Avec un nom comme Forest Boys, on s’imaginait qu’on aurait affaire à une bande de joyeux bûcherons. Même s’ils n’en sont pas (vraiment), un mardi après-midi, alors que le ciel grisonne et que de la pop commerciale rugit des enceintes d’un bar de karaoké dans le Village gai de Montréal, les gars de Forest Boys sortent clairement du lot des habitués attablés au bar.
S’ils ne sont pas encore connus du grand public, ils viennent quand même de passer la journée à enchaîner des entrevues radio, pour la presse et même la télé, avec un passage à Salut, Bonjour!. Pas mal comme tournée de presse pour BOYS Like Having Fun, le premier EP d’un groupe soul-pop qui n’existe que depuis moins de deux ans.
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Assis autour d’une table, sur une banquette tout au fond, les trois gars n’ont même pas tout à fait l’air du genre de groupe d’amis qu’on aurait placés ensemble. Antoine, le saxophoniste et pianiste a une aura qui permet de faire l’association avec le nom du groupe, étant lui-même un voyageur planteur d’arbres. Yuri, le percussionniste, avec sa longue barbe, sa casquette et son chandail « I ❤ New York », fait clairement office de représentant du hip-hop dans le groupe, alors que, même de loin, il ne fait aucun doute que le chanteur et guitariste, Julien, avec son chandail fluide et ses yeux perçants, est manifestement le frère d’Hubert. Les deux autres membres du groupe étaient absents : Rémy à la batterie et Félix à la basse.
S’ils ont tous l’air assez différents, les membres du groupe de Québec ont une chimie indéniable, acquise entre autres lors de longues nuits passées à jammer ensemble. « On se connaît tous depuis pas mal d’années, explique Antoine. Julien et Rémy avaient leur band, The Seasons, et moi, je plantais des arbres et j’habitais avec Félix. » Yuri, lui, gravitait depuis un certain temps autour du groupe d’amis, étant roadie et percussionniste occasionnel pour The Seasons, le groupe que forment Rémy et Julien, avec le frère de ce dernier, Hubert Lenoir, qui connaît désormais un succès certain avec son propre projet.
Québec, DIY
En plein milieu de Québec se trouve un bâtiment de trois étages, dépourvu de voisins ou de locaux adjacents. En plus de servir de domicile pour Félix et Antoine, l’immeuble est aussi devenu un genre de repaire pour le groupe d’amis ainsi qu’une faction de la scène musicale DIY de la ville. Sans règles ni horaire établi, des musiciens dans une rotation sans cesse changeante venaient jammer, et assez vite, un son particulier s’est développé : brut et fortement influencé par leur amour commun du disco et de la pop des années 70.
« C’était vraiment juste pour le fun. On arrivait là vers 11 h du soir et on restait tard à jammer, chiller, boire, fumer des bats, et on s’échangeait les instruments, dit Julien. Quand on s’est dit qu’on voulait faire de quoi avec ce projet-là, c’était juste que moi, c’était une ambiance qui m’inspirait. Je me suis mis à composer plein de mélodies en m’inspirant de la vibe de ces soirées-là. Nos jams n’étaient pas très techniques, c’était très viscéral, avec un élément presque noise ou ambient. Un jour, je suis allé voir les gars et j’ai dit : « Hey, on se booke un show, on amène ça sur scène! »
C’est ainsi que sont nés les Forest Boys.
« On ne savait même pas qu’on était un band. Julien est arrivé et nous a dit qu’on avait un show dans un mois, raconte Yuri en riant. On se demandait quelles chansons on allait jouer, et en un mois on a concrétisé 12 tounes. On ne pensait pas faire ça de manière sérieuse, ou d’en faire une job à temps plein. On faisait juste triper en jammant. Mais on a fait ce show-là, où il y avait presque juste nos amis, et tranquillement des amis d’amis se sont mis à venir, et ça a grandi. »
Pas un band de funk
Avec une évidente influence nu-disco, le son du projet paraît à la fois très poli et brillant, tout en gardant une énergie brute émanant de leurs débuts de jam band. Un peu plus d’un an après sa formation, le groupe fait paraître ce vendredi BOYS Like Having Fun, son premier EP.
