Il y a quelques jours, une info du Guardian stipulant que les psychopathes préfèreraient le rap à la musique classique a été reprise par nos bien-aimés confrères de Valeurs Actuelles -ainsi que par tout un tas d’autres génies-, qui en a fait l’un de ses gros titres de la semaine -en l’absence de fait-divers impliquant des roms, ou de soupçons de financement du terrorisme par des chanteurs de raï. Alors évidemment, à l’heure où tout le monde a le mot « fakenews » à la bouche, mais où personne ne vérifie la moindre source pour autant, il n’existe absolument aucune raison d’espérer voir Valeurs Actuelles, un média qui s’est déjà rendu coupable de diffusion de fausses informations, prendre la peine de se poser des questions au sujet d’une telle affirmation. Les psychopathes aiment le rap, l’info nous plaît, on la publie telle quelle – de toute façon, il n’y a pas de raison que ce soit faux, étant donné que les racailles et les djihadistes aiment aussi le rap.
Heureusement, les Décodeurs du Monde ont pris le temps de rappeler que l’étude permettant d’affirmer qu’effectivement, les psychopathes préféraient le rap, n’en était qu’à sa phase préliminaire – et même très préliminaire, pour reprendre les mots exacts de l’auteur. Seulement 200 personnes ont été interrogées jusqu’ici, l’étude n’a pas encore été publiée, ne le sera pas avant de longs mois de travaux, et aucune conclusion n’a encore été tirée. Supposer, en l’état des choses, qu’il est possible de ressortir une quelconque information concrète de ce brouillon n’a absolument aucun sens. Malgré son gros titre un brin racoleur, The Guardian – qui n’est tout de même pas le pire des quotidiens anglais – détaille plutôt bien la situation et l’état d’avancée de l’étude, chose qu’évite soigneusement de faire Valeurs Actuelles, qui se contente juste de récupérer l’info qui l’intéresse.
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Se moquer de Valeurs Actuelles est facile et mesquin, mais dans cette France morose des grèves et de l’automne éternel, il faut savoir agrémenter son quotidien de petits plaisirs. L’affirmation « les psychopathes préfèrent le rap à la musique classique » aurait pu avoir du sens il y a vingt-cinq ans, à l’époque où le hip-hop était encore un mouvement marginal loin d’être entré dans les moeurs de la bonne société. Mais on est en 2017, les gars : tout le monde préfère le rap à la musique classique. Même les maisons de retraites se trémoussent sur du Maître Gims. Pour être franc, à l’heure actuelle, vous avez plus de chances de passer pour un psychopathe si vous passez vos week-end à écouter l’intégrale de Bach en 155 CDs plutôt qu’une playlist Jul-Niska-Hugo TSR.
Alors certes, tout dépend du type d’artiste que vous affectionnez : on pourrait par exemple supposer qu’un auditeur attiré par les textes crasseux d’un Alkpote évoquant un fist anal par le biais d’un museau de labrador, ou d’un Kaaris comparant son sexe à un gilet de sauvetage pour sa capacité à gonfler quand on le pompe, aurait des tendances à la psychopathie bien plus prononcées qu’un fan de Wolfgang Amadeus Mozart, unanimement reconnu comme l’un des plus grands génies mondiaux de l’histoire de la musique. C’est pourtant Mozart, et non Alkpote, qui est l’auteur du fameux « Leck mich im Arsch » – littéralement « Lèche-moi le cul » -, un sonnet qui fait référence aux tendances scatophiles du compositeur. Si le sujet vous intéresse, jetez un oeil aux correspondances de Mozart avec sa cousine, qui contiennent quelques perles pour tout amateur de cette étrange paraphilie – allez-y tout de même en étant bien averti, certains passages sont franchement hardcore.
