rester en vie – ça a tendance à alourdir quelque peu la conversation.

Mes médecins et mes psys m'ont toujours dit de demander de l'aide lorsque j'étais au fond du gouffre. Le problème, c'est que cette méthode ne marche pas si c'est votre culpabilité qui régit l'ensemble des décisions importantes de votre existence.

La dépression en tant que telle ne fait jamais disparaître un individu. Non, ce qui fait disparaître un être dépressif, c'est la solitude qui le gagne peu à peu, au fur et à mesure que ses amis s'éloignent.

Nous devons accepter une chose : le malade n'est jamais coupable, pas plus que ses amis. C'est à la dépression que nous devons réserver notre mépris.

Patrick est sur Twitter.