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L’avenir des festivals est-il dans le micro-évènement ?

Closer Music, interview, Lafayette Anticipation

Ces dernières années, les festivals pullulent tellement toujours plus, toujours plus fort, qu’on se demande parfois si on a encore affaire à de la musique ou simplement à un combat de gladiateurs-actionnaires à distance, pendant que nous observons sagement, cashless sur pattes que nous sommes devenus. Kendrick Lamar contre Justice, AEG contre Live Nation, ou dans un autre genre (mais qui revient au même), Booba contre Kaaris ; c’est comme si le live ne ressemblait plus qu’à un gigantesque clash vaguement posé là pour tenter mollement de titiller ce qu’il restait de nos papilles.

Alors, face à ces mastodontes de plus en plus dévitalisés et aux cachets et billets de plus en plus exorbitants, que reste-t-il ? Les miettes, et c’est tant mieux dans un sens. Débarqué de la direction artistique de Villette Sonique il y a un an suite à des désaccords profonds avec sa hiérarchie et des inquiétudes d’uniformisation du lieu (alors que le cas du festival francilien était tout de même loin des patapoufs suscités), Etienne Blanchot choisit depuis de multiplier les expériences à plus modeste échelle, dans un cadre restreint et avec des programmations qui ne s’embarrasse plus d’aucun compromis.

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Après Idéal Trouble à la Station l’année dernière, c’est au tour de Closer Music de voir le jour, manifestation de trois jours qui se déroule à Lafayette Anticipations, la fondation d’entreprise des Galeries Lafayette, dans le quartier du Marais à Paris, et qui accueillera dès ce soir et jusqu’à dimanche Robert Görl de DAF, Pan Daijing, la Belge Céline Gillain (qui vient de sortir un album remarqué chez Antinote), Tirzah ou encore Lucy Railton. On a posé quelques questions à Étienne Blanchot, programmateur résident de Lafayette Anticipations et créateur de Closer Music donc, pour savoir pourquoi si cette multiplicité de niches que l’on avait désormais entre les mains était bénéfique pour tenter, encore et toujours, de créer des passerelles esthétiques.

Noisey : On a de plus en plus l’impression que la musique ne suffit plus dans les festivals de musique bizarrement. Le communiqué de presse de Closer Music parle notamment de « remettre l’espace architectural au centre de la performance musicale. »
Étienne Blanchot : Oui, le principe c’est d’utiliser le lieu dans sa configuration et ses possibilités assez étonnantes de modulation et de changement de format, et de faire écho à l’aspect arts plastiques de la fondation. C’est un lieu qui se définit comme un lieu de production et de création d’arts plastiques, de mode et design, qui tente déjà de penser des programmations avec des artistes dans leur champ d’intérêt.

Le lieu a comme singularité d’avoir un atelier de fabrication dans les étages qui permet aux artistes exposés ici de fabriquer sur place leurs œuvres, c’est un lieu qui n’est pas du tout uniquement un lieu de diffusion un peu bling bling comme souvent sont les fondations, mais qui est dynamique dans sa façon de penser sa relation aux artistes. La programmation tente plutôt de tirer des ponts symboliques entre ces musiciens qui se pensent un peu plasticiens, ou qui ont une relation à la mode ou à l’image.

Quelle est la différence entre Idéal Trouble que tu organisais à la Station et Closer Music qui se déroule à Lafayette Anticipations, notamment en termes de contraintes économiques ?
Déjà, je pense que tous les artistes présents ici auraient eu leur place à Idéal Trouble. Mais il y a des choses que je faisais que je ne peux pas forcément faire ici. C’est, encore une fois, plus lié à des contraintes de lieu, de voisinage, des choses comme ça. Pour ce qui est de la question pécuniaire, Lafayette Anticipations est une fondation privée, qui se donne les moyens de faire des choses exigeantes, et de le faire avec générosité. On a les moyens de faire de beaux plateaux, de payer correctement les artistes et de vendre des places pas chères. C’est super appréciable aussi de pouvoir insuffler ces économies-là et de les faire partager.

Ça ne change pas ta fenêtre de tir justement de travailler maintenant uniquement à partir de fonds privés ?
Non, parce que la collaboration est assez géniale avec le directeur Francois Quintin, et Guillaume Houzé, le président de la fondation. Ce sont des gens qui ont envie d’étonner et d’être étonnés eux-mêmes. Quand ils s’engagent de produire toutes les œuvres en bas, il y a un engagement très fort. C’est pensé comme ça. Sur la proposition artistique, à la Villette j’essayais d’utiliser l’énergie des équipes, mais aussi l’argent public pour pousser les esthétiques en place. Là c’est un autre type de financement, mais c’est la même démarche : soutenir des artistes qui ne le sont pas nécessairement le reste du temps. On a appelé ça Closer Music pour deux raisons : le rapport entre l’architecture, et le balcon, le rapport de points de vue différents, et aussi l’idée de rapprocher la musique des gens.

Est-ce que ça donne plus de latitude dans la programmation paradoxalement d’avoir un cadre aussi « serré » ?
Il y a une vraie singularité ici, mais d’une manière générale mon travail est cohérent. Cela consiste à faire se rejoindre des endroits, aussi bien économiques, que des réseaux de scènes. Je voulais voir si le rôle que je pouvais jouer dedans, c’était justement de créer du sens et du lien entre des endroits privés et underground, ou des endroits underground qui ne se côtoient pas. Au-delà de faire du travail de DA parmi d’autres. Mais pour moi, que ce soit filer un coup de main à l’Ourcq Blanc ou travailler avec Lafayette Anticipations, ça va un peu dans le même sens.

