J’ai passé 24 heures d’affilée dans un Basic-Fit

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Je n’ai jamais fait de fitness de ma vie. Ça fait longtemps que mes amis essaient de me persuader en me proposant un abonnement super cher, un régime composé uniquement de blancs de poulet et de shakes protéinés, le tout avec des exercices impossibles pour mes bras. Je n’ai jamais compris pourquoi j’aurais désiré pratiquer ce genre d’activité de mon plein gré et pourquoi elle était si populaire. Des shakes, je peux en commander au McDonald. Des pompes, c’est ce que je fais quand le pneu de mon vélo est raplapla.

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Pourtant, je constate qu’énormément de personnes que je respecte disparaissent dans des salles de sport et en reviennent emplis de satisfaction. Et quel meilleur moyen pour percer les secrets d’une salle de sport que de passer une journée entière dedans ? Je me suis donc rendu au Basic-Fit à Amsterdam-Nord – qui est ouvert 24h/24 en semaine – afin de tirer le maximum d’une séance d’essai.

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Toutes les photos ont été secrètement prises avec une GoPro, car je ne crois pas que les types auraient apprécié qu’un garçon maigrichon avec un reflex enregistre leurs efforts.

15h15
À l’entrée, je montre à la réceptionniste le billet imprimé pour une séance d’essai. Elle ouvre la porte, me donne un cadenas pour un casier et me souhaite beaucoup de plaisir. Dehors, il fait 25 degrés et j’ai de sérieux doutes quant à cette idée.

16h30
Les appareils de fitness sont impressionnants. Pour certains d’entre eux, je ne comprends même pas comment les utiliser. Je m’assieds sur un appareil de musculation et j’ai l’impression de diriger un MechWarrior.

17h30
J’essaie de faire couler de l’eau sportive d’un distributeur automatique, mais rien ne sort. Apparemment, il faut un laissez-passer spécial pour en boire. Je remarque que beaucoup de gens sont sur leurs téléphones pendant qu’ils s’exercent. Je me rends doucement compte qu’il existe probablement des centaines de meilleurs moyens pour percer les secrets d’un centre de fitness que d’y passer 24 heures tout seul.

18h00
Je fais un tour en vélo virtuel à travers la France. En bas à droite de l’écran, je peux voir un type bien trop enthousiaste aux dents bien trop blanches assis bien trop loin sur son vélo. Il parle tout le temps, mais le son est éteint donc je n’ai absolument aucune idée de ce qu’il dit. Au bout de quinze minutes, je descends et commence à soulever des poids.

18h30
Je découvre un appareil super : le Powerplate. Vous devez rester dessus et il se met à vibrer si fort que votre vue vibre elle aussi. Son utilité m’échappe, mais c’est agréable.

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18h35
Deux femmes, probablement nommées Jeannine et Geneviève, m’expliquent alors que le Powerplate neutralise les douleurs musculaires. Elles me recommandent le fauteuil de massage. Je vais garder ça pour plus tard.

19h00
J’essaie quelques nouveaux appareils et je fais des presses à cuisses, des tractions latérales et des abductions de la hanche. Je ne sais pas exactement ce que c’est.

19h15
Il y a un bloc-notes posé sur un casier. Il est entièrement composés de toutes sortes d’exercices à côté desquels sont indiqués les poids correspondants. Le propriétaire vient à moi et me dit : « Vous devez garder une trace de ce que vous faites, sinon vous faites n’importe quoi. » Je hoche la tête.

19h30
La réceptionniste me salue et ne montre aucun signe de reconnaissance. Je me promène dans son champ de vision depuis plus de quatre heures.

20h00
Tous les appareils de fitness sont de la marque Matrix. Je suis assis sur un vélo et un mec qui ressemble beaucoup à Morpheus s’assoit à côté de moi. Plus loin, deux femmes font de l’exercice et il les mate sans scrupules. « 47 ans, c’est un âge sale », me lâche-t-il.

20h30
À la réception, il y a la possibilité de s’asseoir sur un banc. Je lis le Flair pendant une demi-heure. Morpheus change de vêtements à l’extérieur du vestiaire, mate les meufs qui passent en me faisant un clin d’œil et sort du complexe.

21h
Apparemment, il fallait brancher des écouteurs sur le vélo pour obtenir le son des balades virtuelles. Je tente à nouveaux ma chance.

