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Sur le jeu de piraterie Atlas, l’affrontement tourne au racisme

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Début décembre, alors que la communauté des jeux massivement multijoueur attendait avidement la dernière mise à jour du Skull & Bones d’Ubisoft, un autre MMORPG basé sur la piraterie, Atlas de Grapeshot Games, a débarqué presque sans prévenir. Presque, car Atlas a complètement foiré son lancement. Prévu pour le 13 décembre en accès anticipé et porté par une grosse hype qui le comparait notamment au jouissif Sea of Thieves, le jeu a finalement été repoussé à la semaine suivante… Puis un journée plus tard. Comme départ, on a vu mieux.

Ce vendredi 12 janvier, presque trois semaines après son lancement, Atlas affiche des critiques « plutôt négatives » sur Steam… Et squatte néanmoins sa liste des meilleures ventes depuis le premier jour. Le jeu divise tellement que Kotaku a décidé de laisser ses lecteurs se faire un avis en compilant les commentaires lâchés par les joueurs sur la plateforme de Valve.

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En dépit de tous ses bugs, le titre de Grapeshot Games intrigue et amuse. Les joueurs parcourent terre et mer pour trouver de quoi manger, commercer, s’armer toujours plus, combattre des monstres mythologiques, faire des câlins à des pingouins et tenter de repousser leurs bourreaux : des hordes de joueurs chinois ultra-coordonnés, omniprésents et impitoyables. Car dans ce monde ouvert de 45 000 km², aucune rivalité n’est plus incandescente que celle qui oppose la « Chine » — ou, du moins, les joueurs qui parlent chinois — au reste du monde.

Les équipages sinophones, terreurs des mers

Lorsque vous débutez sur Atlas, le jeu ne balance pas votre pauvre avatar de n00b dans la mêlée et vous réserve une petite zone le temps d’apprendre les bases. Vous commencez comme un naufragé : bite et couteau à la main, vous devez secouer les cocotiers pour vous sustenter. Quelques niveaux plus tard, vous pouvez bricoler un rafiot et naviguer vers le large pour entrer sur la map, la vraie, celle où s’entassent 40 000 joueurs en simultané. Cette énorme zone jouable est constituée d’une chaîne de « zones-serveurs » de 150 joueurs que rien n’empêche de s’étriper à vue. Dans ce chaos, la stratégie la plus logique consiste à trouver des copains et créer des « compagnies ». Les deux maps PvP d’Atlas, une nord-américaine et l’autre européenne, encouragent ces alliances. C’est tout l’intérêt de ce MMO de pirates : fondre sur l’ennemi tel un seul homme avec une flottille surarmée et faire un carnage au milieu de l’océan. À ce jeu-là, visiblement, les joueurs chinois sont de loin les meilleurs.

Les membres du plus gros subreddit consacré à Atlas se plaignent souvent de la présence de groupes de joueurs chinois. Ultra-coordonnés, ces derniers démoliraient méthodiquement tout nouvel entrant dans les serveurs PvP. Les victimes racontent tous la même histoire, avec diverses nuances de WTF : à peine arrivés sur les terres (et mers) hostiles, leurs bateaux se font oblitérer par des flottes battant pavillon chinois. « Ils se foutent de votre niveau, ils vont vous trouver et détruire votre rafiot » écrivait un joueur le 29 décembre. « Ça n’a rien à voir avec des compétences, tout ce qu’ils ont, c’est le nombre. » Des vidéos des massacres tournent et la frustration gronde, au point que certains joueurs accusent les Chinois de cheat, de hack et de duperie. Un barrage de mauvaise foi qui vire parfois au racisme.

Mots-clés « interdits » et Grand Firewall

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Un navire manifestement conçu pour embêter les Chinois. Image : Imgur

Interrogé par PC Gamer, l’un des modérateurs de r/atlas rappelle que la situation n’est pas inédite : sur les serveurs du jeu de survie Ark : Survival Evolved, le précédent jeu de Grapeshot Games, les joueurs chinois s’écharpaient déjà avec le reste du monde. Il explique : « Sur Atlas, les choses ont vraiment dégénéré parce que c’est un jeu de type MMO de grande échelle. »

La tension monte, les accusation de racisme fusent pendant les discussions, le champ lexical durcit et les stratégies deviennent carrément limite. Customiser son bateau en mettant le drapeau américain sur ses voiles ? Pourquoi pas. Afficher la bannière libertarienne « Don’t tread on me », Ronald Reagan, le Dalaï Lama et la photographie de l’Homme de Tian’anmen côte à côte sur sa voilure, en revanche, c’est plus limite. Un peu comme pendre des joueurs chinois et exposer leurs cadavres, même si c’est permis par le jeu.

Certains rageux tentent de faire déborder l’affaire dans le meatspace en balançant une liste de mots soi-disant interdits par le Grand Firewall de Chine (des mentions à Tian’anmen, notamment) dans le chat du jeu. Cette suite de mots-clés est supposé déclencher des déconnections ou des arrestations. Contacté par Motherboard, Charlie Smith, un membre de l’ONG chinoise de lutte contre la censure GreatFire, rapporte que cette vilaine tactique ne fonctionne pas — et même qu’elle peut valoir des ennuis à son auteur : « Les autorités chinoises ne peuvent fouiner que si les serveurs et l’entreprise sont sis en Chine et opèrent en tant qu’entités chinoises. […] Dans certains cas, cette tactique peut se retourner contre les gamers anti-Chinois, car des gamers chinois peuvent prendre des captures d’écrans des joueurs qui diffusent ces mots-clés. Si l’identité numérique du joueur est liée à son identité réelle, il peut finir sur une liste et se voir refuser un visa touristique pour la Chine. »

Malheureusement, ce n’est pas la première fois qu’une partie toxique du monde des MMO s’attaque à la communauté chinoise au point d’appeler les studios à les exiler sur des serveurs dédiés, rappelle PC Gamer : la même histoire s’est déjà produite sur Player Unknown Battlegrounds (PUBG) et avant ça sur Dota 2. Certes, cette mesure permettrait de réduire les problèmes de latence rencontrés par les joueurs occidentaux lors de leurs escarmouches avec les clans chinois. Sauf que Wildcard a déjà répondu à sa communauté que le jeu ne serait pas « region locked ». En attendant, le subreddit du jeu a commencé à modérer plus fermement les propos des utilisateurs et les posts les plus agressifs ont disparu. Contrairement à l’armada chinoise qui, elle, devrait continuer à terroriser les sept mers.

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