Cet article a été initialement publié sur VICE Espagne
L’année dernière, j’étais pris au piège dans une relation amoureuse très malsaine. Le genre qui vous donne envie de braquer une banque pour ensuite balancer vos complices à la police, histoire de pouvoir entrer dans un programme de protection des témoins et de refaire votre vie loin de toute forme de civilisation. Du coup, quand un ami photographe m’a proposé de faire un shooting, je me suis dit que ça pourrait être une opportunité sympa. Mon pote est spécialisé dans les banques d’images – ce n’est donc pas vraiment le truc le plus glamour qui soit, mais je n’allais pas faire la fine bouche.
Je suis arrivé au studio avec une bonne heure de retard, complètement bouleversé après avoir passé la nuit à m’engueuler avec ma copine de l’époque. Mais au moment où mon pote s’est mis à prendre des photos, je me suis calmé et j’ai même commencé à y prendre goût. « Y’a des gens qui vont acheter ces photos ? » lui ai-je demandé alors qu’il changeait d’objectif. « On va bien voir », m’a-t-il répondu.
Une fois terminé, j’ai signé un formulaire indiquant que les photos appartenaient à mon ami et qu’il pouvait en faire ce qu’il voulait. Et cette signature – je l’ai appris depuis – a été la plus grosse erreur de toute ma vie.
Quelques mois plus tard, on m’a prévenu que ma tête illustrait un article sur le site Those Catholic Men. La phrase d’accroche du site est : « Par des hommes catholiques. Pour des hommes catholiques » et, d’après leur propre présentation, il s’agit « d’une ressource en ligne pour les hommes catholiques qui se sentent perdus en cette période post-chrétienne et profane ». L’article qui utilisait ma photo concernait « les protestants et les terroristes », et, depuis, il a été retiré du site.
En soi, ce n’était pas très grave, mais je me suis rendu compte que je n’avais aucun contrôle quant à l’utilisation de photos me représentant. Toute personne avec une connexion Internet et un peu de fric pouvait acheter ces photos et en faire ce qu’elle souhaitait : je pouvais devenir un vendeur de cigarettes, un militant du Movember ou encore un éjaculateur précoce. Le pire dans tout ça, c’est qu’en signant le formulaire, j’ai renoncé à être payé pour l’utilisation de mes photos.
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Image via imgrum
Bientôt, mon visage s’est retrouvé sur des pubs pour des produits sans gluten de la marque Costa, ou en train d’encourager les gens à boire des shooters d’une liqueur colombienne quelconque. Sauf qu’à ce moment, je venais de me séparer de ma copine – du coup je n’avais personne auprès de qui me plaindre.
En Arabie Saoudite, en Allemagne, au Venezuela et aux Pays-Bas, on m’a utilisé pour promouvoir des trucs vraiment étranges, souvent des choses embarrassantes ou dégoûtantes. Au final, j’avais pris ces photos un jour où j’avais besoin d’aller mieux. Mais le fait de les voir, jour après jour, sur ces pubs diverses et variées me faisait me sentir de plus en plus mal.
Quelqu’un a dit m’avoir vu sur un énorme panneau publicitaire sur la place Puerta del Sol, à Madrid, mais n’a pas pu le prendre en photo. Un ami d’Aberdeen m’a dit qu’il avait vu un mec qui me ressemblait comme deux gouttes d’eau sur un panneau d’affichage à la sortie d’une quincaillerie. À Tokyo, une connaissance m’a vu sur un bac de recyclage, en train de menacer du doigt les personnes qui ne font pas le tri.
Mon visage n’était pas utilisé que dans un but commercial : j’étais aussi là pour illustrer des articles de magazines. Par exemple « Comment rester calme face aux cons » (je suis le con dans l’histoire, pas la personne gardant son calme), ou encore « L’ex vindicatif : quand la haine prend le pas sur le bonheur des enfants » (devinez qui je suis), et même un autre sur le harcèlement de rue. Il doit y avoir des millions de visages d’hommes en libre accès sur ces banques d’images, mais les éditeurs de ces articles ont choisi le mien : dois-je en conclure que j’ai une tête de harceleur vindicatif et con ? Bien entendu, ça n’a pas vraiment amélioré mes soucis de confiance en moi.
J’ai aussi trouvé une version ultra-retouchée d’une de mes photos pour un clip YouTube accompagnant une chanson. Je ne sais absolument pas de quoi parle la chanson, mais vu que la vidéo n’a que 860 vues au moment où j’écris cet article, ça ne me préoccupe pas trop.
