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Range Tes Disques : Phoenix

Photo – Emma Le Doyen


Range Tes Disques est une rubrique dans laquelle nous demandons à un groupe ou un artiste de classer ses disques par ordre de préférence. Après Korn, Slipknot, Lagwagon, Hot Chip, Manic Street Preachers, Primus, Burning Heads, le label Fat Wreck Chords, New Order, Ride, Jean-Michel Jarre, Blur, Mogwai, Ugly Kid Joe, Anthrax, Onyx, Christophe, Terror, Katerine, Redman, Les Thugs, Moby, Les $heriff, L7, Descendents, Teenage Fanclub, Dinosaur Jr, Kery James, Brujeria, Ludwig Von 88, Étienne Daho, Loudblast et Pavement, c’est au tour de Phoenix de classer ses disques. On a donc demandé au guitariste Christian Mazzalai et au bassiste Deck D’arcy de les remettre dans l’ordre, de celui qu’ils trouvent le moins bon, à celui qu’ils considèrent comme le meilleur.

5. Bankrupt (2013)

Christian Mazzalai : C’est super difficile. On a tellement passé de temps sur chaque disque. En même temps, j’en aime aucun. C’est vrai. On ne les écoute jamais en plus. Sauf Alphabetical, que j’aimais vraiment pas trop. Et puis on l’a entendu dans un bar par hasard il y a deux ou trois ans. Ils l’avaient passé en entier. Au final, on s’est dit qu’il était pas si mal. Donc, ce qui est certain, c’est qu’on peut déjà écarter celui-là.

Deck : Moi je mettrai plutôt le dernier, Bankrupt, parce que c’est souvent par rapport au dernier qu’on fait le nouveau.

Christian : C’est vrai. On déteste souvent notre dernier LP au moment de se lancer sur quelque chose de neuf. Pour pouvoir créer, il a fallu tout brûler derrière nous. Et avec Ti Amo, on a voulu s’éloigner le plus possible de Bankrupt.

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Pendant l’enregistrement de Bankrupt, vous écoutiez beaucoup de musique italienne. Lucio Battisti, Claudio Monteverdi… Ça s’entend pas vraiment sur Bankrupt, en revanche ça ressort énormément sur Ti Amo.
Deck : C’est souvent comme ça. On a besoin de temps pour que les choses mûrissent. La musique que l’on fait, c’est un mélange de nos influences et des instruments dont on dispose sur le moment. On digère lentement.

Christian : On achète plein d’instruments et on ressort régulièrement de vieilles choses.

Justement, Bankrupt avait été mixé sur une console Harrisson 4032 que vous aviez déniché sur Ebay. Qu’avait-t-elle de spécial ?
Christian : C’est la console qui avait été utilisée pour Thriller de Mickael Jackson. La vraie, l’unique. Avec un bouton customisé spécialement pour Bruce Swedien qui avait mixé l’album. En appuyant sur ce bouton, tu vas dans certaines fréquences très spéciales.

Deck : Tu tires le bouton et il y a un bouton magique. On a à nouveau utilisé cette console pour enregistrer Ti Amo.


4. Alphabetical (2004)

Que reproches-tu à cet album ?
Christian : Rien, mais on a mis beaucoup de temps à le faire, et je trouve que ça s’entend un peu.

C’est votre album le plus minimaliste. C’était un rejet du trop plein de United ?
Deck : Il est surtout plus homogène que United. Pas vraiment plus minimaliste. Dans United, on avait mis tout ce qu’on aimait. On a surtout des souvenirs très mitigés d’Alphabetical. C’était un album pénible à faire. Sentimentalement, ça n’avait vraiment pas été une partie de plaisir. Du coup, c’est assez normal de le classer en avant-dernier.

Christian : Même si c’est vraiment difficile d’être objectifs sur nos albums.

Alphabetical contenait trois balades somptueuses. Un créneau que vous avez quasiment abandonné au fil du temps.
Deck : C’est vrai. Sur Ti Amo, il y a des gens qui trouvent que « Telefono » en est une. Mais t’as raison, on a laissé tombé les balades. En fait, on en avait une pour Ti Amo, mais on ne l’a pas mise. Ça ne marchait pas. On a essayé pourtant, parce qu’on a vraiment cette culture des balades. C’est des choses qu’on écoutait adolescents.

