Dans la série Oops, on célèbre les plus gros ratés de l’histoire.
Depuis l’invention de la pilule contraceptive il y a 70 ans, on a fait des progrès considérables pour réduire le nombre de grossesses non désirées et leur impact sur la vie des personnes qui peuvent avoir des enfants. Pourtant, à ce jour, près de la moitié des grossesses dans le monde ne sont pas désirées, à cause du manque d’éducation sexuelle, de questions culturelles et d’accès aux soins de santé. Même en Belgique, jusqu’à 31% des grossesses ne sont pas planifiées ou sont associées à des incertitudes.
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La vérité, c’est que quel que soit le degré de préparation, les accidents, ça arrive. Aucune méthode contraceptive n’est infaillible et dans le feu de l’action, on a tendance à zapper certaines précautions.
On parle souvent de grossesses non planifiées dans le contexte de l’accès à l’avortement et au contrôle des naissances – et à juste titre, personne ne devrait avoir à mettre au monde un enfant contre son gré. Mais ces récits ne représentent qu’une fraction des grossesses non désirées. Des milliers de personnes naissent chaque jour sans que leurs parents ne l’aient prévu, et leur situation n’est pas toujours tragique.
D’ailleurs, quand on y réfléchit bien, l’une des personnes les plus importantes de tous les temps était un bébé non désiré. Quand ange est descendu du ciel pour l’informer, Miriam de Nazareth, âgée de 15 ans, n’avait probablement pas prévu de mettre au monde le Fils de Dieu. Et pourtant, Jésus n’a pas trop mal tourné – enfin, tout dépend du point de vue.
Pour en savoir plus sur ce que c’est que de venir au monde à l’improviste, j’ai contacté des enfants de type « oups » sur les réseaux et au travail.
Karina Borjia Jimenez (39 ans), cheffe de projet
VICE : Comment t’as découvert que ta naissance n’était pas prévue ? Karina : Je m’en suis rendu compte quand j’étais pré-adolescente. J’ai deux frères et sœurs plus âgé·es que moi et j’ai remarqué que l’écart d’âge était assez important – mon frère aîné a 15 ans de plus que moi et ma sœur 12 ans de plus, et les deux s’occupaient de moi. À différents moments de mon enfance, ma mère ne vivait pas avec nous, donc j’ai compris que mes parents avaient des problèmes.
Plus tard, quand j’avais 15 ou 20 ans, ma mère m’a raconté qu’elle était tombée enceinte alors qu’elle portait un stérilet. Elle a dû rester au lit pendant quatre ou cinq mois parce qu’elle risquait de faire une fausse couche. C’est comme ça qu’elle m’en a parlé en fait. Elle m’a dit : « Quand je t’ai mise au monde, j’ai pris 30 kilos parce que je n’avais pas pu bouger pendant des mois. »
**Mon pire cauchemar ! J’ai aussi un stérilet et j’ai lu des articles sur ce genre de grossesses sur internet. C’est donc une réalité ; tu es bien réelle.
**Oui, c’est vrai. Mais même si j’étais pas prévue, je pense que j’ai été désirée. Elle avait peur de me perdre et a fait beaucoup d’efforts pour m’avoir à terme.
**T’as grandi principalement avec ton père ?
**Et avec mes frères et sœurs, oui. Iels étaient ados quand je suis née et j’ai passé beaucoup de temps avec mon frère. En fait, il a quitté l’école et s’occupait principalement de moi à l’époque. Quand je suis entrée à l’école primaire, ma mère est venue vivre avec nous de manière plus permanente, mais pas avec mon père.
**Tu t’es déjà sentie mal à l’aise parce que ta naissance n’était pas planifiée ?
**Je me suis jamais sentie exclue ou non-désirée. Je pense que ça a eu l’effet inverse : le reste de ma famille est devenu surprotecteur. Bien sûr, j’étais pas prévue. Il s’est passé des choses avant, il s’est passé des choses après. Mais en fin de compte, tout s’est bien passé et je peux pas être plus reconnaissante envers tout le monde.
**C’est mignon. T’as des histoires d’enfance cocasses ?
**Quand j’étais bébé, mon frère et ma mère avaient 30 et 15 ans, mais ma mère fait assez jeune. À un moment, les gens pensaient que j’étais la fille de mon frère et de ma mère.
**Ta mère avait donc 16 ans quand elle a eu ton frère. En fait, s’occuper d’enfants à l’adolescence c’est un truc de famille.
**Oui, mais c’est aussi pour ça que leur mariage a été si difficile. Si tu te lances à 16 ans, je comprends que ce soit difficile 15 ans plus tard.
Michael Venner (32 ans), créatif publicitaire chez VICE
VICE : Comment t’as découvert que t’étais pas prévu au programme ? Michael : Mon père a tendance à raconter des histoires très embarrassantes quand je reçois des potes. Je pense qu’il aime beaucoup faire rire les gens, comme moi d’ailleurs. J’avais une vingtaine d’années et mes potes venaient me chercher pour une soirée. Va savoir comment, il a réussi à glisser dans la conversation : « Tu sais quoi ? T’as été conçu par accident sur le sol de la chambre de ta grand-mère ! » Mes potes étaient dans tous leurs états, et moi, de plus en plus rouge.
**Et tes frères et sœurs étaient prévu·es ?
**Mon frère a un an et demi de moins que moi, et ma sœur a cinq ou six ans de moins. Des années plus tard, mes parents m’ont dit : « T’es pas le seul ; ton frère n’était pas prévu non plus. » Ma sœur était la seule enfant prévue. Après avoir eu deux garçons, mes parents voulaient une fille.
