« Des sneakers comme Jay-Z » : l’expo qui rend aux migrants leur humanité

Un jour, un jeune Afghan s’est présenté au centre de la Chapelle, la fameuse « bulle” gérée par l’association Emmaüs et qui a été dégonflée en avril dernier, après avoir accueilli près plus de 25 000 migrants enregistré 60 000 passages d’exilés en 18 mois d’existence. Ce jeune homme, qui avait marché sans relâche depuis des mois, avait besoin de chaussures. À la boutique, il a demandé s’il y avait des baskets – des « pas trop moches », genre des « sneakers, comme celle de Jay-Z ».

C’est de là qu’est née l’exposition photographique baptisée « Des sneakers comme Jay-Z ». Car cette anecdote a conduit les bénévoles à s’interroger sur la fonction sociale du vêtement pour les réfugiés – et surtout à leur poser, à eux, la question. Dans les caisses remplies de chaussures, de pulls, de manteaux, ils choisissent ce qui est à leur taille mais, aussi, ce qui leur plait.

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Une couleur qui évoque la famille ou la terre natale, un duffle-coat qui permet de se sentir sur « un pied d’égalité » avec ceux qu’ils croisent dans la rue ou, tout simplement, une casquette « trop swag » : les raisons qui les ont conduits à choisir ce vêtement-là plutôt qu’un autre en disent long sur leur histoire, leur personnalité, leur individualité. Et c’est bouleversant.

Les photographes Frédéric Delangle et Ambroise Tézenas les ont immortalisés avec la veste ou le pantalon de leur choix – à cet instant où ils se sont trouvés beaux.

D’abord accrochées sur les murs du centre de la Chapelle, ces images – et les témoignages qui les accompagnent – seront exposés tout l’été à l’occasion du festival photographique des Rencontres d’Arles.

En exclusivité, Vice vous en dévoile une sélection, ainsi qu’une teaser revenant sur la genèse de ce projet exceptionnel.

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IBRAHIM

« J’ai 18 ans et je suis guinéen.

Mes autres habits, ce sont mes amis qui me les ont donnés. Je n’ai rien, moi. J’aime le noir. Ce sweat-shirt noir. Dans la rue, on n’est pas bien habillé. Je suis entré vendredi ici, j’étais dans la rue. Je n’ai rien d’autre que ce que j’ai sur moi. »

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IBRAHIM

« J’ai 23 ans. Je viens de Côte d’Ivoire.

J’ai choisi ce manteau noir car le noir se marie avec tout. Et cela symbolise aussi mes origines. Je suis africain. J’ai la peau noire et j’aime tout ce qui est noir. Avec les rumeurs qui courent et avec l’immigration, c’est important de savoir que, Blanc ou Noir, on forme une famille avec la France. En tant que réfugié, il est très important de bien s’habiller car un adage dit : « “Il vaut mieux plaire que faire pitié.” »

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HAROUN

« J’ai 24 ans et je viens du Tchad.

Ce manteau, ce jean… c’est comme ça que j’aime m’habiller, c’est mon style. Si on m’avait donné 5000 francs, j’aurais acheté ces habits ! Au Tchad, je m’habillais comme ça, sauf le manteau, à cause du climat. Ici, les gens s’habillent de la même façon, et pourtant, de manière différente de mon pays. C’est difficile à expliquer, mais c’est différent. Avec ce manteau, je me sens sur un pied d’égalité. Et je veux être bien habillé pour trouver du travail, ou étudier ! Quand tu viens chez quelqu’un, je trouve que c’est normal de t’adapter à la manière dont il vit. »

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IDRISS

« J’ai 20 ans et je viens de Côte d’Ivoire.

Déjà, j’ai choisi des vêtements noirs car j’adore les couleurs foncées genre noir, bleu, rouge. Les vêtements sont moins salissants et tu restes bien présenté. Ma marque préférée, c’est Nike ! C’est une marque que tout le monde aime. Sinon, mon modèle en termes de style, c’est Fally Ipupa. Il s’habille bien. Et puis il y a Abou Nidal, qui est un chanteur ivoirien… Il s’habille très bien aussi. Vous le connaissez ?

Si mes amis me voyaient là, ils diraient que j’ai repris mes habitudes de bien m’habiller et ça va les rassurer. Et si tu es bien habillé, tu es plus respecté, plus en sécurité. Vous savez, j’ai tout laissé derrière moi, on m’a tout pris, y compris mes papiers, mon diplôme, mes habits, mes chaussures, mon extrait de naissance. »

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LASSANE

« J’ai 19 ans et je viens de Gambie.