Mais ne soyons pas de mauvaise foi, et mettons la scatophilie de Mozart sur le compte des moeurs étranges de la bourgeoisie autrichienne du XVIIIe siècle. soit. On le considérera alors comme un cas à part, l’exception scato qui confirme la règle. Mais pour les autres ? Carlo Gesualdo, l’un des plus fameux compositeurs italiens du XVIe siècle, a massacré sa femme et son amant avant de s’auto-flageller pour se punir, employant à ses propres frais des bourreaux pour le frapper durement quotidiennement, pendant les derniers jours de son existence ; Alexandre Scriabine se croyait capable de marcher sur l’eau ou de léviter ; Robert Schumann a eu des hallucinations toute sa vie et a fini interné. Alors certes, la plupart des rappeurs sont mégalomanes et bipolaires, mais franchement, en termes de psychopathie, ils restent à des années-lumières de tous ces tarés issus de la musique classique.
D’ailleurs, vous imaginez Orange Mécanique avec une bande-son hip-hop ? Ce n’est pas de l’acharnement -j’aime moi-même beaucoup la musique classique-, mais posons-nous les bonnes questions : de l’ambiance inquiétante et malsaine instaurée par la 9ème symphonie de Beethoven et l’Ouverture de Guillaume Tell, on passerait dans le burlesque en habillant les scènes de violence commises par Alex Delarge et ses acolytes de gros titres de la Three 6 Mafia ou de Jason Voriz – quoique ça pourrait éventuellement fonctionner avec Vald, à qui on pourrait même filer le rôle principal dans un éventuel reboot.
Bien sûr, des cas de psychopathes et de meurtriers existent chez les fans de Chief Keef, ou, vingt-cinq ans en arrière, de Tupac, et probablement, d’ici quelques années, de Big Flo et Oli. De la même manière que le serial-killer Richard Ramirez adorait AC/DC, que Ronald Pituch ce mec condamné à 50 ans de prison après avoir tué sa mère et un gamin du voisinage, croyait qu’une chanson de Metallica lui était adressée, ou que Jared Lee Loughner, auteur présumé de la fusillade de Tucson, était obsédé par Drowning Pool.
Le pire dans les non-résultats de l’embryon étude citée par Valeurs Actuelles reste les morceaux de rap évoqués dans l’article : les pires psychopathes seraient ainsi fans de « No Diggity », un titre qui, malgré ses qualités indéniables, a au moins 200 ans, et que personne de vivant n’a écouté depuis le début du XXIe siècle.
Il y a dix-huit mois, quand Valeurs Actuelles publiait un incroyable numéro spécial « France Racaille » en consacrant un dossier d’une grande pertinence journalistique à accuser le rap de tous les maux de la société, nous avions pris le temps d’évaluer la qualité du papier par le biais de quelques critères basiques. L’occasion nous est donc offerte de réévaluer l’hebdomadaire tenu par Yves de Kerdrel – autant couper court tout de suite à tout suspense, aucun progrès n’a été fait dans aucun domaine.
Qualité de l’enquête journalistique : 1/10
« Valeurs Actuelles n’est pas vraiment le type de revue réputée pour la qualité de ses publications, ni pour l’universalisme de ses opinions », disait notre évaluation de mars 2016. Un an et demi plus tard, aucun progrès : reprendre les mauvaises conclusions d’un quotidien anglais au sujet d’une étude même pas terminée, c’est tout sauf du bon boulot journalistique. On ne peut donc que sortir le bâton et taper sur les doigts du mauvais élève, qui file clairement un mauvais coton.
Quantité de WTF : 3/10
Même sur ce point, qui était clairement le point fort de la précédente évaluation de Valeurs Actuelles, on reste sur notre faim. Sur la précédente enquête, on accusait par exemple Nekfeu de faire l’apologie du terrorisme (Nekfeu, bordel !), ou Lilian Thuram d’être l’une des pires cailleras du foot français. Cette fois-ci, on perd à la fois en qualité et en quantité, avec une seule accusation farfelue et très peu d’extrapolations. Les bonnes habitudes se perdent.
Name-dropping : 0,5/10
Eminem et Blackstreet. Sérieusement, on se fout de la gueule de qui ? Faites au moins semblant de faire un effort, les mecs.
Potentiel polémique : 8/10
Valeurs Actuelles continue donc d’insister sur ses points forts plutôt que de progresser sur ses points faibles – autant dire que de gros (très gros) efforts sont attendus au troisième trimestre.
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