À mesure que les années passent, de plus en plus de membres de la communauté LGBTQ révèlent être frustrés par ce que représente désormais la Gay Pride de Londres. En 2015, de grandes compagnies comme Citibank, Barclays et Starbucks ont été poussées au premier plan de la parade, tandis que les syndicats ont été relégués au second. La même année, l’UKIP a été convié à participer, malgré une homophobie profondément enracinée au sein du parti.
Énervés par la présence d’un parti politique qui a voulu interdire l’entrée sur le territoire britannique aux migrants séropositifs, le militant de gauche Dan Glass et d’autres membres de la communauté LGBTQ se sont révoltés. Vêtus de vestes noires et de boas à plumes multicolores, ils ont organisé un faux cortège funèbre symbolisant la mort de la Gay Pride, et ont transporté un cercueil à travers la parade.
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Parallèlement, depuis 2016, la Gay Pride s’est militarisée en invitant la société de défense BAE Systems, qui sponsorisait l’événement, tandis que la Royal Air Force effectuait une démonstration dans les airs – ce qui, compte tenu des antécédents entre l’armée et les droits des homosexuels, n’allait pas de soi. Afin de s’opposer à cette militarisation, Dan et quelques amis ont formé le collectif No Pride in War.
Dan m’a expliqué à quel moment, selon lui, la Gay Pride avait tourné au désastre.
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VICE : Selon toi, pourquoi la Gay Pride est-elle devenue aussi commerciale ?
Dan Glass : Vous savez, aujourd’hui, Londres ne possède aucun espace queer ; nous les avons perdus face à des promoteurs immobiliers au service de l’élite internationale. Il n’y a pas un seul bar lesbien, ce qui est ridicule pour une métropole aussi vaste et libérale. Nous devons continuer de protester.
Mais surtout, la Gay Pride est l’exemple microcosmique d’une vaste politique économique qui régit la Grande-Bretagne. Le conseil d’administration de la Gay Pride de Londres est composé d’hommes d’affaires qui ont peu de liens avec la communauté queer.
Selon toi, cette marchandisation contredit directement les droits LGBTQ.
Absolument. La plupart des institutions qui sponsorisent la Gay Pride ne paient pas d’impôts [un certain nombre de sponsors n’ont payé aucun impôt des sociétés au Royaume-Uni, ndlr], ce qui affecte directement les personnes LGBTQ. Les jeunes queers sont quatre fois plus susceptibles de souffrir d’une maladie mentale, mais PACE – le groupe de santé mentale LGBTQ – a fermé ses portes en raison d’un sous-financement. De même que Rainbow, le réseau d’entraide pour les victimes de violence conjugale LGBTQ. 25 % des jeunes sans-abri sont queers, au passage.
Le fabricant d’armes BAE Systems, qui était présent à la Gay Pride en 2016, se fait de l’argent sur la mort des personnes homosexuelles. Pfizer est l’une des sociétés pharmaceutiques les plus riches au monde et profite financièrement des difficultés du système de santé britannique et de la crise du sida. Même si leurs actions exposent les personnes LGBTQ à des risques, ils ont désormais leur logo à la Gay Pride.
Pourquoi les LGBTQ n’ont-ils pas plus fortement protesté ?
La communauté LGBTQ a une faible estime d’elle-même à cause de plusieurs siècles d’homophobie spirituelle, institutionnelle, juridique, religieuse, biologique et éducative. Nous sommes facilement achetés, parce que nous voulons être aimés. Mais nous devons avoir plus de dignité.
Que dirais-tu aux gens qui considèrent l’incorporation de la culture queer dans le courant mainstream comme un signe d’égalité ?
J’entends tout le temps : « Oh, regarde les employés de Barclays, n’est-il pas fabuleux qu’ils puissent participer à la Gay Pride ? » Comment le dire de façon articulée… On nous mène en bateau. Ces sociétés ne se soucient pas de nous ; elles veulent nous utiliser pour paraître éthiques.
Quiconque connaît un peu l’histoire queer sait que les flics ne sont pas nos amis. Ce sont eux qui nous ont emprisonnés, tués, lobotomisés.
Si tu es contre le parrainage d’entreprises, comment comptes-tu financer la Gay Pride ?
Les gens disent : « Nous sommes en pleine austérité, où allez-vous trouver l’argent ? », mais c’est une question de volonté politique. L’autorité en charge du projet du Grand Londres gaspille je ne sais combien de millions pour construire un putain de pont-jardin sur la Tamise et offre des exonérations d’impôts aux grandes entreprises, alors qu’elle pourrait financer des événements communautaires pour les personnes marginalisées – c’est un choix.
Que réponds-tu à ceux qui estiment que la Gay Pride est une question de plaisir et non de protestation ?
On me dit souvent que je suis rabat-joie et que je ne sais pas m’amuser. C’est pourtant faux… S’ils me connaissaient, ils le sauraient. On me dit aussi que j’ai beaucoup de chance car je ne suis pas migrant ou sans-abri. Les grandes entreprises qui esquivent les impôts n’affectent pas seulement les « gays A » – les mâles blancs, riches et cisgenres – mais tous les gays. En ce qui concerne les droits des homosexuels, aucun d’entre nous ne sera libre tant que nous ne le serons pas tous. La vidéo promotionnelle de la Gay Pride de l’année dernière était intitulée « sans filtre ». C’est la chose la plus insipide que j’aie jamais vue, et cette année, le thème est « l’amour est là ». Ça a l’air d’être une bonne idée, mais ça n’en est pas une. En revanche, l’homophobie croissante et le fascisme sont bel et bien là.
Qu’est-ce qui t’as le plus indigné lors de la Gay Pride de l’année dernière ?
Pour moi, elle était coincée entre la police, l’armée et Tesco. Comment cela a-t-il pu arriver ? Quiconque connaît un peu l’histoire queer sait que les flics ne sont pas nos amis. Ce sont eux qui nous ont emprisonnés, tués, lobotomisés. Et puis Tesco, vraiment ? Est-ce que la communauté queer va s’émanciper grâce à des sandwichs de merde ?
Y avait-il tout de même des choses positives ?
Lorsque nous avons réussi à nous débarrasser de l’UKIP et de BAE Systems, je me suis rendu compte que les protestations fonctionnaient. L’idée de transporter le cercueil à l’avant de la marche était brillante. Les gens se mobilisent et, progressivement, la Gay Pride retrouve son passé radical. Le plus difficile est de défier sa propre communauté, mais la communauté LGBTQ doit vraiment résister au marketing des banques et des supermarchés.
Merci, Dan.