J’adore le noir, et j’ai choisi ce pantalon de jogging parce que Nike est ma marque préférée. La façon dont je suis habillé là me permet d’aller à n’importe quel rendez-vous.

En Gambie, je portais déjà des vêtements Nike, des originaux, importés d’Angleterre. Mais on peut trouver la seconde classe copiée en Afrique et la première classe, ce sont des originaux. On voit bien la différence. Mais c’est normal d’être bien habillé, si tu veux être respecté, c’est bien. Chris Brown, par exemple, il a le swag. Nous sommes tous humains et ce que l’on te donne, à toi réfugié, tu dois être heureux de le porter. »

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WAQAR

« J’ai 23 ans. Je viens d’Afghanistan.

Maintenant que je suis ici, je porte des jeans, des T-shirts. Je dois m’adapter à la culture. À Kaboul, on s’habille comme ici, si on travaille dans un bureau, on s’habille avec des jeans, des pantalons classiques. À Kaboul, quelques filles portent des jeans, mais très peu. 99 % des filles portent des vêtements traditionnels, notamment parce qu’elles n’ont pas la même éducation, vont moins sur internet et donc ne connaissent pas la mode globalisée.

À Kaboul, la situation est quand même meilleure que dans les campagnes. Le pays n’est pas bien équipé en réseau électrique, internet, téléphone mobile. Nous n’avons pas toujours accès à l’information. Internet peut te permettre de porter certains vêtements, mais pas les Talibans. Si tu les portes, ils te tapent. Si tu portes un jean, ils t’envoient une lettre et te demandent de cesser de porter ces vêtements. Si tu les portes une deuxième fois, tout est possible, y compris le pire. Tu ne sais d’ailleurs pas exactement qui travaille pour les Talibans, ça peut être tes voisins, mais tu ne le sais pas. »

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ABOUBACAR

« J’ai 21 ans. Je viens de Guinée-Conakry.

Je n’ai plus de vêtements, car ce matin, la police a mis du gaz dans ma tente puis l’a lacérée. Je me suis enfui et je n’ai rien retrouvé à mon retour. Là, j’ai choisi un pantalon beige-kaki qui est ma couleur préférée. C’est une couleur unique. Être à la mode, c’est attirer les gens autour de vous et donner une bonne image de vous. La mode traditionnelle en Guinée est très colorée, avec des couleurs électriques dans les motifs. La chemise n’est pas notre culture. Il y a par exemple les sarouels et les tuniques.

Mais la mode traditionnelle en Guinée est plutôt pour les anciens. Faut pas se mentir, je ne suis pas tellement dans les habits traditionnels. Il y a des occasions où il faut porter ça : des fêtes, et ça fait du bien quand même. Mais ici, nous voulons vivre comme tout le monde. Mon idée, ce n’est pas d’offenser quelqu’un, je suis venu pour chercher à être dans la norme, je ne veux pas de problème. C’est pourquoi j’ai dit que j’avais peur des images. »

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SHARIF

« J’ai 24 ans. Je viens d’Afghanistan.

C’est dommage, mais le seul pantalon qui était à ma taille avait des poches qui étaient trop petites pour y mettre mon téléphone, mes papiers, etc. C’est important d’avoir des poches pour avoir les mains libres. Si on est mal habillé, un pantalon et une veste moche, tout le monde vous regarde. Les gens pensent qu’on est juste un réfugié. J’ai choisi des couleurs sombres moins salissantes car le problème ici est de laver ses affaires.

Les chaussures sont très importantes, aussi. Et surtout quand il fait très froid. J’ai des chaussures, mais elles sont percées, donc quand il pleut, je porte des tongs en plastique… »

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BILAL

« J’ai 24 ans. Je viens d’Afghanistan.

J’ai dormi dans le froid, sous la neige, mais maintenant ça va mieux. Nous les Afghans, on aime les Américains, les Français, les Allemands, les Bulgares, et eux, ils portent des vestes et des jeans… Mais les Talibans ne nous laissent pas porter ce que l’on veut. Si on est en jeans, ils nous disent qu’ils vont tous nous tuer. De nouveaux vêtements, c’est une nouvelle vie. »