21h10
Selon l’instructeur virtuel aux dents trop blanches pour être naturelles, c’était « tip-top ».

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21h30
Je me donne à fond sur toutes sortes d’appareils et une grosse dame me regarde. Sur le vélo elliptique, j’atteins un rythme cardiaque de 175 et je vois des astérisques.

21h40
Quelqu’un se sert l’eau de luxe pour sportifs et je lui emboîte le pas en remplissant ma bouteille. Je choisis la saveur cassis. Ça ressemble à de l’eau et laisse un goût de limonade industrielle.

22h30
Pendant un moment, je n’ai plus vraiment envie de faire de l’exercice et je décide d’explorer les vestiaires. Rien ne semble avoir changé depuis que je m’y suis changé. Je remarque une cabine douche. Je note cet endroit comme étant le plus approprié pour m’isoler et peut-être faire une sieste, si l’envie m’en vient à un moment donné.

22h45
J’essaie de courir cinq kilomètres et je me retrouve à rire de la futilité de ceci, et donc de tout cela.

23h00
Il fait soudainement nuit dehors. La réceptionniste rentre également chez elle et un jeune Sri-Lankais à la silhouette taillée prend sa place. Grâce à tous ces changements soudains, je sens poindre un petit regain d’énergie.

23h00
Avoir déclaré un regain d’énergie était prématuré : tout est toujours exactement pareil. Grande déception.

00:00
Après un kilomètre d’aviron, je fais un test de condition physique sur un vélo et me vois qualifié d’un « bien en dessous de la moyenne » assassin. Par amère déception, je retourne sur le Powerplate. Les vibrations incessantes me donnent envie de pisser de toute urgence.

00h40
Le fauteuil de massage sera le moment fort de cette journée. Pour un euro, on a droit à un massage de cinq minutes. La chaise pétrit vos jambes, masse votre dos, détend doucement votre nuque et vous secoue complètement. Jeannine et Geneviève avaient raison : this is the shit.

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1h00
La musique retombe et les gémissements des hommes assortis du bruit des poids qui claquent emplissent la pièce. Quelqu’un a mis le presse jambes à 141 kilos. Je pousse de toutes mes forces mais n’obtiens aucun mouvement. La nuit s’annonce longue et j’aimerais me reposer quelque part. Je me promène dans la pièce et découvre un deuxième espace potentiel pour une sieste : derrière l’écran des balades à vélo virtuelles. Je m’assieds là pendant cinq minutes, mais je ne me sens pas vraiment à mon aise car tout le monde peut me voir; je retourne alors à mon errance. Il n’y a plus de femmes dans la salle, uniquement des hommes musclés qui veulent absolument devenir encore plus musclés.

01h20
Il y a une pièce séparée où il n’y a jamais personne. Je pensais au début que c’était un territoire interdit, mais par ennui je décide quand même d’aller y jeter un œil. Il y a de la dance music à fond de balle et je me retrouve face à un écran unique, en plein cours virtuel X-Core. Je participe à la formation pendant une minute, jusqu’à ce que le réceptionniste passe la tête par l’encadrement de la porte. Il me lance une regard suspicieux et s’en va. Je sors de la pièce, penaud.

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01h30
J’achète une barre énergétique au distributeur. Ce truc est si dur que demain, ma mâchoire aura probablement des douleurs musculaires. Elle aussi.

02h05
Quelqu’un a oublié de manger sa barre Yogourt-fruits rouges du distributeur ou bien l’a laissée pour plus tard. Une bouchée a été prise, mais à part ça, ça semble plutôt appétissant. Je m’en approche et la range discrètement dans ma poche. Caché entre les casiers, je la savoure en secret. Ça a le goût de l’alcool.

02h30
Pour ne pas m’endormir, je cours sur le tapis roulant pendant 15 minutes. Mon t-shirt est infusé de sueur. Un homme lance une lourde balle en l’air et la rattrape. Un autre marche à travers la pièce en éternuant, les bras levés et un poids en main. Deux autres, qui étaient autrefois trop gras et sont maintenant occupés à convertir partiellement cet excès de graisse en muscles et en force pure, discutent d’un appareil avec lequel l’on peut entraîner son dos. Mon médecin m’a dit que cette posture était mauvaise pour le dos », déclare l’un d’eux. « Qu’est-ce que tu parles de médecin mec, tu n’as même pas d’assurance maladie », lui répond l’autre. C’est à cette heure-ci qu’on peut observer le noyau dur de Basic Fit : des visiteurs tatoués et gonflés à la pompe, un comportement bien machiste, des chemisettes moulantes, une sueur ruisselante, des gémissements bruyants, des poids lourds. Et moi.