Depuis ton départ de Villette Sonique tu multiplies les projets à durée de vie limitée, et à jauge plutôt réduite. Tu penses que c’est de moins en moins possible d’avoir un festival du genre et de la taille de Villette Sonique aujourd’hui ?
Je ne sais pas si on peut en faire une généralité. Avoir des festivals aventureux à plus grosse échelle, c’est uniquement une histoire de désir politique et d’énergie de projet. Des festivals, il y en a plus que jamais d’intéressants, mais à petite échelle.

On a affaire à une multiplicité de niches, oui. Mais est-ce qu’ils sont potentiellement aussi fédérateurs qu’un évènement de taille plus importante ?
Je pense, si tu les mets bout à bout. Tous ces endroits-là, tu arrives à une masse hyper impressionnante et qui représente beaucoup de gens partout en France. Il y a dix, quinze ans tu n’avais pas ça, d’où l’importance à l’époque d’un Villette Sonique pour faire le liant. Mais aujourd’hui, il y a pléthore de propositions où les artistes sont très bien accueillis, de manière super pro. Et avec l’énergie et le cœur qui vont avec.

C’est assez récent tout de même comme phénomène ?
Ça a tendance à se développer en tout cas. C’est peut-être ce qui rend l’originalité de la Villette Sonique aujourd’hui moins pertinente, peut-être. Si ça perd en créativité, en vivacité et en souci des spectateurs et des gens, en pertinence de la programmation et de la manière de la partager, il y a tellement de propositions autour qui proposent ça, certes avec moins de budget mais en plus créatif, que tout le monde y trouve son compte. En tout cas ça met d’autant plus la pression, c’est sûr. [Sourire]

Quand on voit les évènements mastodontes, et à côté de ça ceux qui se multiplient à plus petite échelle, presque en vase clos, on se demande si le mot festival a encore un sens aujourd’hui.
Sur Idéal Trouble j’étais un peu embarrassé, parce qu’au final j’ai dû le mettre. Mais je n’étais pas très à l’aise avec ça, j’ai voulu le faire disparaitre de la page Facebook mais ça n’a pas marché [Rires]. Pour Closer Music pour Lafayette Anticipations, c’était une envie collective. Dans la notion de festival, ce n’est pas trop la grosseur, la taille qui compte si je peux dire, que le concept que tu proposes. Après c’est toujours pareil, à partir de combien de groupes ça devient un festival ? Est-ce qu’il faut un pass, une buvette ? Ça s’entend quand tu proposes quelque chose, quand la temporalité et le lieu existent. Et là il y a effectivement la transformation du lieu, plutôt marqué sur les musiciens liés au travail de la fondation, le rapport à l’architecture du lieu. Mais si je pouvais trouver un autre mot que festival, je le ferais oui. C’est tellement galvaudé aujourd’hui, a fortiori par l’industrie.

Tu penses que les gens en ont marre, ou alors qu’ils ne vont plus en festival pour écouter de la musique ?
Je ne sais pas si c’est (encore ?) aussi marqué, mais il y a pléthore de bonnes histoires de bons endroits dans les choses qui nous intéressent, et une surabondance de foires à la saucisse au kilomètre. Comme tu dis, j’ai l’impression que ça se « radicalise » des deux côtés.

Et surtout toujours les mêmes groupes dans ces foires à la saucisse.
Oui, une surexploitation du filon, qui en plus économiquement n’est pas vraiment viable. Je me demande pourquoi les gens le font, et surtout comment. Les places sont de plus en plus chères…

Tu as dû le voir à ton échelle à Villette Sonique quand tu es parti. Tu avais claqué la porte de manière assez nette.
Encore une fois, le liant économique, comme je l’avais dit dans mon petit communiqué de départ, était plutôt bon. Après c’était évidemment un festival subventionné comme la Villette est un établissement public, mais entre ce qu’on vendait comme billets, ce que le bar rapportait, ce qu’on avait comme partenaires, c’était plus que sain économiquement. Mais l’inflation des cachets, on l’a subie aussi. Et c’est sûr que c’est un peu inquiétant pour le secteur.

Quand tu dis la taille n’est pas importante, pour Closer Music on voit que ça l’est. Vu le nombre réduit d’artistes, tu as envie d’aller tout voir, de tout épuiser.
Oui, là c’est autre chose, parfois la surabondance fait que tu ne t’y retrouves plus. La notion de festival ne se joue pas là-dessus, tu peux avoir 70 noms et être excité, et le contexte va être un peu chargé. Alors qu’au contraire avec trois propositions par soir, tu sais que tu vas potentiellement tout voir. C’est soit un truc que t’entends dans la bouche des spectateurs « pop » : leur groupe joue moins longtemps. Plus t’as de groupes, plus ça peut être lourd. Le groupe n’a pas beaucoup de temps pour faire sa balance, faire des rappels, etc.

Donc oui, l’idée ici c’est de créer une intensité différente, liée au contexte, que les groupes soient excités de jouer avec les autres. Et là pour le coup il y a de ça : Pan Daijing est venue en repérage en amont, parce qu’elle veut en faire un moment particulier. Le format peut être très différent d’une histoire à l’autre, l’important c’est comment raconter une histoire, et comment la rendre excitante. Mais c’est toujours pareil : que ce soit sur Villette Sonique ou Idéal Trouble ou ici, il faut créer une émulation. Et garder le même fil rouge : si tu ne connais pas, ce n’est pas un problème.

Le festival Closer Music commence dès ce soir à Lafayette Anticipations et jusqu’à dimanche, avec Easter, Robert Görl, Céline Gillain, Tirzah, Stine Janvin, Fiesta En El Vacio (en remplacement de Tôle Froide), Pan Daijing, Lucy Railton, et Jessica Sligter. Toutes les informations sont disponibles ici.

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