Depuis cinq ans, « Nate » – un expert en sécurité en informatique de 27 ans installé à Philadelphie – est un informateur de la police locale. Associé à « Bill », un détective des stups, il participe à des achats de drogues sous-couverture et fournit des informations à la police sur les dealeurs, dont certains n’hésiteraient pas à lui mettre une balle dans la tête s’ils savaient qu’il les balançait. Voici l’histoire de « Nate » selon ses propres mots.
J’étais en voiture avec un ami quand je me suis fait arrêter pour excès de vitesse. J’avais 22 ans. Le flic voulait absolument savoir si j’avais de la weed dans ma voiture – mon pote venait de m’en filer. Le policier qui m’a arrêté était un abruti, mais Bill s’est pointé et m’a parlé comme à un être humain. Il était sympa. Je n’avais pas assez de weed sur moi pour être accusé de revente, mais suffisamment pour possession. Bill était là à me dire, « Hey, on peut travailler ensemble là-dessus… Tu vois, devenir un informateur pour oublier cette histoire. » Je lui ai dit : « Non, ça ne me tente pas trop. Je ne veux pas faire ça. »
Videos by VICE
J’ai donc accepté mon sort, et j’ai été condamné à une mise à l’épreuve. Plus tard, Bill m’a appelé et m’a demandé de venir au poste de police. Une fois arrivé là-bas, il voulait des infos. Il m’a dit qu’il se fichait de la weed. L’héroïne et les opiacés, voilà ce qui l’intéressait. Je connaissais des gars qui vendaient ce genre de produits. Bill s’était rendu compte que j’étais ami sur Facebook avec un bon nombre de types qu’il surveillait. Il savait ce qu’il se passait. En gros, il avait besoin d’un type de l’intérieur pour faire tomber ces gars. Je lui ai tout de suite dit que je n’allais pas l’aider à arrêter des types qui vendaient de la weed. Mais pour l’héroïne j’étais partant.
Je hais tellement l’héroïne. J’ai perdu beaucoup d’amis à cause de ça. Des amis d’enfance sont tombés là-dedans, et leur chute a été extrêmement rapide. Pendant un moment, j’ai pris un peu d’opiacés, qui m’étaient prescrits pour un mal de dos. Mais un jour j’ai tout arrêté. C’était rude. La weed m’a aidé à décrocher. J’aurais très bien pu me retrouver accro à l’héroïne comme mes amis, mais, Dieu merci, je n’ai pas choisi ce chemin. Les opiacés et l’héroïne : voilà le principal problème de notre communauté. Je voulais donc aider à mon niveau.
Au détour d’une conversation, j’apprenais qui vendait et qui était vraiment impliqué dans ce marché.
J’ai dit à Bill que je ne balancerai aucun de mes amis, et que je ne porterai pas de micro. Ça lui allait. J’avais de bonnes infos. Tout le monde me connaissait et me faisait confiance dans le coin. Personne n’allait me suspecter de quoi que ce soit. J’avais beaucoup d’amis accros à l’héroïne qui me disaient tout. Comme ça, au détour d’une conversation, j’apprenais qui vendait et qui était vraiment impliqué dans ce marché.
Le jour de mon premier achat, j’étais un peu nerveux, mais je savais que le dealer était une merde. Il faut se comporter d’une certaine façon avec eux, parce que les dealeurs repèrent la moindre faille. Mais, vu que j’ai acheté pas mal de drogues dans ma vie, je sais comment ça se passe. Du coup, c’était bien plus facile que prévu. Il m’attendait sous son porche, j’ai fumé de la weed avec lui, j’ai acheté l’héroïne, et je me suis barré. Voilà comment ça marche. Je fais confiance à Bill, qui assure mes arrières. J’achète la dope, puis je marche jusqu’à ce que quelqu’un vienne me chercher. Après ça, ma partie du contrat est remplie, et c’est aux policiers de faire leur travail.
