A ce moment-là, on aurait dit comme la fusion étrange entre l’histoire et la nouveauté, un étalage des toutes les qualités et les défauts de Kobe Bryant, condensés en une seule soirée. Pour ses fans il s’agissait de la confirmation de Kobe comme l’un des plus grands marqueurs de l’histoire de la NBA ; pour ses détracteurs, c’était la confirmation qu’il était, comme on pouvait le lire mot pour mot dans le Los Angeles Time, « une icône de jeu égoïste et de comportement irascible. »
Le 22 janvier 2006, il y a près de 14 ans, Bryant réalisait le second record du nombre de points marqués en un seul match dans l’histoire de la NBA lorsqu’il a passé 81 points aux Toronto Raptors. Encore aujourd’hui, ce match fait l’effet d’un test de Rorschach, d’une preuve persistante du débat qu’il y a autour de l’éthique de jeu de Kobe Bryant : a-t-il cherché à gagner le match ou simplement à se mettre en valeur ?
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D’une certaine manière, il s’agit du match où il a laissé son empreinte, parce que d’un côté ce fut une belle performance, mais en même temps ses motivations n’étaient pas claires. Lorsqu’on lui a posé la question plus tôt cette semaine, Bryant nous a répondu que pour lui le match était « flou ». « J’ai pas vraiment compris ce qui m’est arrivé, a-t-il dit au Daily News de Los Angeles. C’était très bizarre. »
Il faut rappeler qu’il s’agissait d’une période étrange et controversée dans la carrière de Bryant. Il avait 27 ans et était au top de sa forme. Pourtant, les Lakers étaient une équipe moyenne qui composait avec Bryant. Shaquille O’Neal avait quitté le Staples Center un an et demi plus tôt sous les critiques et la controverse. Kobe se demandait encore ce qu’il pouvait faire sur le terrain sans Shaq à ses côtés ; sa moyenne de points avait grimpé de presque neuf points depuis le départ d’O’Neal. Une des raisons pour laquelle sa moyenne avait augmenté cette saison était qu’il ne faisait pas confiance à ses autres coéquipiers pour marquer ; une des raisons pour lesquelles Kobe a marqué 81 points ce soir-là est qu’il sentait que c’était la meilleure manière pour que les Lakers gagnent. Telle est la carrière de Kobe Bryant, où égoïsme et bien commun se sont si souvent chevauchés.
Voilà de quoi réfléchir au milieu de toutes les élégies qui seront sans doute écrites dans les prochains mois : Est-ce « égoïste » et « irascible » d’avoir raison ?
« Je suis un marqueur, peu importe avec qui je joue, disait Bryant la semaine précédant le match. J’allais marquer. Mais face à cette équipe c’était beaucoup plus dur de marquer. »
La soirée commença de manière convenable pour Kobe : il s’envola et plana jusqu’au panier pour planter un layup renversé remarquable. Ensuite, il passa à travers la première moitié du match, son équipe devancée de 14 points par les modestes Toronto Raptors. A peine neuf minutes avant la fin du troisième quart-temps, l’écart s’était creusé et ils était menés de 18 points. A ce moment là, le score total de Kobe était de 30, il s’approchait de sa moyenne de la saison qui était de 35,4, jusque là rien d’extraordinaire. Mais ça le devint en un instant. Il réalisa un jump shot de 6m, puis un trois points de 8m et enfin un autre de 8,3m. Il marqua 27 points rien que pendant le troisième quart- temps ramenant les Lakers à 91- 85, et finit par marquer 28 points dans le quatrième ? En moins de 42 minutes seulement, Bryant réalisa 28 des 46 tentatives de paniers, marqua 7 paniers à trois points sur 13, et réussit 18 lancers francs sur 20. Les Lakers gagnèrent, 122 à 104.
Selon Jalen Rose des Raptors, il n’a absolument rien dit du début à la fin. Il n’a pas parlé et il ne s’est moqué de personne. (« Il était sur les nerfs » d’après son coéquipier Lamar Odom). C’était comme si sa colère l’avait transporté dans une autre dimension, ses flat jump shots pleuvant de tous les côtés, ses courses au panier se terminant soit en mid-range spin move soit en layups soit en points marqués depuis la ligne de lancers francs. Du début à la fin, a souvent insisté Rose,u début à la fin, a souvent insisté Rose, les Raptors ont été bloqués dans une défense de zone en 1-2-2. L’entraîneur de Toronto, Sam Mitchell avait expressément refusé que Bryant soit marqué par deux joueurs, en partie pour donner une leçon à son équipe, expliquait Rose. Du coup, Kobe a mangé les Raptors tout cru, sans doute juste parce qu’il le pouvait.
« Ça veut dire que tout est possible, » disait Bryant cette semaine ? « Quand on joue, petit, on a un rêve et même si les rêves sont sauvages et parfois illusoires, on travaille dur. On croit que des nuits comme ça peuvent arriver. »
Une décennie plus tard, il y a toujours beaucoup de questions au sujet de Kobe qui n’ont pas trouvé de réponse et d’autres qui n’en ont sans doute pas – savoir par exemple comment le juger en tant que joueur et en tant que personne, ou où il se situe dans le panthéon des plus grands joueurs de tous les temps. Il y a des questions sur les intentions de Kobe, et on se demande si le fait qu’il soit vu comme un inflexible bourreau de travail maniaque de contrôle est une chose positive ou négative. Les interrogations au sujet de Kobe tournent souvent autour de sa motivation, et ce fut le cas même à la suite d’une des plus grandes performances athlétiques individuelles de son temps.
Un autre lecteur écrit dans une lettre au Times de Los Angeles cette semaine là, « Félicitations à Kobe Bryant ». « Non seulement il a mis la barre haute sportivement parlant mais il a même crevé le plafond. Grâce à cette performance, les équipes de football américain de collège et lycée pourront maintenant avoir un rusher (c’est un gars qui va marquer sans faire de passe) dès le premier match de la saison lorsqu’il joueront contre une équipe faible ! Et pourquoi ne pas se débarrasser de cette « 10-run rule » (règle qui veut que chez les jeunes, lorsqu’une des deux équipes mènent par plus de 10 runs après la moitié du jeu, la partie est terminée) en base-ball en Little League ? Franchement qu’est ce que ça apprend du sport à nos enfants ? »
Ça peut paraître hautain comme critique, mais c’est là le paradoxe de Kobe Bryant. Même l’une de ses nuits les plus exceptionnelles passera à la postérité non seulement pour son excellence mais également pour l’individualisme dont il a fait preuve. Je vois pas comment il pourrait en être autrement.
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