Christian : Sur Ti Amo, on a enlevé cette balade le dernier jour. Pour une fois, on voulait avoir 11 titres mais ça ne fonctionnait pas quand on écoutait l’album en entier. Alors on l’a enlevé.

Il y avait de grosses influences R&B sur Alphabetical, non ?
Christian : On peut même parler de traumatisme je crois. Une sorte de choc. Un album en particulier nous avait marqué. Voodoo, de D’Angelo. Il était loin de nous, mais il nous fascinait, cet album. C’est pour ça qu’on a perdu un an à enregistrer Alphabetical. On devait tout réapprendre en fonction de ce disque de D’Angelo, avec des nouveaux codes qu’on ne maîtrisait pas du tout. C’est ça qui était intéressant d’ailleurs.

Deck : A l’époque, personne ne s’était rendu compte de l’influence mais nous on était persuadés que tout le monde allait se dire qu’on avait copié D’Angelo.

Christian : On avait même pris Pino Palladino, son bassiste, sur 3 titres d’Alphabetical. Mais au final, ça a donné quelque chose d’extrêmement éloigné.

Les critiques négatives reçues en France sur United ont-elles impacté Alphabetical ?Deck : Pas du tout. C’est vrai qu’il y avait eu des critiques négatives en France pour United

Christian : Mais comme on avait eu plein de critiques positives à l’étranger, ça équilibrait les choses. Et ça nous avait rassurés.

Deck : Ces critiques n’ont eu aucune influence. C’est vraiment grâce ou à cause de Voodoo qu’on avait fait Alphabetical.

Christian : Je me rappelle que l’intro de « Victim Of The Crime » était inspirée de « Still Dre » de Dr Dre.


3. It’s Never Been Like That (2006)


Christian : Totalement à l’opposé d’Alphabetical. Le processus avait été très agréable. Nous étions allés à Berlin l’enregistrer, dans l’urgence absolue.

L’enregistrement se passait dans les locaux de la radio nationale d’ex-Allemagne de l’Est. Un endroit incroyable, non ?
Christian : Un endroit magique. Il restait encore un coiffeur et une coiffeuse de l’époque. Et une cantine vide. C’était gigantesque.

Deck : Quasiment une petite ville.

Christian : Une petite ville où il y avait 8000 employés à l’époque. Là, il en restait à peine 8. Et quelques studios de musique.

Deck : On voulait vraiment enregistrer à Berlin. Pendant la tournée précédente, Christian et moi avions visité plusieurs studios. Certains étaient très classiques, des trucs semi-professionnels qui ne faisaient pas vraiment rêver.

Christian : On a fini par visiter un studio avec 5 pièces énormes. C’était aux limites de la ville. Ces pièces servaient pour jouer des pièces de théâtre diffusées à la radio en RDA. Il y avait aussi une salle de bruitage immense, avec d’une extrémité du parquet à l’autre un tapis, et en face du marbre. Ils enregistraient tous les sons, ils les fabriquaient. Il y avait aussi une salle magique. C’était celle qui simulait l’extérieur. Une salle sans écho, mais avec du gravier, du sable, etc. C’est dans cette salle qu’on avait enregistré tout l’album. Les ingénieurs du son se demandaient pourquoi on allait là. Simplement parce qu’on cherchait le son le plus sec possible.

Tellement sec que vous aviez même laissé sortir « Diet Of The Heart », votre morceau lo-fi.
Christian : C’est sorti, ça ?

Deck : Oui, sur Itunes je crois, en bonus track.

Christian : On a énormément de bouts de morceaux qu’on a jamais utilisés. On a aussi quelques morceaux finalisés qu’on n’a jamais sorti. Mais vraiment très peu. C’est surtout des idées, des ébauches.

2. Wolfgang Amadeus Phoenix (2009)

Christian : À toi de choisir le deuxième, Deck.

Deck : Le truc, c’est que je mettrai bien United en premier pour la prise de risque, mais c’était notre premier, donc on était un peu inconscients alors je sais pas si on peu vraiment parler de prise de risque. Je l’ai réécouté récemment. C’est difficile pour nous de parler de tout ça de façon objective. Les morceaux de Wolfgang Amadeus Phoenix sont mieux écrits, mais United est plus fou. C’est notre album le plus fou. Définitivement.

Alors, on fait quoi ?
Christian : Wolfgang en deux, et United en un.