Bon, ce n’est pas toujours aussi simple. Une fois, j’ai poireauté bien 40 minutes devant la maison d’un dealeur qu’on avait ciblé. J’attendais qu’ils viennent me filer la dose d’héroïne, mais il se défonçait dans sa chambre, sans vouloir en sortir. Je ne savais pas quoi faire, je n’avais pas envie de rentrer chez lui. Mais sa mère est sortie, et m’a dit : « Pourquoi tu attends là ? Rentre. » Je n’aurais pas dû, mais je suis rentré. L’oncle du type descend les escaliers avec un flingue en hurlant : « C’est qui ce mec ? C’est qui ce mec ?! » Il était totalement déphasé, je pensais qu’il allait me plomber. Mais j’ai réussi à le calmer, puis le dealer est sorti de sa chambre en titubant. Il n’avait même pas de sachet pour ma dose ; il a posé l’héroïne comme ça dans la paume de ma main.
Quand ça se passe comme ça, ton cœur s’emballe. Tu le sens bondir dans ta poitrine. Mais tu ne dois rien montrer. J’essaye de me marrer, de balancer des vannes, pour détendre l’atmosphère. Mais ça peut mal tourner en un éclair. J’avais un pote qui était entré chez un type (pour acheter de la drogue). Des gars l’ont attrapé, ont pointé un flingue sur sa tempe et l’ont forcé à fumer une tonne de crack pour prouver qu’il n’était pas flic. Ça aurait très bien pu m’arriver, mais je m’exprime bien. Je dis un peu tout et n’importe quoi pour m’en sortir. J’essaye de ne pas penser à des excuses en amont, sinon ça sonne faux. J’essaye de suivre le flow.
Ça ne me fait rien d’être vu comme une « balance ». Je le fais pour le bien de communauté.
C’est un rush d’adrénaline, et j’adore ça. Cela fait remonter plein d’émotions différentes – l’angoisse, l’excitation, l’impression que ça peut mal tourner à tout moment. C’est comme sauter à l’élastique. J’ai sauté à l’élastique plusieurs fois en Afrique. Là-bas, c’est un peu fou – les normes de sécurité sont ce qu’elles sont, donc, c’est un peu « Je ne sais pas si cette corde va tenir ou non… » C’est un risque calculé.
Ça ne me fait rien d’être vu comme une « balance ». Je le fais pour le bien de communauté. Je ne fais pas ça pour échapper à une condamnation. Je ne suis pas payé. Il y a des gens qui sont pompiers volontaires, non ? Eh bien c’est la même chose. Je ne peux pas être flic. J’ai un casier, et je n’aime pas les armes. Puis je n’aime pas les policiers. Bill est l’unique exception. Simplement, je ne veux plus d’héroïne dans ma communauté. Quand les dealers savaient que j’essayais d’arrêter les opiacés, ils m’envoyaient des SMS pour me dire qu’ils avaient reçu de la nouvelle marchandise. Ils me poussaient à consommer, parce qu’ils savaient que je pourrais devenir un client lucratif. En gros, ils voulaient ruiner ma vie pour se faire du fric sur mon dos. Ce sont eux les méchants, pas moi.
Mes amis ne savent pas que je fais ça. Je pense que si les dealers réfléchissent un peu, je pourrais me retrouver dans la merde. Si je continue de faire ça, je vais arriver à un point où je vais devenir parano et nerveux. Là, je devrai m’arrêter. Mais je n’ai jamais fait d’erreur. Je suis persuadé ne rien avoir laissé transparaître. Si cela arrive, et que quelqu’un veut me mettre à l’amende, il faudra l’accepter comme un homme. Ça craint, mais c’est la vie. J’ai fait ma partie du taf. Je sais que ce n’est pas sans risque, et que tout repose sur moi. J’accepte ça à 100%. Je n’ai pas peur de mourir.
Suivez Michael Goldberg sur Twitter