Un ami m’a également envoyé le lien d’un roman auto-édité de Scott Burtness, intitulé Northwoods Wolfman. C’est le deuxième tome de la série Monsters in the Midwest, et apparemment l’histoire concerne un chasseur de monstres prénommé Dallas. La version Kindle coûte 3,05 dollars. Ma tronche figure sur la couverture, mais encore une fois je suis un peu retouché : j’ai les oreilles pointues et mon tee-shirt semble avoir été lacéré à coups de griffes.
Il y a aussi une pub tchèque pour des produits de rasage qui, en tout, utilise quatre photos de ma moustache et moi. J’ai décidé de prendre cette pub-ci comme un compliment : à l’évidence, les hommes tchèques sont envieux de ma pilosité faciale. Et pourtant, ces quelques pubs positives n’ont pas réussi à me remonter le moral après l’horreur que j’ai vu.
Niccolò Massariello, l’auteur de l’article, avec des oreilles pointues et un tee-shirt déchiré en couverture d’un roman.
Un matin, au réveil, une amie du Venezuela m’a demandé sur WhatsApp si j’avais (ou avais déjà eu) un paraphimosis, une blessure au pénis dont les conséquences peuvent être terribles. J’ai répondu que j’avais peut-être eu quelques soucis à ce niveau-là dans le passé, mais que le mot « paraphimosis » ne me disait rien.
« Pourquoi ? », j’ai demandé.
« Nico, ta photo illustre un article sur le paraphimosis pour un journal vénézuélien », m’a-t-elle répondu.
Le 8 janvier 2017, le journal El Nacional a tweeté à ses 4,11 millions de followers mon visage accompagnant un article sur le paraphimosis (un état physiologique et médical où le prépuce se retrouve bloqué sur le pénis, derrière le gland ; lorsque le pénis est mou, le prépuce ne peut pas se rétracter et recouvrir le gland, sa position normale. Cela peut devenir très douloureux s’il reste bloqué, ainsi que dangereux : le flux sanguin interrompu peut entraîner une gangrène qui oblige les docteurs à vous couper la bite.)
C’est une maladie rare, mais c’est effrayant quand ça vous arrive. Tellement effrayant d’ailleurs, que El Nacional a choisi d’illustrer son article avec une photo où j’ai l’air traumatisé.
Cette histoire prenait des proportions dingues. En tant qu’être humain, on a le droit de se faire plaisir de temps à autre ; seulement, mon moment de plaisir personnel était en train d’avoir de lourdes conséquences.
Peu de temps après avoir appris que j’étais l’égérie du paraphimosis au Venezuela, j’ai reçu un appel de Sam, un ami qui habite à Sydney.
Je me rappelle avoir pensé : « Pitié, faites que ça ne soit pas un truc bizarre en rapport avec les bites. »
C’était mon jour de chance : Sam m’a annoncé qu’un fournisseur d’accès à Internet australien, Exetel, avait choisi mes photos pour apparaître sur leur dernière campagne de pub. J’étais sur des panneaux publicitaires à l’aéroport, aux arrêts de bus et de métro, partout en Australie. Je devais convaincre 24 millions d’Australiens de choisir Exetel comme fournisseur. En me renseignant sur leur société, elle m’a eu l’air correcte : d’après leur page Wikipedia, ils ont investi un tiers de leurs profits, en 2009, dans des programmes de protection d’espèces en voie d’extinction. Je ne sais pas s’ils continuent à le faire de nos jours, mais c’est déjà pas mal, non ?
Au final, même si c’était sympa de savoir que ma tronche aidait Exetel à vendre leurs forfaits illimités à 54,99 dollars australiens par mois au lieu d’illustrer des articles vous expliquant comment gérer les cons, ça n’a pas changé grand-chose.
Je sais que je n’ai pas à me plaindre : j’ai volontairement souhaité qu’on me prenne en photo et j’ai signé le formulaire stipulant que je renonçais à tout droit sur mon image. Beaucoup de personnes ne consentent pas à l’utilisation de leur image et se retrouvent parfois à leur insu sur des mèmes douteux qui sont partagés dans le monde entier. Cependant, je continue de regretter le jour où j’ai posé pour ces photos. Même si ce jour-là je me suis senti un peu mieux, je ne sais pas le prochain produit que je vais « promouvoir ». Et ça, ça craint.