Sur Electrify, le premier single du EP, diffusé il y a quelques semaines, on retrouve un son qui rappelle autant le côté plus rock de Hall & Oates qu’un côté spatial de M83, avec une bonne dose d’irrévérence à la The Strokes en 2002.
Plusieurs médias avaient alors qualifié Forest Boys de groupe de funk. Pourtant, on ne retrouve pas vraiment de qualités du funk sur ce EP, et les gars eux-mêmes ne sont pas certains de l’origine de cette étiquette. « Au début, on était plusieurs, presque sept sur scène, donc je crois que ça vient de là », dit Yuri. « Je ne sais même pas si on avait déjà sorti une chanson à ce moment-là, renchérit Julien, mais il y a eu un article qui nous a décrits comme étant un groupe de funk, peut-être à cause de notre vibe. Après, on dirait que plusieurs journalistes ont continué à nous mettre cette étiquette-là. Je crois qu’on s’inspire plus du disco ou de la pop que du funk. »
Si Forest Boys est en quelque sorte un pur produit de la scène DIY de Québec, il reste tout de même en marge des autres groupes. Et pourtant, ç’a été à leur avantage : ils ont réussi à se produire plusieurs fois en concert, dont au Festival d’été de Québec l’an dernier, avant même d’avoir sorti un premier projet. Mais comme n’importe quel groupe qui commence à jouir de ce genre de succès, les gars se demandent tout de même comment ils feront pour garder cet esprit DIY. « Je trouve pas qu’on a le son indé, mais c’est vrai que, par la nature même de notre band, on est par définition indé. Tous les clips qu’on a faits à date ont été autoréalisés. On a tout fait nous-mêmes, et c’est quelque chose qu’on veut continuer de faire. »
Ç’a été un des défis de la création de transposer cette énergie de jam band sur CD. Ils ont donc tout simplement décidé d’enregistrer tous ensemble, en temps réel. « Je ne fais pas toujours la même chose aux percussions, mais aussi parce que, parfois, par après, on choisit notre take préférée, et quelqu’un se rend compte qu’il a chié un estie de bout de sa partie, mais au final ça sonne quand même cool! »
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Malgré le fait que Forest Boys jouit d’une montée fulgurante, les gars continuent de s’accrocher à ce sentiment d’indépendance. Pour Julien, qui connaît mieux les rouages de l’industrie musicale grâce à son précédent projet, The Seasons, il est intéressant de voir cette évolution à travers les yeux de ses compères. « Félix et Antoine, c’est des planteurs d’arbres qui voyagent à travers le monde. Moi et Rémy, ça fait des années qu’on fait de la musique. Donc, ça nous fait du bien de les voir comprendre certains trucs sur le monde de la musique, et ça nous fait réaliser à quel point on peut parfois être blasés, dit-il. Quelqu’un qui ne fait pas de musique peut croire qu’une chanson passe à la radio parce qu’elle est bonne, mais ce n’est pas seulement ça. Il fallait que j’explique que c’est qu’il faut payer un gars pour qu’il achale les radios pour jouer nos chansons! Ça te ramène à quelque chose de plus pur, dans un sens. »
Avant même le début d’un été rempli de shows sur la route, les gars de Forest Boys confient qu’ils commencent déjà à penser au prochain projet, qui comportera peut-être même certaines parties de rap, que le groupe intègre déjà dans ses spectacles actuels. « C’est cool, parce que les gens ne s’y attendent pas, mais je quitte les percussions et je viens rejoindre Julien pis on “MC” pendant quelques minutes, m’explique Yuri. Ça devient souvent la partie la plus hype du show. »
Comme quoi on peut sortir le band du jam space, mais pas sortir le jam du band.