03h15
La moitié de ma journée au Basic-Fit est terminée. J’ai l’impression d’avoir accompli quelque chose d’important, même si ce n’est pas du tout le cas. Tout le monde se trouve dans la zone où l’on peut faire des développé-couchés. Ils s’entraident et se parlent comme des amis. Un dieu du fitness antillais demande sur un ton de reproche à un autre pourquoi il n’était pas là la nuit dernière. J’aimerais beaucoup discuter avec quelqu’un, mais ils ne me semblent pas être des plus accessibles; de plus, je n’ai pas la moindre idée de comment commencer une conversation avec eux. « Hey, tu viens souvent ici? » Bof, mauvais plan. En douze heures, je n’ai parlé qu’à Jeannine et Gene de la Powerplate. Je m’en vais à la section cardio. Jeannine et Gene me manquent.

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03h30
Un gros Turc nommé Ahmed entame une conversation avec moi. Il me raconte avoir été un célèbre DJ et gagné beaucoup d’argent mais que maintenant, il bosse comme gardien de sécurité et c’est pour cette raison qu’il s’entraîne la nuit. Il a quatre petites amies, mais au final il ne veut épouser qu’une seule d’entre elles. Il me dit que la probabilité qu’une femme vous trompe est de 100% et que ce sont toutes des putes. Il en sait également beaucoup sur le monde de la mode, comme le prouve sa dissertation sur l’obligation de dire adieu à vos fesses si vous voulez devenir mannequin, quel que soit votre sexe.

Le réceptionniste intervient dans notre conversation, mais peu impressionné par les anecdotes d’Ahmed, il nous quitte à nouveau. Je n’ai jamais été aussi heureux de ne pas être obligé de faire de l’exercice et de pouvoir enfin parler à quelqu’un. Ahmed me confie qu’il trouve que le réceptionniste est un drôle de type. La conversation touche à sa fin et il me sert de l’eau pour sportif avant de rentrer chez lui – cette fois, j’opte pour la saveur fruit de la passion. Ça me rappelle une glace à l’eau que j’ai jetée directement après l’avoir léchée tellement je trouvais ça dégueulasse. Je n’avais jamais su que c’était le goût du fruit de la passion. Maintenant, je sais. Déçu, je jette l’eau pour sportif dans l’évier.

5h00
À part le réceptionniste et moi, il n’y a personne d’autre dans la salle de sport. Pendant que je m’entraîne sur le cross trainer, il vient vers moi. Il me confie à son tour qu’il ne pouvait plus supporter les conneries d’Ahmed et qu’il a trouvé merveilleux que je tienne aussi longtemps. Je le contredis dans ma tête : ce qui aurait été merveilleux, c’est de ne pas avoir passé des heures dans la solitude la plus totale entre des appareils de fitness peu bavards.

Je vois des serviettes perdues, des bouteilles abandonnées et des haltères dans des endroits où elles ne devraient pas se situer. Une tresse de cheveux tombée gît sur le sol à côté du cross trainer. Je me demande comment elle a fini là – je n’ai aucun souvenir de bastons intenses. Je mets les cheveux dans ma poche et les porte au vestiaire. Je les laisserai là pour le prochain explorateur.

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05h15
Les lève-tôt arrivent. Je me demande alors ce qui est pire : passer la nuit au gymnase ou sortir de son lit à cinq heures moins le quart pour aller au gymnase.

6h00
Il y a de la vie et des gens dans la rue qui vont probablement au travail. J’ai trop d’ampoules aux mains pour soulever des poids et trop d’ampoules aux pieds pour courir ou faire du vélo. Je monte sur le vélo et fais du 2km/h. J’ai les yeux collés de sommeil – le cyclisme n’est pas une réussite. Il faut vraiment que je dorme. Il n’y a qu’un seul endroit envisageable : la cabine de douche dans le vestiaire. Il y a un banc d’un demi-mètre de long sur vingt centimètres de large. Je m’allonge dessus et essaie de trouver une position confortable. Ça ne fonctionne pas, mais au moins j’ai les yeux fermés.