**Selon toi, comment ta naissance a changé la relation de tes parents ?
**J’ai pas réalisé à quel point mes parents étaient jeunes lorsqu’iels m’ont eu jusqu’à ce que je commence à me faire des potes à l’école. Leurs parents avaient toujours 10 à 15 ans de plus. Je pense que ma mère avait 21 ans et mon père environ 20 quand je suis né.
Vu leur âge, iels ont dû faire beaucoup de sacrifices. Mais je suis heureux qu’iels m’aient eu à leur âge. J’aime à penser que mon frère, ma sœur et moi, on les a rapproché·es.
**Et iels sont toujours ensemble ?
**Oui. Ayant passé la vingtaine sans enfants, je suis très reconnaissant qu’iels m’aient élevé comme iels l’ont fait et aient été si présent·es. Je crois qu’une partie de moi s’est toujours sentie un peu coupable, comme si j’avais gâché leur jeunesse. Mais mon côté un peu cheesy me dit que je peux me racheter grâce à mes accomplissements.
**Tu t’es déjà dit que t’aurais préféré ne pas le savoir ?
**Non, jamais. C’est drôle, c’est un moment auquel je pense souvent. C’est bizarre de dire ça parce qu’il s’agit de mes parents qui font l’amour, mais j’adore entendre des histoires comme ça. Mon frère, ma sœur et moi avons grandi avec ce genre d’histoires au moment de Noël, quand la famille se réunissait. Quelques jours, semaines, voire années plus tard, il m’arrive de penser à une histoire et sourire.
Jazmin (29 ans), étudiante en mode et bartender (a préféré ne pas partager son nom pour des raisons de confidentialité)
VICE : Comment t’as découvert que t’as été conçue par accident ? Jazmin : Mes parents n’ont pas eu honte de me le dire, des deux côtés. Mon père et ma mère étaient séparé·es depuis ma naissance. J’étais avec ma mère la semaine et avec mon père les week-ends. Je dois reconnaître que les deux m’ont soutenue. À ce niveau-là, j’ai de la chance. Mais en grandissant, mes parents se sont souvent servi·es de moi pour se manipuler mutuellement. Mon père m’a élevée pour se venger de ma mère, qui le détestait parce qu’il faisait partie de ma vie. En plus, il la harcelait tout le temps et m’empêchait de créer des liens avec elle.
Ce n’est qu’en grandissant qu’elle s’est ouverte à moi et m’a dit qu’elle couchait avec d’autres personnes à l’époque où j’ai été conçue, et qu’elle avait menti en disant qu’elle prenait la pilule parce qu’elle voulait un bébé. Iels ont dû faire un test ADN pour moi.
**Wow. Comment ton père l’a pris ?
**Mon père était bouleversé, c’était pas du tout son plan. À l’époque, il était marié à une femme qui a toujours été là pour moi. J’ai de la chance de l’avoir, d’ailleurs. C’est une des personnes les plus saines d’esprit dans ma vie. Mon père a tout laissé tomber pour s’occuper de moi. Jusqu’à l’adolescence, où tout a basculé. Il m’a dit ouvertement que j’avais gâché sa vie. À l’âge de 18 ans, il m’a mise à la porte. Il m’avait élevée dans un esprit très punk et rebelle, mais quand je me suis rebellée contre ses restrictions, il a pas aimé. Et puis, il a révélé son homosexualité. Il m’a littéralement dit : « C’est fini. Je vais vivre ma vie en tant qu’homme gay. »
J’oublierai jamais cette époque. Il était clairement en train de vivre sa meilleure vie. Il est passé d’un homme très strict et contrôlant à quelqu’un d’heureux, en mode arcs-en-ciel, fées et tout. Dans le fond, j’étais fière de lui. Un jour, il est allé se faire percer les tétons. Fait amusant : le même jour, je m’étais fait percer les mamelons moi aussi ! En fait, je suis aussi gay, alors je me suis ouverte à lui à ce sujet. Tout ce qu’il m’a dit, c’est : « Maintenant, il ne s’agit plus que de moi. J’en ai fait assez pour toi. Va-t’en. »
**C’est un environnement très difficile pour grandir.
**J’ai toujours eu l’impression d’avoir eu une relation affectueuse avec mon père. Mais plus j’ai grandi, plus j’ai réalisé à quel point il était narcissique et manipulateur, tant avec sa partenaire qu’avec moi. Ma mère a également eu plusieurs partenaires, ce qui m’a empêché de nouer des liens avec elle. Elle aussi est toujours très égocentrique.
**Cette enfance chaotique a affecté ta perception de toi-même ?
**Je dirais que j’ai eu beaucoup de chance, d’une certaine manière, parce que j’ai capté toutes ces conneries dès mon plus jeune âge. J’ai grandi en réalisant que je pouvais faire confiance ni à l’un·e ni à l’autre. Iels m’ont permis d’aller à l’école et m’ont soutenue, mais j’ai jamais pu les considérer comme des figures d’amour.
Ça m’a définitivement affectée dans mes relations et mes amitiés, j’ai une peur de l’abandon pour laquelle je souhaite toujours suivre une thérapie. Mais au final, je suis assez fière de moi. Tout ça m’a permis de devenir une personne forte et sûre d’elle sans avoir besoin de l’acceptation des autres.
**T’en veux à tes parents ?
**À mes 25 ans, j’ai réalisé que mes parents avaient le même âge que moi quand iels m’ont eue, et ça a complètement changé mon point de vue. Aujourd’hui, je leur en veux pas vraiment. En fin de compte, je peux dire qu’iels ont fait de leur mieux, mais ce sont des personnes manipulatrices et elles n’arrivaient pas à s’en empêcher – iels sont toujours comme ça aujourd’hui. C’est leur problème. Je règle les miens ; il serait temps qu’iels en fassent autant.