Wolfgang, c’est l’album du succès. Vous le sortez à l’arrache sur votre nouvelle structure, Loyauté, et vous remportez un Grammy.
Christian : On ne s’attendait pas du tout à tout ça. Ce succès est dû au hasard, à un alignement des planètes étrange. C’était totalement imprévisible. On n’avait même pas de maison de disques quand on l’a fait. En faisant écouter l’album aux maisons de disques, on s’est rendu compte que personne ne voulait de Phoenix. Tout le monde s’en foutait un peu. Un succès, ça peut être très dangereux. Mais là, c’était tellement imprévisible que ça n’a rien changé dans le groupe. On avait déjà fait trois albums avant, nous étions prêts. « Lisztomania » et « 1901 » sont nos morceaux qui ont le plus marché aux États-Unis. On est fiers de ces morceaux. Le pire qui aurait pu se produire, c’est un succès sur un titre qu’on n’assumerait qu’à moitié. C’est le côté idyllique et fou de l’affaire. On a rencontré le succès avec un album qu’on assume à 100 %.

Il y a des morceaux que vous n’assumez pas dans votre discographie ?
Christian : Peut-être un, « On Fire ». Et encore…

C’est celui avec Bazbaz à l’orgue Hammond sur United ?
Deck : Oui. C’est un morceau qu’on n’a pas totalement maîtrisé. On s’est un peu fait prendre par l’orgue, justement.

Christian : En même temps je t’avoue que je ne l’ai pas écouté depuis au moins 10 ans. Si ça se trouve…

Deck : En fait, ce qu’on aime pas sur ce titre, c’est qu’au moment de l’enregistrer, l’orgue nous a complètement échappé. Et vu qu’on est très à cheval sur le contrôle…

Christian : Quelque part notre avis n’a aucun intérêt, non ? On est vraiment en train de parler de l’envers du décor, là. De notre cuisine. Je sais pas si ça intéresse les gens de savoir ça. On fonctionne de façon assez terre à terre. Chaque album est une quête. Chacun comporte des ratés. Surtout pour Deck.

Deck : J’estime qu’on a sorti que des démos jusque-là.

Christian : Pour lui, aucun de nos albums ne vaut le coup.

Deck : Si, j’aime nos albums mais… Sur la production, on pourrait faire beaucoup mieux. C’est charmant tout ça, mais j’attends encore qu’on sorte un « vrai » album. C’est paradoxal. Je voudrais du gros son et en même temps j’aime aussi notre côté plus amateur.

Christian : On est en quête de quelque chose qu’on n’a toujours pas trouvé. Ce quelque chose, c’est ce que Deck entend dans ses oreilles. Niveau composition on est bien dans notre peau, mais c’est vrai qu’au niveau production, on peut encore mieux faire.

Vous êtes quand même satisfaits par ce qu’a fait Philippe Zdar sur Wolfgang Amadeus Phoenix ?
Deck : Oui ! La production de Wolfgang est super. En plus c’est vraiment une collaboration avec lui. Son apport en production est aussi très psychologique. C’est quelqu’un qui sait mener une équipe pour en tirer le meilleur. Après, on reste responsables de 100 % de l’album, du bon comme du moins bon.

1. United (2000)

Pourquoi le classer en numéro 1 ?
Christian : Peut-être parce que c’est celui de l’inconscience. De la première fois. On a tout découvert avec cet album et stylistiquement, on a fait des choses qui étaient complètement interdites par le bon goût de l’époque. On était fous. Les gens ne comprenaient pas.

Deck : D’où certaines critiques négatives.

Dans Libération, Bayon vous a traité de « pur produit populaire du cool industrieux ». Il qualifiait Deck de « playboy anonymographe » et Branco de « vétéran à lunettes »…
Christian : C’était une époque où il y avait tellement de règles et de codes…Tu pouvais pas écouter en même temps les Smiths et De La Soul. C’était impossible. Trop fou. Je dis pas que c’était pas bien. C’était marrant finalement. Mais nous, notre plaisir, c’était de dynamiter tout ça. Je me rappelle très bien que Bayon avait dit que sur « Funky Squaredance » on avait mis une fausse foule. Alors qu’on avait fait venir tous nos potes dans le studio pour applaudir et faire la foule. Il nous reprochait que ce soit faux. À l’époque, fallait que tout soit vrai.