07h10
Quelqu’un frappe à la porte et je suis complètement confus. Je crois que j’ai dormi. Je dis que j’ai presque fini et que je quitterai la cabine de douche dans une minute. Je ne trouve personne devant quand j’en sors.

07h20
Il y a un nouveau réceptionniste et il semble au moins aussi sérieux que le dernier. Les hommes de la nuit écoulée ont cédé le pas aux femmes et aux personnes âgées. À l’heure actuelle, on fait plus de cardio que d’haltérophilie.

8h35
Une femme utilise enfin le Powerplate. C’est la première fois que je vois quelqu’un d’autre utiliser l’appareil. J’attends qu’elle finisse et je la poursuis.

9h00
Huit femmes se préparent pour la balade à vélo virtuelle qui est sur le point de commencer. « Martine, ramène-toi ! » crie l’une d’entre elles. Martine s’assoit sur le vélo et attache rapidement la sangle de la pédale à ses baskets Scapino. Les voilà qui partent à l’aventure dans les Alpes françaises. Imaginer qu’il existe un tout autre monde à l’extérieur de ce Basic Fit m’est terriblement difficile.

09h45
Je suis assis sur le sol et ne fais rien du tout. Autour de moi, j’assiste à un truc qui ressemble à du yoga.

10h10
J’avais économisé mon dernier euro pour une récompense que j’attendais avec impatience. Récompense qui s’est avéré être une torture dramatique : le siège de massage est bien trop raide et inconfortable pour mon corps usé.

10h20
Je suis dans le Basic-Fit depuis 19 heures. Je suis dans le Basic-Fit depuis 19 heures, seulement.

11h30
Beaucoup de gens viennent ici pour faire du vélo, marcher et courir alors qu’il fait 30 degrés à l’extérieur. Je passe d’un appareil à l’autre, généralement jusqu’à ce que l’on me demande si j’ai fini, puis je me déplace à nouveau.

11h40
Est-ce une coïncidence si les vélos se trouvent devant les tapis de course et les cross-trainers et non l’inverse ? Exprès ou pas, il n’en reste que le panorama fessier est excellent.

12h45
Je pensais qu’il était presque 14 heures mais il visiblement, je me suis planté. Dans la vitre, j’observe le reflet de ma silhouette fantomatique assise sur un vélo. Soupir de déception.

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12h55
Il y a un monsieur sur le tapis roulant qui est habillé en polaire de la tête au pied.

13h15
Un Marocain court et saute dans la pièce en agitant sauvagement les bras. Il lance chaque membre de son corps dans une direction aléatoire. On dirait qu’il est attaqué par un groupe d’ennemis invisibles. À voir la réaction des autres visiteurs, il n’y a pas lieu de s’étonner de quoi que ce soit dans une salle de sport.

13h30
Morpheus est de retour ! Je ressens un éclair de joie, mêlé à un sentiment de profond désespoir.

13h45
Ça fait 22 heures que je suis ici, mais pas une seule fois je n’ai écouté ma propre musique. En partie parce que je souhaitais bénéficier à fond de l’expérience Basic-Fit, mais aussi parce que la musique qui passe n’est en réalité pas vraiment gênante. L’esprit est suffisamment occupé pour ne pas avoir le sentiment de manquer de quelque chose, mais je ne me souviens pas non plus de ce que j’ai entendu ces dernières heures. Maroon 5. Je pense bien qu’il y a eu du Maroon 5.

14h13
Morpheus mène la vie dure à quelques appareils Matrix.

14h20
Mon corps est coincé dans un sarcophage de sueur sèche accumulée sur ma peau au cours des 23 dernières heures. Je me rends au vestiaire pour la dernière fois et profite d’une douche d’une demi-heure.

15h15
Je jette un dernier coup d’œil à la pièce qui a accueilli mes errances au cours de ces dernières 24 heures. Elle semble différente de celle de mon arrivée, et les appareils ne me sont maintenant plus du tout étrangers. Quand je pars, personne ne me dit au revoir et je ne vais manquer à personne. Je fête la fin de ma séance d’essai à l’extérieur sous un soleil de plomb.

C’est probablement aussi les dernières 24 heures que je passerai dans une salle de sport.

Cet article a été initialement publié sur VICE NL.