Cette incompréhension venait aussi du fait que l’album contenait un peu l’ensemble de vos influences adolescentes, non ? Ça partait vraiment dans tous les sens.
On mélangeait tout. Même du clavecin sur « Summer Days ». £A l’époque, on avait une méthode que j’adorais et sur laquelle j’aimerais qu’on reparte pour le prochain album : on finissait complètement un morceau avant de passer au suivant, ce qui nous permettait d’aller complètement ailleurs. C’est un peu pour ça qu’on se retrouvait à passer de « If I Ever Feel Better » à « Funky Squaredance ». Alors qu’aujourd’hui, on considère un album comme un tout et on fait tout en même temps.

United est aussi arrivé en plein revival 80’s, avec des groupes comme Zoot Woman ou Playgroup, par exemple.
Deck : Je sais pas si nous sommes réellement responsables de ça. Nos sonorités n’étaient pas très cool, c’est sûr, mais elles faisaient vraiment parties de nous. On a grandi avec ces sons, qu’on détestait même, parfois.

Christian : Le truc qui nous excitait, c’était d’utiliser un solo de saxophone qui était complètement tabou, et de le mettre avec des trucs plus étranges. Je me rappelle que Brian Retzell, un musicien de Los Angeles super coté, m’avait appelé quand il avait entendu « Definitive Breaks ». Pour lui, on était des cinglés et il n’y avait que des français pour oser faire ça.

Deck : Dans le contexte, c’était bien plus punk qu’un groupe qui met de la disto.

Pourquoi vous ne jouez jamais « Honeymoon » en concert ?
Deck : On a essayé au début. Mais ça ne marche pas et les concerts doivent obéir à quelques règles.

Christian : « Honeymoon », c’est notre premier vrai morceau. On avait déjà écrit « Party Time » mais c’était pas vraiment un morceau. Avant United, on finissait jamais réellement nos morceaux. C’était des brouillons dont on se contentait.

Avant United, vous vous cherchiez. Je me souviens de ce maxi, Heatwave, un peu dance.
Christian : C’est vrai qu’on essayait de brouiller les pistes. Certains nous prenaient même pour des DJ’s.

À cette époque, vous aviez d’ailleurs été programmés à Astropolis, un festival de techno.
Christian : C’était un concert mythique. Il y avait Alan Vega juste après nous sur scène.

Deck : C’était pas Suicide ?

Christian : C’était fou. Pendant notre concert, on s’entendait à peine jouer. Il y avait de la gabber à fond juste à côté, un truc genre Manu Le Malin. Quand Vega est arrivé, il a commencé à faire des larsens de folie en approchant et en reculant du retour son. C’était infernal. Tout le public était sous dope, c’était en plein milieu d’un bois, dans un petit château. Ce concert est dans notre top 3 des moments les plus barrés qu’on ait vécu.

Votre nouvel album, Ti Amo, sort en juin. Vous savez déjà vers quoi vous voulez aller sur le prochain ?
Deck : On a déjà des idées, oui.

Christian : On a plein de morceaux qu’on a pas encore sorti. Pour la première fois, on a des réserves. Et plein d’ébauches d’idées qui nous excitent et qui nous donnent des directions nouvelles. Mais bon, dans deux ans on en aura sûrement marre de Ti Amo et je sais pas du tout vers quoi on ira. C’est toujours comme ça qu’on fonctionne.

La voix de Thomas est pas mal trafiquée sur Ti Amo. C’est l’influence de Julian Casablancas qui enregistre parfois sur dictaphone ?
Christian : Je ne crois pas, même si on a fait une grande tournée en Amérique du sud avec lui, et pas mal de super parties de football.

Deck : C’est un vieux fantasme de Thomas. Trouver quelque chose de neuf pour sa voix. On l’avait pas vraiment fait sur Bankrupt.

Aucun regret sur ce classement ?
Christian : Non, aucun. Deck avait raison. Bankrupt est vraiment nul, je le déteste.

Deck : Objectivement, il est plus dur à écouter que nos autres albums. Au-delà du fait que c’est le dernier.

Christian : Par contre on est toujours fiers des chansons qui sont dessus, nan ?

Deck : Oui. À part deux trois structures, c’est plutôt pas mal.



Ti Amo sort le 9 juin sur Glassnote Records/Warner.


Albert Potiron est sur Twitter.